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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918

21 décembre 2016

Soldats restés derrière les lignes et fusillés

     On trouve dans la partie numérisée des archives royales de Belgique des affiches annonçant que des soldats français ont été fusillés par les Allemands car ils se trouvaient en zone occupée (peut-être depuis 1914) et ne s'étaient pas dénoncés avant le 20 novembre 1915. L'un d'entre eux était soldat au 127e RI, le régiment stationné à Valenciennes ; je cite également les autres car pour certains je n'ai pas plus d'information à leur sujet :

 

  • Oscar Olivier du 127e régiment d'infanterie, fusillé à La Fère le 4 janvier 1916. L'affiche est datée du 6 à Fourmies et signée du major SCHLICHTEISEN commandant de l'Etape de Fourmies, terreur de la ville, probablement à titre d'exemple : 

    Oscar Olivier


     
  • Salem OUILDALI, corps colonial indigène, fusillé le 12 février 1916 à Rozoy. Affiche datée du 16 à Fourmies (même signature).
    Le lieu d'exécution (Rozoy-sur-Serre dans l'Aisne) est étrangement proche (10 km) du lieu de capture.

    OUILDALI Salem
    Plus probablement une combinaison de Salem, Ould et Ali

          Une fiche lui correspond sur MemorialGenWeb .
 

  • Albert VALISSANT du 94e RI, fusillé le 11 mars 1916 à Crécy. Affiché à Fourmies le 16 mars. (SCHLICHTEISEN)

    VALISSANT Albert



    VALISSANT Théodule Albert, né le 15 février 1890 à Crécy-sur-Serre, Matricule 1049 au recrutement de Laon, classe 1910.
    On lui trouve sur le site Mémoire des Hommes une fiche de "Non mort pour la France" datée de 1923.

    VALISSANT T Ab

         Son état Signalétique et des Services précise bien "Décédé le 11 mars 1916, à Crécy sur Serre, (fusillé par les Allemands)" ce dont l'administration semble avoir eu connaissance le 31 juillet 1919.

    Il a été fusillé sur son lieu de naissance, là où il s'était réfugié, je n'ose dire "sur place".

         Comme souvent, pour un soldat porté disparu, la famille de la zone libre demande à la Croix-Rouge s'il n'est pas possible qu'il soit prisonnier : une fiche à son nom renvoie vers le registre de décès, non dans un camp, mais bien au cimetère "E" de Crécy-sur-Serre, tombe n°1, funérailles le 11 mars 1916.

    VALISSANT CICR


     
  • Gustave MORAUX du 28e Régiment de dragons, fusillé le 9 mars 1916 à La Capelle (Aisne). Affiché à Fourmies le 10 mars. (signé : SCHLICHTEISEN) 

    MORAUX Gaston Gustave

 

  •  3 exécutions le 26 février 1916 à La Fère (Aisne), datée du 29 février à Fourmies et signée HUMMEL Hauptmann und Adjudant (de SCHLICHTEISEN)

    CUVELIER LANCIAUX DECROIX




      • Henry CUVELIER du 148e RI, fusillé le 26 février 1916 à La Fère (Aisne).
     
    CUVELIER Henri, né à Colleret (Nord) le 20/10/1893, Matricule 898 au recrutement d'Avesnes (Nord), classe 1913. Son État Signalétique et des Services considère qu'il est disparu le 1/09/1914 à Coucy-le-Château (Aisne):

    CUVELIER H Services
    On remarquera l'immédiateté du secours, payé en octobre 1919

    Données que reprend sa  fiche MDH dont les causes de décès ont été surchargées :

    CUVELIER Henri MDH
    La date de décès correspond à la date d'exécution :
    pourquoi celle-ci n'est-elle pas mentionnée ?


     Il figure au monument aux morts de Colleret : sa fiche sur MémorialGenWeb .

     
    •   Amaury LANCIAUX du 148e RI, fusillé le 26 février 1916 à La Fère

    LANSIAUX Amaury Désiré, né le 28 juillet 1891 à Haussy (Nord). Matricule 2037, recrutement de Cambrai, classe 1911
    Là encore son État des Services le considère comme disparu le 01/09/1914 à Coucy-le-Château :

    LANSIAUX Services

    LANSIAUX Amaury MDH
    Comme pour Cuvelier, la date de décès n'est pas attribuée au hasard

          Il figure sur le monument aux morts d'Haussy (Nord) : sa fiche sur MemorialGenWeb 

    • Paul DÉCROIS du 17e régiment d'artillerie territoriale, fusillé le 26 février 1916 à La Fère (Aisne).



  

  • Le même fonds d'archives contient également une copie de proclamation établie par la mairie de Trélon (Nord) concernant :

    Léon ADAM et Andréas OUDELET, en réalité André OUDELET, civils de nationalité française, habitant à Monceau-les-Leups (Aisne), fusillés le 18 avril 1918 sous l'inculpation d'espionnage. Voir sur MemorialGenWeb

    proclamation

  

  • S'y ajoutent deux soldats  fusillés à Laon le 16 février 1916, dont les fiches belges sont peu loquaces : ABDEL KADER et BEN TUALI, mais ceux-ci ont la chance d'avoir une fiche à leur nom  (à défaut d'être reconnus "Mort pour la France") sur le site MemorialGenWeb :

    ABDEL Kader BEN TUALI

    • Il faut noter que leur exécution a été suivie de celles de MM. FRICOTTEAUX Aristide, EVRARD Auguste, DERBOIS Auguste respectivement maire, adjoint et garde champêtre d'Anguilcourt-le-Sart, condamnés à mort et fusillés le 15/03/1915, "pour avoir caché et ravitaillé deux tirailleurs sénégalais".

    • Le même tribunal à condamné pour les mêmes motifs MM. Hain Albert, Delaporte Eugène, M. Chantreux Lucien et Mmes Fricoteaux et Delaporte à être déportés en Allemagne





    Il s'agit de :
    BEN TUALLI  Ben Saïd Ould Abdelkader

  •  

et ABD EL KADER

 

 

 

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7 décembre 2016

Déportée à Valenciennes

 

    Au moins une fois (et probablement pas la seule), Valenciennes a été lieu de déportation : s'il est vrai que ses habitants ont été largement déportés vers l'est (et jusqu'en Lithuanie), c'est une habitante de Cirey-sur-Vezouze (Meurthe-et-Moselle) que l'occupant envoie à Valenciennes :

 

    MAZERAND Marthe Marie Anicette, née THIEBAUT le 17 avril 1851 à Sorcy (Meuse). Elle épouse à Nancy le 26 Août 1873 Jean Baptiste MAZERAND, alors négociant. Nommé administrateur de Cirey en Novembre 1914, il décédera à Strasbourg le 15 janvier 1917 (et non 1916 comme sur l'extrait du Journal Officiel ci-dessous).

JO_19190714

 

    Son épouse ne reste pas inactive, et -comme son mari - elle figure au JO dans la rubrique " Le Gouvernement porte à la connaissance du pays la belle conduite de" du 14 juillet 1919.

JO 19190714

 

     On dispose de guère plus d'information hormis la presse de l'époque, qui ajoute des détails hélas invérifiables :

BMM 19180320
Bulletin des Réfugiés de Meurthe et Moselle du 20/03/1918

BMM19181225

Bulletin des Réfugiés de Meurthe et Moselle du 25/12/1918
(On remarquera l'affreuse prison de Valenciennes)

     Elle obtient en 1920 la médaille de vermeil des victimes de l'invasion, et est également titulaire de la médaille d'or de la Reconnaissance française.

JO 19201003

et sera fait Chevalier de la Légion d'honneur (décret du 14 Février 1921).

LH

 

Elle décède à Menton le 22 mars 1938.

DC 19480328

 

     On trouve dans les fiches de la Croix-Rouge deux demandes de renseignements (restées apparemment sans réponse) à propos du couple depuis sa famille en zone libre.

 

 C'est également le cas de

  COTTEREAU Mathilde (Mme Veuve, née Guilbert). À Douai (Nord)   Argent Pour avoir donné asile à trois soldats français a été emprisonnée par les Allemands à Douai et Valenciennes où elle à subi pendant 13 mois 1917-1918 toutes les rigueurs du régime cellulaire. Pendant sa détention tout ce qu'elle possédait chez elle a disparu.

 qui a reçu la médaille de la reconnaissance française (JO du 11/03/1923).

26 novembre 2016

Cimetière St-Roch (Valenciennes) durant la guerre.

 

 

 

GdA 1918-211
Gazette des Ardennes du 6 avril 1918

 

     Lorsque la municipalité de Valenciennes - obéissant à la loi de 1791 interdisant tout inhumation en ville (entendez par là autour des églises situées en ville) - fait la même année l'acquisition d'un terrain au hameau de St Roch pour y créer le cimetière du même nom, elle n'imaginait certainement pas l'ampleur que celui-ci allait prendre, car devant les besoins, la Ville acquiert en plusieurs fois jusque 1900 les terrains sur la rive droite du vieil Escaut jusqu'à la limite de St-Saulve pour donner l'emplacement tel que nous le connaissons actuellement et qui s'est agrandi dans les années 70 du terrain disponible sur la rive gauche, portant la superficie à près de 10 hectares.

Vue IGN
source : IGN

carrés militaires

 Plan

     En 1915, l'ensemble des tombes n'occupait pas tout le terrain disponible, ainsi les Allemands entreprirent de créer "tout au bout" (carrés M & N actuels et peut-être D) le cimetière militaire, non seulement pour leurs soldats, mais également pour les alliés décédés sur le territoire de la commune durant les 4 années d'occupation ; ainsi que le dit l'article de la Gazette, les tombes des premiers soldats inhumés se situaient dans la partie existante du cimetière ; l'inauguration a eu lieu le 12 décembre 1915.

Inauguration

     Les premiers travaux ont révélé la présence à cet endroit d'une nécropole antique. Les recherches ont été reprises en 1918 par Maurice Hénault, (une grande partie des objets recueillis fut perdue lors de l'incendie de de 1940) puis une nouvelle fois en 1947, révélant une centaine de sépultures et des objets permettant de dater celles-ci de l'époque Franque et Gallo-Romaine.

Cimetière mérovingien

    Plus que l'implantation des tombes anciennes, c'est celle du cimetière militaire qui nous intéresse ici sur le plan ci-dessus provenant d'un article de 1983 de Philippe Beaussart en ligne sur Persée : "Sur le cimetière mérovingien de Saint-Roch à Valenciennes".

51aNE St Roch
Sur cette carte britannique de 1917 (dont disposaient les soldats Canadiens en 1918) :
en bleu le terrain du cimetière,                                
le rectangle rouge situe le cimetière militaire allemand, 
le vert l'actuel cimetière militaire britannique.             

    Après la guerre, le cimetière militaire est dispersé : les soldats allemands seront ré-inhumés au cimetière (Deutschen Soldatenfriedhof) de Frasnoy notamment, ceux du Commonwealth sont rassemblés dans un carré spécifique "St.Roch Communal Cemetery", Français et Russes également dans des carrés attenants ; les voici repérés sur cette vue aérienne (mission IGN 1932). Les carrés nationaux ont été créés, le cimetière allemand originel a disparu, restent les rangées d'arbres. Cette partie ne sera réutilisée que dans les années 1970.

cimetière St Roch 1932
A)llemagne-déplacé-, C)ommonwealth, R)ussie, F)rance

 

  • Commonwealth, entretenu par le CWGC (882 identifiés).
  • Russe (et Roumain, Serbe et Hongrois) que je traite ICI  (212 tombes).
  • Français (105 noms), traités ICI

      Avec l'aide du fonds Maurice BAUCHOND (Musée des Beaux-Arts de Valenciennes), de la collection numérisée de la Bibliothèque Municipale de Valenciennes et celui de la bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) ainsi que de ma collection personnelle, il est possible de faire une promenade dans le cimetière :

Après lancement du diaporama, cliquer sur l'icône PE pour voir celui-ci en plein écran (Echap pour revenir au blog)

    L'une des tombes voisines du monument décrit dans l'article de la Gazette des Ardennes, porte le nom de Marcel DORIZON, prisonnier français mort le 27/04/1915, dont j'ai traité le cas particulier sur ce même blog.

 Il n'a pas été facile de déchiffrer les noms inscrits sur le monument de pierre bleue : il est décrit comme portant des noms sur chacune de ses 4 faces. A ce jour, seules les faces avant et droite (voir photo ci-dessous) s'avèrent déchiffrables, dévoilant 178 noms.

MaM allemand

Face avant :

  • Dans la partie ovale entourée de lauriers on peut lire :

"Zum Gedenken an die Opfer des Krieges
 die auf dem Ehrenfriedhof ruhen"

Sei getreu bis in den Tod
(Apokalypse 2-10)


"À la mémoire des victimes de la guerre
 qui reposent dans le cimetière d'honneur"

Soyez fidèle jusqu'à la mort
Apocalypse 2-10

 La dernière phrase, tirée de la Bible, se complète parfois par "et je te donnerai la couronne de vie" : so will ich dir die Krone des Lebens geben.

  • La partie inférieure contient sur 4 colonnes une liste de 50 noms, surmontant l'inscription :

Diese Soldaten ruhen im Massengrab auf dem französischen Friedhof
Ces soldats reposent dans la fosse commune du cimetière français

 Il semble en effet qu'au début des hostilités (qui pour les 2 camps devaient se terminer avant Noël 1914), les premiers morts aient été rassemblés dans une tombe commune (Massengrab, ou Kameradengrab) pourtant déjà surmontée d'un monument portant les noms et les régiments, c'est celui qui est décrit plus bas. Il n'y a aucun numéro de tombe, mais en croisant les archives, on trouve parfois un n° (d'ordre d'ensevelissement ?) jusqu'à ce que les tombes suivantes deviennent individuelles.

On retrouve également 50 noms sur la tombe commune n°4, carré n°2, au cimetière allemand de Frasnoy où la plus grande partie de ceux inhumés à Valenciennes ont été regroupés.

Les dates de décès (retrouvées d'après les noms) vont du 04/09/1914 (Valenciennes a définitivement été investie le 25 Août) au 26/10/1914.

 En croisant les différentes données, on obtient la liste suivante (noms et initiale de prénoms sans autre information), avec parfois une erreur de gravure (Fiermann au lieu de Ziermann, ...) :

plaque bas avec fond

 

 

 Face droite :

 On y lit sur 4 colonnes les noms de 128 soldats allemands, suivis (pas toujours) de l'initiale du prénom, du numéro de tombe individuelle, et dans de rares cas (4), du grade ou de la spécialité. Je les recopie ci-dessous tels qu'on peut les reconnaitre, avec là encore quelques erreurs de gravure possibles (MARSUR pour MASUR, LAUKUER pour LAUKNER, "G" dur et K confondus...) mais qui coïncident avec la date de décès des soldats de ma base de données.

       
   
  Niebuhr S. 59 Röcker K. 103 Lamp J. 139
Knauf A. 78 Schnier A. 61 Hein K. 104 Kabisch B. 140
  Berlet R. 62 Schmitz T. 105 Just B. 141
Kaltenegger H. 111 Ruffert J. 63 Birkeneder M. 106 Hostert M. 143
  Maass H. 64 Buschenhagen G. 107 Allendorf G. 144
Lehmann G. Arzt 90 Hadrzynski L. 65 Borchers R. 108 Mahr E. 145
  Baass M. 66 Siebigs H. 110 Händel A. 146
Linker L. 118 Spörl J. 67 Pohritzsch K. 112 Cegielny P. 147
Weidmann P. 119 Brohseit E. 68 Krüger E. 113 Kusserow A. 148
  Schulz A. 69 Widera K. 114 Theissen J. 149
       
Biermann A. 6 Jhle G. 70 Schlecht K. 116 May E. 150
Köck M. 8 Ziegler J. 71 Truckenbrud A. 117 Jmme F. 151
Wiedmann K. 10 Pauli A. 72 Seebacher S. 120 Stiller A. 153
Voigt M. 11 Kröning E. 73 Matloch V. 121 Martin M. 154
Ebelt R. 34 Schmieg G. 74 Godehardt M. 122 Kaufmann W. 155
Lange F. 35 Banzer F. 76 Lardong F. 123 Seeger 156
Fitzinger A. 36 Walgenbach P. 77 Jänichen O. 124 Böttger F. 157
Raffel W. 37 Von Hofen G. 78 Fix P. 125 Bergner K. 158
Brüsewitz P. 38 Paetz G. 79 Niebauer J. 126 Fritzke E. 159
Andler A. 41 Schäfer A. 80 Fend H. 127 Marsur J. 160
       
Rattey W. 39 Schlund H. 82 Eckert H. 128  
Genetzki K. 40 Möltgen M. 83 Schummer J. 129  
Buhlmann H. 42 Schneider P. 85 Möbius F. 130  
Bitsch G. 43 Liebl V. 86 Schumacher H. 131  
Hartinger J. 44 Treitz G. 87 Braun J. 132  
Klöhn H. 45 Lindinger A. 88 Raider J. 133  
Schmitt O. 46 Schmitt A. 89 Hofmann F. 135  
Herber 47 Landwehr J. 99 a Morweiser K. 136  
Seemann E. 48 Bocker A. 91 Ziegler A. 137  
(Namenlos) 49 Raaf R. 92 Nopens J. 138  
       
Krawczyk S. 50 Giesemann F. 93 Wersler R. Offizier Stellvertreter 139  
Stendle A. 51 Krämer M. 94    
Kreh F. 52 Baumann A. 95 Kehrer J. Leutnant 152  
Neuss K. 53 Kasper A. 96    
Franke A. 54 Jugenwegen J. 97 Luyken F. Hauptmann 9 a  
Hoffmann H. 55 Vetter A. 98    
Rüdenbender J. 56 Gerlach W. 99    
Malik P. 57 Purschke F. 100    
Deutschmann 58 Rossnagel G. 101    
Laukuer R. 60 Wohlschlegel E. 102    
       
     

 Cette fois les dates de décès s'échelonnent du 19/10/1914 au 06/10/1915 ; le monument a été inauguré le 12 décembre 1915.

Ces soldats figurent dans les listes disponibles sur ce blog, avec les informations recueillies :

1914 : sujet n°
45
1915 : sujet n°
47
1916 : sujet n°
50
1917 : sujet n°
56
1918a : sujet n°
164
1918b : sujet n°
165
1919 : sujet n°
73
1940-45 : sujet n°
173

 

     Les deux derniers monuments portent des plaques assez lisibles, l'une aux alliés, l'autre aux soldats allemands décédés en 1914. Les voici retranscrites, aux fins de comparaisons avec les informations disponibles, notamment celles de l'état-civil de Valenciennes dont j'ai effectué les relevés ICI ce qui permettra ensuite de recouper les informations, au moins pour 1914. En cas d'erreur de lien aux AD59 (ils ne sont pas encore tous pérennes) utiliser la cote du document avec le n° d'acte, toujours correct.

P laqueD

Hier Ruhen tapfere deutsche Krieger
Ici reposent de braves soldats allemands
tombés en sept et oct 1914

  FISCHER Ch.
3 B.F.A.R 43
(05/10/1914)
MARKLE Karl
13 A.K.3 San K.
(21/10/1914)
 
  FRANK H. Feldwebel
J.R. 27
(20/09/1914)
MARTENS W.
6.K. J.R.81
(22/09/1914)
 
BAARS Willy
2.K. GardeJag.Bat
(01/10/1914)
FRANZ F. Sergant
J.R. 28
MEINHARDT E.
3.K. R.J.R. 116
(20/10/1914)
ROHWEDER W.
1.K. R.J.R. 76
(28/09/1914)
BADEN Karl
1.K. J.R. 121
FRIEDRICH W.
10.K. R.J.R. 35
(17/09/1914)
MERKE Ernst
4.ESK. 2 Leib Hus. R.
(08/10/1914)
SPECHTMANN Unterof
6.K. J.R. 31
(28/09/1914)
BÄDER Johann
Füs. R. 35
(24/10/1914)
GÜNSCH A.
1.K Füs R. 36
(01/10/1914)
MUCH Friedr.
2.K J.R. 26
(12/10/1914)
STEINBRECHER L.
21.Mun.Kol. F.A.R. 18
(27/09/1914)
BECKS Heinr.
2.K J.R. 153
(03/10/1914)
GUSTER A.
2.K.1. J.R. 35
(25/09/1914)
MÜLLER Feldwebel
12.K. R.J.R. 66
STEINER Aug.
8.K.1. J.R. 13
(25/09/1914)
BERGMANN W.
3.K. 1 Garde R.z.F
(11/10/1914)
GUTZMANN G. Unterof
12.K J.R. 118
(01/10/1914)
MURSCHEL W.
13 A.K. 3.San.K.
(25/10/1914)
URBANSKI Joh.
8.K R.J.R. 27
(26/09/1914)
BESECKE Rob.
1.K J.R. 9
(16/10/1914)
HENNING Otto
2.K. L.J.R. 35
(24/09/1914)
NETTELNBRECHER W.
2.K. J.R. 15
(28/09/1914)
VOGT Peter Unterof.
9.K. J.R. 81
(01/10/1914)
BUHLER K. Unteroff
8.K. J.R. 121
(14/10/1914)
HONTSCH G.
2.Esk. 5 Leib Hus. R.
(25/09/1914)
NEUMANN P.
10.K. J.R. 8
(01/10/1914)
VOLMER Herm.
5.B. F.A.R. 22
(30/09/1914)
BUSCH Franz
12.K. J.R. 17
(18/10/1914)
JUNGE Ernst
9.K. 1.Garde R.z.F
(11/10/1914)
OPPERMANN G.
Jäg. z. Pf. 7
(22/10/1914)
WEBER Rud.
2.K. Leib Gren.R. 100
(03/10/1914)
BUSCH O. Unteroff.
7.K. L.J.R. 55
(25/09/1914)
KNAPP Heinr.
1.K J.R. 79
(25/09/1914)
PROPP Rud.
5.K. J.R. 49
(07/09/1914)
SLUTE Franz
(vermutlich)
DATER
2.K. R.J.R. 27
KÖSSNER
4.B.1.garde R.A.R
(12/10/1914)
PRUFER
7.K. L.J.R. 66
? Erk. Marke 148
Fus. R. 90
ECKERT Heinr.
F.A.R. 13
(25/10/1914)
KOVALESKI Joh.
8.K. Fus. R.A.R
(14/10/1914)
REISSE K. Radf. F.K.
bayr. Jäg. Bat. 1
(01/10/1914)
PAPLEMAN Jul.
Gefang. franz. Sold.
FIERMANN V.
3.K. J.R. 56
LUND Jabok
1.K R.J.R 86
(28/09/1914)
RESENBERGER
7.K. Bayr. R.J.R. 3
(17/10/1917)
Geb. im Dep. Bernay
Gebürtig aus Bernay

 

Une date (il n'y en a pas sur le monument) figure sur la transcription lorsque j'ai retrouvé le soldat allemand dans la base de données du cimetière de Frasnoy, en limitant les recherches par analogie aux plus probantes, compte tenu des données de l'état-civil.  (En cours .................)

 

  • Un soldat Français figure en fin de liste :
    PAPLEMAN Jul. dont le nom au registre de décès est PAPLENACE Julien.

    Il est cependant né PAPHENUCE Julien Auguste le 6/12/1879 à St-Paul-sur Risle (Eure). Il est originaire (gebürtig) de Bernay (Eure) qui est son centre de recrutement, né (Geburtsort) à Bernay, d'après la plaque, ce qui n'est pas le cas (à 30km près).
    Il fait partie des Morts pour la France, où il est dit décédé à La Neuville (Marne) le 15/9/1914, son État des Services (Matricule 700) le signalant disparu à cette date.
    Les archives du CICR conservent plusieurs fiches de recherche sur les prisonniers de guerre qui le concernent et renvoient le cas échéant à la même page de registre (P 3655) :
    Outre le nom toujours déformé (PAPHENNCE, PAPHEMUCE) il y est indiqué blessé à la jambe et se trouvant au FeldLazaret 6 de la 12e armée allemande à Guignicourt.
    Renseignement communiqués à son épouse à Sassy.

    P3655


    Aucune de ces informations ne reflétant la réalité du décès, il faudra un jugement du tribunal de Falaise transcrit à Sassy (Calvados) le 15/05/1920 qui le déclarera décédé à sa date de disparition, ignorant donc que le blessé a été emmené dans une ambulance allemande jusque Valenciennes où il décède effectivement 14 jours plus tard.
    Il n'est actuellement pas possible de situer sa sépulture.


  • On trouve comme toujours quelques différences avec ce qui est noté à l'état-civil, sans que je sache qui a raison, par exemple :
    • BACKS Heinrich, gravé Becks
    • LUSTER Albert, gravé Guster A., décédé le 25/09/1914.
    • LUND Jakob, gravé Jabok, écrit LÛND à l'état-civil.

    Les documents transmis à l'état-civil de Valenciennes ne permettaient peut-être pas une lecture correcte (écriture manuscrite, fraktur, papiers endommagés....), de plus le monument a peut-être été gravé sur place par un français, ayant le même problème de déchiffrement.

  • Certains noms (18) ne figurent pas dans les registres de l'état-civil, ils ont donc été soit inscrits dans d'autres communes, soit relevaient de l'état-civil militaire.

  • Certains noms ne figurent pas dans les listes du site www.volksbund.de, que ce soit à Frasnoy ou ailleurs (Assevent, Wambrechies notamment) ; peut-être les corps ont-ils été restitués aux familles, mais comme le précise le site :
    • les documents disponibles n'ont pas permis de déterminer un emplacement de tombe. Étant donné qu'au 20ème siècle, les services français s'occupant des sépultures ont réalisé des travaux de déplacement des corps enterrés dans les lieux environnants pour rassembler ceux-ci dans des cimetières communs, il est possible qu'il ait été inhumé dans la fosse commune du cimetière militaire de .................. créé par le Volksbund.

         Voici les noms tels que j'ai pu retrouver au cimetière de Frasnoy, présentés dans la même disposition que sur la plaque :

      FISCHER Christian MÄRKLE Karl  
      FRANK Heinrich MARTENS Wilhelm  
    BAARS Willi  - MEINHARDT Erich ROHWEDER Wilhelm
     - FRÄDRICH Wilhelm MERKE Ernst SPEHTMANN Heinrich
    BAEDER Karl GÜNSCH Abert MUCH Friedrich STEINBRECHER Ludwig
    BACKS Heinrich LUSTER Albert  - STEINER August
    BERGMANN Wilhelm GUTZMANN Georg MURSCHEL Wilhelm URBANSKI Johann
    BESECKE Robert HENNIG Otto NETTELNBRECHER Wilhelm VOGT Peter
    BÜHLER Karl HÖNTSCH Arthur NEUMANN Paul VOLMER Hermann
    BUSCH Franz JUNGE Karl OPPERMANN Gustav WEBER Rudolf
    BUSCH Otto KNAPP Heinrich PROPP Rudolf  -
     - KÖSSNER Karl Hermann Ludwig BRÜDER Robert  -
    ECKERT Heinrich KOVALEWSKI Johann REIẞL Konrad  
     - LUND Jakob RESENBERGER Michael  

 


 

    Les liens sous les noms qui suivent renvoient soit vers les fiches correspondantes de Mémoire des Hommes soit sur ce blog où je détaille leur parcours, reconnaissable au numéro qui renvoie vers la tombe actuelle, ou encore de la Commonwealth War Graves Commision quand c'est possible, ce qui permet d'accéder à plus d'information : date de décès, date et lieu de naissance. 

 

S 1914

Tués
Sept. Oct. 1914

BOURGES Isaïe  266 26e R.I.T
QUESNE Casimir  231 26e R.I.T.
BOURSIER François Réserviste
RECOURT Eugène  233 7e R.I.T.
FERRAND Eugène  264 16e R.I.T. caporal
SALLARD Eugène 26e R.I.T.
HOCHU Louis  232 84e R.I.
TERREUX E.H. 21e R.I.T.
LEDUC L.F. 1er R.A.T.
TRICHON Eugène 27e R.I.T.
LUNEL Auguste  254 27e R.I.T.
DAVIS Lionel 6e Dragons
MARTIN Auguste  267 27e R.I.T.
HAWE Robert 2e Hussards
MONTRON Ernest  269 26e R.I.T.
HUGHES Denis 79th Brigade R.F.A
PETIT Marcel  265 27e R.I.T.
HULL Harald Wilsh. Reg.
ENGE Albert deutscher Soldat
2° Cie, I.R. 153
  • Parfois l'orthographe des noms propres reste sujet à caution, ainsi
    • BOURCIER et non BOURSIER, François (le lien mène vers la bonne fiche MDH et le nom a été rectifié à l'état-civil)
    • MONTRON Ernest Victrice [Saint Victrice, né probablement dans la région de l'Escaut, embrassa d'abord la carrière des armes, fut évèque de Rouen vers 400 et donc fit le chemin inverse], dont le nom conforme aux actes de naissance et de décès et à la fiche MDH a une tombe au nom de MOUTRON. Une demande de rectification (avec modification de la plaque tombale) est en cours.

 

  • Les numéros qui suivent certains noms sont ceux de la tombe au cimetière actuel, et le lien renvoie vers une photo de celle-ci (collection privée).

  • 4 soldats sont britanniques :
    • HUGHES Denis : on trouve sous ce nom un soldat du 2e Bataillon du Royal Dublin Fusiliers, décédé le 05/09/1914, toujours inhumé à Valenciennes.
    • BULL H.A. (et non HULL) soldat du 1er Bataillon du Wiltshire Regiment, décédé le 14/09/1914, toujours inhumé à Valenciennes.
    • DAVIS Lionel du 6th Dragoon Guards (Carabiniers).
    • HAWE Robert du Royal Dublin Fusiliers.

  • Le soldat allemand ENGE Albert du 153e Régiment d'infanterie, n° (matricule ?) 189 est décédé à l'hôpital qui se tenait dans l'actuel Lycée Watteau, le 4/09/1914. Ce nom ne figure pas sur le site Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, il a probablement été rendu à sa famille.

 

    On voit également au pied du même monument un écusson (aux couleurs nationales ?) mais illisible. Si la photo a bien été prise durant la guerre, cette plaque "Aux morts pour la Patrie", où le mot "France" apparait, n'a pu être apposée que temporairement :

R écusson

 

 

     A noter qu'une photo de 1915 d'origine allemande dans les albums Valois mis en ligne par la BDIC montre une tombe sans localisation :

Hier ruhen 3 tapfere französischer Soldaten
Ici reposent 3 braves soldats français
Érigé par la llléme compagnie, 2éme section, du 55me Landsturm
et crédité ailleurs du quotidien suisse : La Guerre Mondiale.

1915 3 soldats F

 

L'enterrement de Wilhelm KAUFMANN décédé le 26/09/1915, inhumé tombe individuelle n°155.

Kaufman

Date d'acte ou de trans-
cription
N° d'Acte (propre ou voisin) Nom Prénom Informations militaires Précision lieu de décès Date de décès Vue N° Date de Naissance Lieu de Naissance
28 sep 1915 607 KAUFMANN
cliquer pour plus d'infos
Wilhelm Pionnier 6° détachement du service d'autos de l'Etape Vimy (am Felsenkeller)
Position allemande dite "Felsenkellerweg"
26 sep 1915 155 25 sep 1885 Muelheim Reg Bez Dusseldorf (sic)
probablement Mülheim bei Dusseldorf

 

 

Je ne connais pas avec précision le nombre de tombes de ce carré militaire, mais par exemple :

  • MEIER Christian, né le 07.6.1888 à Wulften, décédé le 25.03.1918 Krgs.-Laz. VII in Valenciennes, réserviste du 78 régiment d'infanterie a été inhumé tombe n°819  "EinzelTombe" (Tombe individuelle originelle).

 ou encore

  • SCHLIEPHAKE Albert, né le 08.02.1890 à Salzwedel, décédé le 01.01.1918 à Valenciennes du 111e régiment d'infanterie :  "in Valenciennes bestattet, Grab 2058" (enterré à Valenciennes, tombe n°2058)

Voir sur ce même blog le sujet relatif à l'actuel carré militaire

 

 

12 novembre 2016

Le p'tit Quinquin

 

Desrousseaux

Il n'est nul besoin de présenter la Marseillaise du Nord, berceuse (canchon dormoire) écrite en ch'ti en 1853 par le poète lillois Alexandre Desrousseaux (1820-1892) (photo ci-contre de l'agence Meurisse ; source Gallica).

Pour bien illustrer ce qu'elle représente pour les gens du Nord (de la France) voici d'autres paroles écrites par un prisonnier et parues dans le Journal des Réfugiés du Nord du 23 août 1916 pour célébrer le retour au pays.

 

RduPays

En voici les paroles, peu lisibles sur l'original :

                Air du Ptit Quinquin, de Desrousseaux


                            1er Couplet
Amis Caimberlots on' cainchonnette
Jé m'sus bin promis d'vos avertir
N'avé d'aimbitieux ni d' déshonnête
Al' peut malgré tout vos divertir
Fait sus un'ai qui soulage
Al' va parler du village
No coer d'el prison s'envol'ra
Jusqu'à no mason.

                                 Refrain
       C'est mi qui vos l'dis
       Qui vos l'erdis
       Mes bons amis,
       La guerre au pays
       A' n' dur'ra mi toudis.

                            2e Couplet
C' n'est mi ré d'parler pourvu qu'in r'vienne,
Qu' tous nos avons dit d'un air gaillard :
J'vorau, mes amis, qu'in s'in souvienne
In s' faisint moins d' bile et moins d' pétard
Puisque c'est ainsi qu'in l'nomme
Dit'z au "cafard" : min bonhomme
T' véras m'vir ed'main
Aujourd'hui t' peux passer tin c'min!

                            3e Couplet
El' jour attindu, lé v'la qu' t'approche
I'n peut pus tarder, ça c'est certain :
No fimme al' va v'nu, avec el' mioche,
Nos r'querre à la gare un bé matin ;
Quind nos saut'rons pà l' portière,
Avec un' larme à l' paupière,
D' joie et d'émotion
In imbrass'ra l' population.

                            4e Couplet
El' gosse i' nos f'ra s' baise à bouquette
Comme in sait les faire à no pays
I dira naïf, lorgnint l' musette :
C'est i' vrai papa qu' t'erviens d' Paris ?
Mère' m'a dit qu' si j'étais sage
T'a'lais m' rapporter d' voyage
Un bé tis dada,
Et pis cor du biscuit d' soldat.

                            5e Couplet
J'ara du rabiot dins les caresses
Qu'ins f'ra d' tous côtés, mêm' sus les yeux ;
L' fimme al' nos dira dins ses tindresses :
T'as dû t'innuyer dis min tiot fi'ux ?
Nos li répondrons, no tiote
Caracho, rabot', rabote
C'est bin intindu
In va rattraper l' timps perdu.

FERNAND DE CODRY

    Il s'agit ici comme indiqué du patois de Cambrai, plus proche du picard que le rouchy, dans lequel l'auteur n'a pas abusé - par exemple des "Ch" - n'accentuant pas ainsi les déformations du français.
On remarquera simplement l'antépénultième vers du 5e couplet "Caracho, rabot', rabote" directement issu du russe хорошо, работа работа (bien, travail travail), évoquant ainsi la proximité avec des prisonniers de cette nationalité.

 

    Pour qui veut se remémorer "Le p'tit Quinquin", j'ai choisi une version du grand Raoul (de Godewaersvelde) qui s'est fait la voix douce et la chante bien comme une berceuse, certaines autres interprétations prêtant fort peu à l'endormissement :

{Refrain}
Dors, Min p'tit quinquin,
Min p'tit pouchin, Min gros rojin
Te m'fras du chagrin
Si te n'dors point ch'qu'à d'main


Ainsi, l'aut' jour eun' pauv' dintellière,

In amiclotant sin p'tit garchon
Qui d'puis tros quarts d'heure, n'faijot qu'ed braire,
Tâchot d'lindormir par eun' canchon.
Ell' li dijot : Min Narcisse,
D'main, t'aras du pain d'épice
Du chuc à gogo
Si t'es sache et qu'te fais dodo !
{au Refrain}


Et si te m'laiche faire eun'bonn'semaine

J'irai dégager tin biau sarrau,
Tin pantalon d'drap, tin giliet d'laine...
Comme un p'tit milord te s'ras farau !
J't'acat'rai, l'jour de l'ducasse
Un porichinell' cocasse,
Un turlututu,
Pour jouer l'air du capiau-pointu...
{au Refrain}


Nous irons dins l'cour Jeannette-à-Vaques

Vir les marionnett's. Comme te riras,
Quand t'intindras dire : "Un doup pou' Jacques !"
Pa' l'porichinell' qui parl' magas.
Te li mettras din s'menotte,
Au lieu d' doupe, un rond d'carotte !
It' dira merci !...
Pins' comme nous arons du plaisir !...
{au Refrain}


Et si par hasard sin maite s'fâche,

Ch'est alors Narcisse, que nous rirons !
Sans n'n'avoir invi', j'prindrai m'n air mache
J'li dirai sin nom et ses surnoms,
J'li dirai des fariboles
I m'in répondra des drôles
Infin un chacun
Verra deux pestac' au lieu d'un
{au Refrain}


Allons serr' tes yeux, dors min bonhomme

J'vas dire eun' prière à P'tit Jésus
Pou' qu'i vienne ichi, pindant tin somme,
T'fair'rêver qu'j'ai les mains plein's d'écus,
Pour qu'i t'apporte eun' coquille,
Avec du chirop qui guile
Tout l'long d'tin minton,
Te poulèqu'ras tros heur's de long !...
{au Refrain}


L'mos qui vient, d'Saint'Nicolas ch'est l'fête

Pour sûr, au soir, i viendra t'trouver
It' f'ra un sermon, et t'laich'ra mette
In d'zous du ballot, un grand painnier.
I l'rimplira, si t'es sache,
D'séquois qui t'rindront bénache,
San cha, sin baudet
T'invoira un grand martinet
{au Refrain}


Ni les marionnettes, ni l'pain n'épice

N'ont produit d'effet. Mais l'martinet
A vit' rappajé l' petit Narcisse,
Qui craignot d'vir arriver l'baudet
Il a dit s'canchon dormoire...
S'mèr' l'a mis dins s'n ochennoire :
A r'pris sin coussin,
Et répété vingt fos che r'frain.
{au Refrain}

{Refrain}
Dors, mon petit bébé,
Mon petit poussin, mon gros rouquin
Tu me feras du chagrin
Si tu ne dors pas jusqu'à demain.


Ainsi l'autre jour une pauvre dentellière,

En langeant son petit garçon
Qui depuis trois-quarts d'heure, pleurait sans arrêt,
Tâchait de l'endormir par une chanson.
Elle lui disait : Mon Narcisse,
Demain, tu auras du pain d'épice
Du sucre à gogo
Si tu es sage et que tu fais dodo !
{au Refrain}


Et si tu me laisses faire une bonne semaine

J'irai dégager ton beau sarrau,
Ton pantalon de drap, ton gilet de laine...
Comme un petit milord tu seras faraud !
Je t'acheterai, le jour de la fête paroissiale
Un polichinelle cocasse,
Un turlututu,
Pour jouer l'air du Chapeau-pointu...
{au Refrain}


Nous irons dans la cour de Jeannette-aux-Vaches

Voir les marionnettes. Comme tu riras,
Quand tu entendras dire : "Un sou pour Jacques !"
Par le polichinelle qui parle mal.
Tu mettras dans sa menotte,
Au lieu de sou, un rond de carotte !
Il te dira merci !...
Pense comme nous aurons du plaisir !...
{au Refrain}


Et si par hasard son maître se fâche,

C'est alors, Narcisse, que nous rirons !
Sans en avoir envie, je prendrai mon air méchant,
Je lui dirai son nom et ses surnoms,
Je lui dirai des fariboles
Il m'en répondra des drôles
Enfin, chacun
Verra deux spectacles au lieu d'un
{au Refrain}


Alors, ferme tes yeux, dors, mon bonhomme

Je vais dire une prière au Petit Jésus
Pour qu'il vienne ici, pendant ton somme,
Te faire rêver que j'ai les mains pleines d'écus,
Pour qu'il t'apporte une brioche,
Avec du sirop qui dégouline
Le long de ton menton,
Tu te pourlécheras pendant trois heures !...
{au Refrain}


Le mois prochain, de Saint Nicolas c'est la fête

Pour sûr, le soir, il viendra te trouver.
Il te fera un sermon, et te laissera mettre
Sous la cheminée un grand panier ...
Il le remplira, si tu es sage,
De "je-ne-sais-quoi" qui te rendront heureux,
Sinon, son baudet
T'enverra un grand martinet.
{au Refrain}


Ni les marionnettes, ni le pain d'épice

N'ont produit d'effet. Mais le martinet
A vite calmé le petit Narcisse,
Qui craignait de voir arriver le baudet
Il a dit sa berceuse ...
Sa mère l'a mis dans son berceau,
A repris son coussin [de dentellière],
Et répété vingt fois ce refrain.
{au Refrain}

 A noter que le "doup' (double)" dont il est question dans la version patoise est une survivance du doublon de l'occupation espagnole.

double

 

 

     La version proposée n'a probablement pas été la seule à s'inspirer de la musique très connue de Desrousseaux, et le thème du P'tit Quinquin reste fédérateur ; ainsi dès septembre 1940 parait le bulletin de l'Amicale des Réfugiés du Nord (au sens très large) :

export

 

     J'avais déjà présenté dans un sujet sur les rapatriés cette photo de 1916 l'agence de presse Rol, parue dans Gallica et légendée ainsi :

Un petit quinquin [au milieu des bagages sur le quai de la gare], réfugié du Nord,
rapatrié à Evian

Rol

 


 

    Le même Journal des Réfugiés du Nord du 23 août 1916 présente une autre de "Nos Marseillaises", en l'occurence "Les Enfants de Valenciennes", dont je n'ai retrouvé aucun enregistrement tel que nous l'entendions lors de concerts, dans les kiosques à musique des jardins de la ville ; si un lecteur dispose d'une version, merci d'avance.

EdV

 

 

5 novembre 2016

Les Bataillons de Travailleurs Civils (ZAB)

     En 1921 parait aux éditions Thery Gustave, 99 rue de Mons, l'Almanach de l'arrondissement de Valenciennes pour l'année suivante. Il renoue avec la tradition des "Armena d'Valinciennes" qui paraissaient avant la guerre. Sous la plume d'un certain M.T. le récit ci-dessous, que l'auteur signale être en vente 1,25f (100 fr le cent) - et qui est peut-être plus complet - relate les conditions de réquisition des travailleurs civils.

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     Comme toujours je le retranscris tel quel, laissant le lecteur apprécier, tout en tenant compte de l'époque où il a été écrit, et du ressentiment de l'auteur. Ainsi, le terme camp de concentration est à prendre au sens premier (de regroupement) et non d'extermination, même si les méthodes utilisées ont tendance à se confondre avec d'autres vécues à la guerre suivante. Quant à la rafle, c'est bien de cela dont il s'agit. Quelques croquis (de l'auteur ?) émaillent le récit, j'y ai ajouté quelques documents.

 


Les Z.A.B.



Comment les Boches obligèrent les prisonniers Civils à travailler pour eux

img1t


« A ceux des Français qui seraient enclins à une pitié excessive envers les allemands, je dédie ces lignes. Écrites sans animosité ni haine, elles leur rappelleront que, même partisans de la paix comme tout humain doit l'être, nous serions coupables d'oublier trop vite le martyr ignoble, imposé par eux aux civils — hommes et enfants — des régions envahies. » M. T.



Récit des premières et inoubliables journées qu'ont endurées les Civils français enlevés par les Allemands et contraints au travail par les mesures les plus sauvages

Il est nécessaire, avant d'entrer dans le détail du sujet que je vais développer, que le lecteur sache ce que signifient les trois lettres Z. A. B. ou Zivil-Arbeiter-Bataillon ; elles veulent dire : Bataillon d'Ouvriers Civils.

Hélas ! Ce bataillon d'ouvriers civils, ces « ouvriers » comme ils avaient le toupet de les appeler, devaient être, tels des forçats, conduits au travail sous la garde de soldats armés, suivis et surveillés par des « postes ». Ceux-ci mettaient la baïonnette au canon selon la bonne humeur et le caprice de leurs chefs, ou encore pendant les quelques jours qui suivaient une évasion.

Je commence le récit : ne cherchant pas les grandes phrases et écrivant sans aucune prétention, il sera aussi bref que possible. Ma narration n'aura qu'un seul mérite, celui de la sincérité.
     Je crois cependant intéressant de rappeler ici que les actes de sauvagerie commis par les allemands, en violation des droits des civils vis-à-vis des lois de la guerre, ont suivi de très près la réponse négative des Alliés aux propositions de paix des Allemands.
On a dit que sur ce refus, Hindenburg, vexé, aurait fait savoir qu'il mobiliserait 200.000 civils français et belges pour remplacer des employés allemands aptes à servir au front.

     Je ne sais si cela est vrai, en tout cas les faits qui se sont passés semblent confirmer ce que j'ai pensé et laissent supposer que le Maréchal boche n'était pas étranger à cette nouvelle mesure de coercition bien allemande, car la menace fui aussitôt mise à exécution. L'Allemagne, oublieuse de toute dignité, allait une fois de plus donner aux nations civilisées, une preuve de sa triste mentalité et de sa barbarie.

Le dernier appel.

     Nous sommes en Octobre 1917 ; c'est la troisième fois que je me rends à l'appel ; les Autorités Allemandes, dans les régions envahies, exercent ainsi leur contrôle sur les hommes dès l'Age de 17 ans.
     A la Mairie, la salle dans laquelle se passe cette révision mensuelle est, il me semble, plus triste, plus sombre que de coutume ! Le visage des allemands me parait aujourd'hui plus dur, plus sévère encore qu'à l'ordinaire ; on dirait que quelque chose est dans l'air. Est-ce une illusion ?
     Toujours sous l'appréhension de quelque désagréable surprise (on ne sait jamais à quoi s'en tenir avec ces gens-la) nous avons le pressentiment qu'il va se passer quelque chose d'anormal, de grave : la figure enrognée (sic) de nos ennemis, le ton hargneux de ces êtres diaboliques, tout nous fait penser que leurs griffes vont se resserrer sur nous et que nous allons devenir leur chose.

Valenciennes 19170412 a
Cette affiche de convocation d'avril 1917, semblable aux autres,
répartissait les lieux de contrôle, comme le Salon des 4-coins cité plus bas


     Hélas, oui ! Les quelques minutes qui allaient suivre devaient nous prouver que nos appréhensions étaient malheureusement fondées. Une phrase, tant de fois répétée durant l'invasion, jette un peu de froid dans les divers groupes que forment les jeunes gens, anxieux de ce qui va se passer : « On va ramasser les hommes !.»
« On va ramasser les hommes ! » Il faut avoir vécu ici, sous la botte de l'envahisseur, pour comprendre et savoir apprécier tout ce que cette annonce (souvent lancée à tort par les allemands eux-mêmes dans le seul but de semer la crainte au sein de nos familles) avait pour nous de redoutable.
     On entend, s'approchant de la salle, un bruit de bottes éperonnées ; c'est le gendarme boche, représentant de l'autorité germanique, qui s'amène. Hautain et narquois, il s'avance et prend place, en maître, à la table déjà occupée par un agent de police français. Devant le prussien tout puissant le silence se fait.
L'appel commence et chacun de nous, au fur et à mesure que son nom est crié, s'avance sans broncher vers le gendarme pour lui présenter sa carte d'identité, carte sur laquelle celui-ci doit apposer le cachet de présence. Mais, contrairement à l'habitude, son Altesse BHURY, exécuteur des ordres de son grand chef Hindenburg, de temps à autre (selon les têtes, sans doute, et peut-être bien aussi selon les bourses) conserve la carte et fait signe à l'intéressé d'aller dans la cour y attendre des ordres en conséquence. Dès lors, je suis fixé : on en ramasse !
     A mon tour d'être appelé ; le cœur me bat bien fort, mais à quoi bon, le moment n'est pas aux sentiments, soyons ferme. Ma carte ne m'étant pas rendue, je vais rejoindre les autres camarades déjà groupés. Nous n'attendons pas longtemps car, sitôt le nombre d'hommes jugé suffisant, nous sommes avisés que nous devons nous rendre le lendemain matin au Faubourg de Paris, Salon des Quatre Coins, munis de linge et de vivres...  Cette fois plus de doute, nous sommes pris !

S4C
Le salon des 4 coins en 1914, situé au coin de l'actuelle rue du Faubourg de Paris à droite de l'église.
Photo Maurice Bauchond (MBAV)

S4C2Le même carrefour en novembre 1918, la configuration différait d'aujourd'hui :
voir sur ce même blog
le café n'a pas été reconstruit.


Pareille séance à la même heure et avec le même programme était jouée dans les communes environnantes. C'était la rafle !

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Le lendemain, rassemblés, gardés militairement, nous partons du lieu de rassemblement à destination du camp de concentration, situé dans une vaste usine de Marly ; nous quittons ce local la nuit-même pour être embarqués en chemin de fer. Où nous mène-t-on ?
     Une anxiété plus grande nous gagne et nous nous demandons quel sort nous est réservé ? Le mutisme de nos gardiens ne fait qu'aviver nos craintes. Savent-ils bien eux-mêmes ce que l'on va faire de nous ? Les soldats qui nous gardent ont ordre de se taire pendant les vingt-quatre heures que durera le trajet pour franchir les vingt kilomètres qui nous séparent de Marly à Solesmes !!

Une journée et une nuit en wagon, lassés comme des colis, tels furent nos débuts.... Et qu'était-ce, hélas ! comparé à ce qui nous attendait le lendemain de notre arrivée.

A Solesmes

     Le lendemain matin, nous sommes en gare de Solesmes, encore tassés dans les wagons ; on se demande toujours ce que les allemands vont faire de nous ? Enfin, dans le courant de la journée, on nous fait descendre sur le quai et, tous placés par rangs à peu près égaux, nous quittons la gare pour prendre la direction d'un petit village près de Solesmes.
Saint-Python ! C'est là que nous sommés « casernés ». Les soldats, après avoir organisé leur service de garde, nous laissent libres (libres, mais bien gardés) pour nous caser et préparer un coin à seule fin d'y passer la nuit à l'abri.
     Dans ce vieux moulin où nous sommes, le désordre est à son comble. Le soir, grâce au désarroi du début d'installation, favorise l'évasion de quelques prisonniers qui ont un peu de culot et aussi beaucoup de chance.
     Je dis beaucoup de chance, car je me rappelle la déveine d'un camarade qui avait réussi à s'approcher du mur de clôture et à l'escalader : grande fut sa surprise de ne pas s'être fait mal en sautant, le malheureux était tombé juste dans les bras d'un caporal boche qui veillait au dehors.
     Si l'obscurité fut favorable aux courageux qui s'étaient promis de décamper elle ne le fut pas moins aux soldats voleurs du Kaiser qui en profitèrent pour mettre leurs grandes qualités de cambrioleurs en pratique. Je veux parler, entr'autres, d'un grand escogriffe de boche aux allures affreusement bestiales (le futur chef cuisinier du camp) qui, à la nuit tombante, fit sortir tout le monde dehors, soi-disant pour une distribution de pain. Cette manœuvre ne s'exécutant pas assez promptement, il eut vite fait de s'armer d'un gourdin dont il menaça chacun de nous, procédé qui eut le don de faire accélérer un peu les traînards, il est vrai.

     Passant ensuite l'inspection de toutes les chambres pour s'assurer que pas un n'était resté, il trouva dans un coin un des nôtres couché, lequel, malade, se refusait à descendre.
Comme remède le gourdin se leva, prêt à retomber sur le crâne du malade, s'il n'obtempérait pas.
     Ce malheureux, devant la menace du gourdin et l'attitude peu rassurante de la brute, comprit qu'il était préférable de faire comme les autres ; il se leva et voulut prendre son veston qui lui servait d'oreiller, veston dans la poche duquel était son argent. Mais l'allemand, flairant quelque chose à fouiller et une rapine à faire, furieux et menaçant, leva à nouveau son bâton sur lui et l'obligea à partir au galop, lui abandonnant son vêtement. Quand l'homme revint, le portefeuille était disparu. Le soldat du Kaiser, en sujet digne de ses aïeux voleurs de pendules, avait prouvé ses qualités de détrousseur.

Le Lendemain !

     De très bonne heure, après nous avoir groupés dans la cour et placés par Kommandantur de provenance, on fait un appel au cours duquel les boches déjà constatèrent quelques absents « envolés pendant la nuit ».
On nous divisa, les boches jugeant sans doute le groupe par trop nombreux pour tenter le premier essai. Une portion composée de civils de Valenciennes et Marly, fut mise en route, et tel un troupeau de moutons qu'on mène à l'abattoir, on nous fît prendre la direction de Solesmes. Notre calvaire commençait ?
     Chemin faisant, certains d'entre nous qui s'écartaient un peu trop pour un quelconque motif, firent connaissance avec la crosse des « Mauzer » de nos gardiens.
Ainsi nous arrivons à la gare et c'est là que doit avoir lieu la première distribution d'outils.
On aurait dit que les allemands se doutaient que cette tentative serait vaine car, sans trop insister à notre refus de prendre pelle ou pioche, ils nous font faire demi-tour et laisser là les outils. Nos gardes sourient, mais leurs regards ne nous disent rien de bon. Ils méditent quelque chose... Que vont-ils décider à notre égard ? Quels ordres supérieurs et criminels ces êtres sournois ont-ils reçus ?
     Nous savons, que nos ennemis veulent notre travail et que savoir exiger est une des qualités dont ils se parent ; devant un refus de nous renouvelé, n'iront-ils pas jusqu'à la rigueur et les coups, en dépit des lois de la guerre et des principes élémentaires de l'humanité. Le boche est capable de tout, pour se faire obéir ; malheur à qui lui résiste. Il va bientôt nous le prouver. Nous sentons bien cela, nous savons bien aussi que nous risquons gros jeu à braver leur colère, mais nos cœurs de français, nos sentiments, notre devoir, tout nous dit de résister.
     On nous remet en route... Pour exécuter leur sinistre besogne, les soudards, nous font quitter la gare de Solesmes pour gagner un endroit isolé où, à l'abri des regards indiscrets et de témoins gênants, ils seront beaucoup plus à leur aise pour nous « mater » à l'allemande.
Par la voie ferrée, le troupeau des condamnés est emmené. Quelle lugubre et pénible promenade nous faisons là ; un vent sec cingle nos sombres visages. L'hiver, hâtif, vient joindre ses persécutions à celles de nos bourreaux.
     Nous marchons depuis longtemps déjà quand, près d'un petit village appelé St-Waast-en-Cambrésis, la colonne s'arrête. Nôtre appétit est mis en éveil par l'odeur que dégage prés de nous une cuisine de campagne qui bout ; nos boyaux chantent, mais ce qui cuit là n'est pas pour nos ventres affamés : c'est la soupe de nos gardiens.
De suite nos yeux se portent dans la direction du sol où gisent des outils neufs, pelles et pioches en tas, bien préparés.
     Certainement, la leçon va recommencer. L'emplacement est désert et vraiment bien choisi pour la scène de cruauté qui va se dérouler.
Un caporal nous demande si nous voulons travailler ? Toujours même réponse! Alors on nous place sur deux rangs le long des rails, et les soldats le fusil en bandoulière, mais tenant chacun un bâton, tournent autour du groupe et se chargent de faire redresser les jambes qui commencent à fléchir. De nouveau nous résistons aux menaces.
     L'obstination bien française des prisonniers civils n'était pas faite pour adoucir l'humeur farouche des sbires allemands ; furieux d'une telle résistance à leurs ordres, ces monstres, sans aucun souci de l'humanité, sans aucune retenue, allaient user contre nous des « moyens » odieux et sûrs qu'ils avaient en réserve dans leurs cerveaux obtus et dominants. Nous subissions la question en 1917 et nos tortionnaires, aussi féroces que les disciples de Loyola, nous l'appliquaient avec autant de raffinement que sous l'inquisition. Mentalité bien allemande, qui ne comprendra jamais le mépris qu'elle suscite chez des êtres fiers et dignes...
     Ils nous font alors ôter vestons et gilets, ce qui n'est pas agréable par et ce temps déjà frais d'Octobre. Sous le vent de bise nous grelottons, niais nous résistons !
Ils nous font ensuite tenir un bras en l'air, jusqu'à épuisement. C'est dur, pénible, mais nous résistons!
     A ce moment une locomotive arrive, un gros légume, appelé téléphoniquement s'amène. On nous fait aussitôt rhabiller. Que va-t-il se passer ?
De cette machine descend un officier supérieur ; il s'approche  de nous et, s'exprimant en français, nous dit : « Alors, vous ne voulez pas travailler, c'est bon; mais, dites-moi pourquoi ?»
     Personne ne répond... Puis, s'adressant personnellement à l'un du groupe, il veut lui faire comprendre que travailler pour les Allemands, n'est pas agir contre ses sentiments de bon français. D'ailleurs, ajoute-t-il, il y a intérêt et avantage à accepter de bonne grâce les exigences de l'Autorité Allemande. « Si vous travaillez, vous gagnez quatre marcks par jour et vous êtes libre... tandis que si vous refusez...»

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Après les valets, c'était le maître : et pour nous, après l'outrage des soldats, c'était l'insulte basse et grossière de l'officier teuton.
Et le butor, une dernière fois, s'adressant à tous, vocifère. «Voulez-vous, oui ou non, travailler ? »
Le ton employé est gros de menace...
Toujours personne ne répond. L'officier enfin fixé, se rendant compte que ses paroles ne parviennent pas à nous décider ni à nous convaincre, lance méchamment un ordre aux soldats — ordre dont nous ne devinions pas la gravité — et remonte furieux, sur sa locomotive, qui démarre aussitôt machine en arrière... Perfidement, en véritable boche, l'officier vindicatif emporte avec lui le secret et la responsabilité du crime qui allait se commettre, hors sa présence mais par ses ordres.
C'est ici que devait commencer le "dressage" à la boche.

Les barbares à l'œuvre.

     Un sous-officier du génie passe devant nous et fait sortir des rangs un de nos camarades, désigné par lui ; il l'amène devant un tas de pelles et de pioches. il tient un outil dans la main et le brandit devant la figure de notre malheureux compagnon.
 Nous sommes transis de froid, éreintés par la fatigue, et de plus brisés par l'émotion. Un drame Se prépare !!
 Par trois fois, l'allemand pose la question tant de fois déjà répétée :
 — « Voulez-vous travailler ?
 — Non !
  — « Voulez-vous travailler ?
 — Non !
  — « Voulez-vous travailler ?
 — Non !
Le dernier « Non » n'est pas aussitôt prononcé qu'un bruit mat et flou se fait entendre...
     Notre malheureux camarade s'effondre, assommé par la brute, qui vient de lui asséner un violent coup de manche d'outil sur la ligure...
Impassibles et impuissants, les yeux hagards, nous assistons à ce drame, à cet assassinat... Nous pensons à nos mères que nous avons vu pleurer quand on nous a enlevés... Quelle douleur serait la leur si elles nous savaient ainsi maltraités.
Et maintenant, au tour d'un autre ! Le bourreau en prend un deuxième dans le tas à qui il refait les mêmes sommations ; celui-ci, comme le précédent subit héroïquement les mènes outrages et tombe sous les coups du sauvage.
     Ces deux refus mettent le soudard au comble de la fureur ; il se dirige alors vers un troisième civil, mais ne persiste pas dans cette manœuvre, trop lente à son goût parce qu'individuelle. Le massacre en masse lui apparaît comme plus efficace et devant donner des résultats beaucoup plus rapides, il change de tactique. Se retournant brusquement, il lance un ordre à ses hommes demeurés lâchement l'arme au pied pendant toute cette scène d'atrocités.
     L'ordre du massacre aussitôt donné est exécuté. Les postes (des fantassins) prennent leur fusil par le canon en même temps que les soldats du génie (non armés) s'emparent de pioches ou de pelles. Les coups de pelle ou de crosse pleuvent dru comme grêle, les cris et les plaintes montent, du tas humain sur lequel les brutes s'acharnent.
Nous sommes furieusement bousculés, bestialement frappés, roués de coups ; dans la mêlée qui nous fait tous rouler à terre, au milieu des outils épars, nous nous sentons vaincus par la brutalité sauvage de nos bourreaux et nous nous relevons fourbus, hébétés, ahuris, chacun un outil en main.
     Le moment fut terriblement dur et affreux ; si quelques-uns de nous pleuraient, c'était de rage ! L'humiliation nous faisait plus souffrir que la douleur. On comprenait qu'il n'y avait rien à faire, que toute résistance était devenue inutile et qu'il fallait céder aux exigences du plus fort. L'Allemagne venait encore de remporter une victoire !
     Si dramatique que fût celle scène, elle eût pu encore être plus sanglante. Je me souviens avoir vu ce jour là un des nôtres qui, dans un élan de révolte et de vengeance avait à son tour levé sa pioche pour en frapper un soldat. Il en fut empêché par nous-mêmes et ceci fort heureusement car alors je ne sais ce qu'il en serait advenu.

     Quel tableau plus écœurant pourrait mieux démontrer combien il est vrai que pour les allemands la force doit primer le droit. Leur orgueil et leur mentalité, dans ce coin retiré et désert, à l'abri de tout témoin et de tout secours, nous apparurent dans toute leur hideur ; la lâcheté et la méchanceté de ces êtres sans cœur se lisait dans leurs yeux de fauves lorsqu'à bras raccourcis ils frappaient leurs victimes sans défense..... des enfants !!
     Ce même jour, dans plusieurs endroits, où avaient été amenés des prisonniers civils, pareils actes de barbarie étaient commis, mais de façons différentes. Ici, on faisait déshabiller, on faisait coucher à plat ventre sur une table et on frappait avec une cravache sur le dos du malheureux jusqu'au moment où celui-ci se résignait à accepter le travail imposé.
     Là, on liait les civils aux arbres, les poignets enroulés de fil de fer et, à chaque réponse négative, on resserrait les liens suppliciers jusqu'au moment où la victime, les poignets meurtris, chancelante et vaincue par la douleur, obtempérait aux ordres.
Le Maire d'une certaine commune fut condamné à la déportation pour avoir osé protester contre des faits semblables, contraires aux lois de l'humanité. Honneur à lui, car ceux-là furent rares.
Le lendemain, en gare de Solesmes, un civil s'avisa de refuser encore l'outil qu'on lui présentait. Mal lui en prit !! Un caporal lui asséna an coup de crosse si violent sur l'épaule qu'il en brisa son arme et que le malheureux, assommé sur le coup, dut être transporté sur une civière ; les boches eurent le soin de le faire passer devant nous, à seule fin que ce spectacle nous servit de nouvelle leçon.
     Et voilà comment et par quelles mesures odieuses des civils furent contraints au travail.
Qui dira jamais, qui pourra jamais me faire croire, à moi qui fus témoin et victime de cette scène de sauvagerie, que les allemands sont des gens comme des autres... Non, mille fois non, cette engeance n'est pas de bonne fabrication, sa race n'est pas d'Europe civilisée.  Elle tient du cannibale et du fauve... Le soldat boche est un bandit sanguinaire, qui tue pour s'amuser et avoir le plaisir de voir souffrir.
     L'uniforme de cette armée de tortionnaires, déshonoré, doit disparaître ; le militarisme allemand, coupable de tant de crimes, doit mourir.
Deutschland uber alles ! chantaient-ils quand l'ivresse les rendait plus gais et un peu moins sauvages. Pour une fois, soyons d'accord ; reconnaissons-leur cette suprématie sur nous et disons avec eux : «Pour la sauvagerie, l'Allemagne est au-dessus de tout !»

     Camarades de misère, Z. A. B. de 1917, sachez vous souvenir des forfaits de cette bande cruelle et barbare. Maudissez à jamais l'armée allemande !

M.T.

 

Vals Solesmes2b
Le trajet de Valenciennes à St-Vaast en Cambrésis,
via Marly, Solesmes et St-Python
Carte Michelin d'époque.

 

Ce n'était pas la première réquisition de travailleurs civils, les ZAB ayant été créés en avril 1916.  

 

Le 23 janvier 1917, les Allemands convoquèrent les jeunes gens de 16 ans, à l'appel des hommes, ce qui motiva une recrudescence d'évasions.

POUR EMPÊCHER L'EXODE DES OUVRIERS

Afin de réduire les évasions des ouvriers civils, qui faisaient partie des bataillons de travailleurs, le général inspecteur pour la région de l'Etape de la première armée décida:
« Que pour chaque fugitif de la région mentionnés ci-dessus, qui fait partie d'un des bataillons civils étant sous mes ordres, un membre masculin de sa famille ou de sa parenté, ou un habitant de son dernier domicile, sera incorporé par contrainte au bataillon d'ouvriers civils et y sera retenu jusqu'à ce que le fugitif soit rentré au bataillon.
« Celui qui procurera au fugitif de la nourriture, du logis, ou une assistance quelconque, ou qui négligera de dénoncer sans délai au commandant militaire au plus proche, le séjour d'un fugitif dont il a reçu connaissance, sera puni d'un emprisonnement jusqu'à un an, ou d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 3.000 Mks, ou d'une de ces deux peines. La tentative sera punie de même ».

Les Allemands surveillaient de plus en plus la population.

     C'est ainsi qu'à la réunion des maires du 31 mars 1917, le commandant Priess leur demanda d'apporter à la réunion du 7 avril, les listes établies par année de naissance, et dans chaque année les noms par ordre alphabétique, indiquant les hommes et femmes de 15 à 60 ans, et indiquant les infirmes et les malades

in René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918.
Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

Si ces travailleurs étaient effectivement rétribués, ce n'était pas par l'occupant

La Commandanture avait employé quelques ouvriers civils, réclame à la ville le paiement de leurs salaires, s'élevant à la somme de 43.000 francs, du 15 janvier au 9 février, soit 1.800 francs par jour.
Naturellement, nous devons nous incliner et les Allemands à chaque amende, obligent la Ville à faire un nouveau tirage de bons.

(in Delame op. cit.)

 

 

 

 

 

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21 octobre 2016

Mai 1940

 

     Il y a 30 ans (en 1986) j'avais obtenu que mes parents rédigent leur exode de mai 1940, la seconde guerre formant à mon sens un tout depuis 1870 jusque 1945. Mon père (Jean DUBOIS) était agent SNCF (alors Chemin de Fer du Nord) et à ce titre mobilisé à son poste, ma mère travaillait au central téléphonique de Valenciennes, élément essentiel des communications, et avait une obligation de service, qui a pris fin avec un ordre de repli lorsque les correspondants ne répondaient plus.

     J'ai repris le texte intégral, sans aucune modification. Les protagonistes sont appelés comme on le faisait en famille, aussi à chaque fois ai-je rajouté une note (chiffre rouge en exposant : y placer le pointeur de souris pour une brève description).

Pour aérer les récits sans les dénaturer, j'insère les itinéraires au fur et à mesure, hélas sur une carte contemporaine, donc différant quelque peu du trajet d'époque : cliquer pour une image de taille raisonnable. Un projet de report sur carte de 1940 est à l'étude.

   Un résumé des itinéraires de cette "drôle de fuite" figurera en fin de page, après un arbre généalogique montrant les liens de famille.


 

 

MÉMOIRES D'UN ÉVACUÉ AU MILIEU DE ... MILLIONS D'AUTRES

(Période du vendredi 10 Mai au mercredi 17 Juillet 1940)

 

     Évacuation ? Repli ? ou ...Fuite ?

    Valenciennes le 10 Mai 1940 : 5 heures du matin, les avions allemands survolent la ville à basse altitude. Nous apprenons que la Belgique est envahie.
Vers 17 heures les Stukas piquent : des bombes tombent sur le Pont Villars et Avenue de liège : 21 civils sont tués dans la cave du café qui faisait l'angle de la Place Poterne et de l'Avenue de Liège.
Du 10 au 16 mai, la pagaille s'installe : nous voyons passer de nombreux réfugiés belges ainsi que des soldats (français) sans armes ni officiers.

 

Le 17 Mai, Valenciennes doit évacuer ses civils. Lieu de repli pour la population : la Bretagne, Quimper pour les employés des PTT. Mémée1, tante Marguerite2 et Thérèse3 quittent Valenciennes par le train vers 17h30 pour...???

 

Maman4 avec Tante Hélène5 ainsi que les employées des PTT quittent Valenciennes (sur ordre) dans des wagons à bestiaux : le train s'ébranle vers 22h30, direction Quimper. Après Orchies puis Calais, leur exode se termine à Merlimont-Village.

 

Moi (Jean DUBOIS6) je prends vers 24h00 le dernier train jusqu'à Douai, où j'arrive vers 5h le 18 Mai. J'y rencontre Mémée1, Tante2et Thérèse3, qui voulait absolument que je donne un "toup de poing" à un réfugié Belge qui l'avait accrochée avec son baluchon. J'arrive à les faire monter dans un train de marchandises, un des derniers, comble, et qui part sous les bombes. Elles iront à Amiens où elles prendront un autorail réservé aux cadres de la SNCF, et de là gagneront Paris puis Vire. En effet à Paris ceux qui avaient de la famille en province avaient le droit de prendre le train, et Vire était la ville où habitait Anne-Marie Bailleux7, sœur de Pierre-Marie8. L'ayant appris à Mézidon, j'y suis allé un dimanche (le 2/06, au plus tard le 9. NDR), mais trop "serrés" avec toute le famille Bailleux, elles étaient parties la veille pour Poullan.

 Quant à moi, je suis récupéré par l'ingénieur et nous rentrons à Valenciennes le 18 pour démonter les machines outils (que l'on devra remonter à notre retour).

exode Jean a 2


Le 20 mai nous recevons à 1h du matin l'ordre de repli ; nous partons par groupes, le mien à 9h, moi sur un vélo déglingué avec une valise de 30 kg. (J'avais donné mon vélo à un soldat puisque tout était prévu et je suis parti avec celui d'un ouvrier jusqu'à Dieppe où je l'ai expédié en gare et retrouvé à Mézidon, comment : ????).

 

A Hérin un sous-officier d'artillerie à qui j'avais demandé à combien tiraient les canons de 75 que l'on entendait m'a répondu :"15km, mais ne vous pressez pas, on vient de les refouler de 25km". Je n'ai pas compris. Après Douai puis Arras, où nous sommes séparés de 2 ou 3 gars dont l'un a retrouvé quelques minutes après sa femme tuée par une bombe, nous arrivons à St-Pol-sur-Ternoise où nous couchons dans une voiture de 2de classe (il y avait à l'époque 3 classes). 5 d'entre nous partent pour Berck.

 

Le mardi 21 mai, ayant perdu mes compagnons, j'arrive à Abbeville qui venait d'être bombardée : 3 à 4 000 morts dont certains encore dans les rues. J'y retrouve grand-père9 et grand-mère10 Dubois, Marguerite Dubois-Hainaux11 et Marc12 réfugiés chez Jeanne13 et Joseph Holin14 qui habitaient sur les bords de la Somme. La ville était aménagée pour recevoir les soldats permissionnaires en transit, Henri15 y était affecté en tant que sergent d'Intendance. On y a fait entrer tous les réfugiés, et le lendemain une division d'infanterie. Les allemands l'ont bombardée. Deux de l'atelier et leurs familles ont été enterrés là, je les retrouverai tous dans une tombe de 1mx1m en allant en septembre rechercher Mémée1, Tante2 et Thérèse3 revenues de Bretagne et arrêtées par la fameuse ligne de démarcation. Grand-père9 et grand-mère10 Dubois qui n'avaient pas voulu quitter Valenciennes étaient venus chez nous (5 rue Charles Quint NDR) du 5 au 17 mai mais quand je suis revenu le 18, pris de panique ils ont pris un train, sont arrivés à Abbeville puis sont partis pour Cabourg où étaient Auguste16, Marie-Louise17, Christiane18 et une sœur de Marie Louise. Ils sont passés en taxi à Mézidon, (tous sauf Auguste16 mobilisé) en direction de la Bretagne : Poullan. J'ai aussi rencontré à Abbeville Henri15 qui venait voir Marguerite11.

 

exode Jean b 2De Valenciennes à Dieppe en Vélo (près de 250km)

Le 22 mai au soir je couche à Dieppe (Seine-Inférieure) chez une vieille dame bombardée : celle-ci (70 ans) d'abord réticente devant mon allure (barbe de plusieurs jours, pas lavé, fatigué) me donne à manger et m'offre de coucher dans la serre. Je me suis réveillé le matin du samedi 23 glissé sous une table, plus un carreau à la serre, et la dame qui pensait que j'étais mort tué par le bombardement de nuit : je n'avais rien entendu ( Ah! jeunesse...!) J'ai abandonné le vélo et pris le train pour Paris par Rouen. J'arrive à Paris qui ignorait tout des événements et pars vers Droué (Loir & Cher) que j'ai quitté le 24 pour Mézidon où je suis arrivé le 25 mai au matin.

 

Le Journal 19400528
Communiqué officiel "rassurant" paru dans "Le Journal " du 28/05.
Comme en octobre 1914 la situation exacte autour de Valenciennes occupée était cachée, pour ne pas dire ignorée.
Les lieux cités rappellent étrangement ceux de 1914.
La poche de Dunkerque se resserre dans une autre course à la mer, Lille en sort le 28 .
Quant au front, il était le 27 précisément sur la ligne Somme-Aisne, 100km au sud de Valenciennes.
Cette fois, l'ennemi ne ratera pas Paris à 110km au sud.

A Droué où Joseph Holin14 avait eu un poste aux Ponts et Chaussées jusqu'en 1937, comme on connaissait des amis de Jeanne13 je suis allé voir, mais ils n'étaient pas arrivés à ce point de chute éventuellement prévu.
Mézidon étant le chef-lieu de repli officiel pour les ateliers de Valenciennes, j'ai travaillé à l'entretien des machines outils. Les ouvriers de Valenciennes travaillaient à la modification des wagons trémies de transport de ballast datant de 1900 (et dire qu'on a perdu la guerre quand même) Je suis logé à l'auberge de Mme YON, 1m60, 100kg.

Le mardi 11 juin (je crois) les raffineries de pétrole brûlent à Rouen : on se serait cru sous un ciel d'orage violent. L'atelier de Sotteville-les-Rouen évacué est arrivé à Mézidon comme nous (?). Bruits de canon vers Lisieux.
Le 13 au matin on nous rassure : "Restez à vos postes tout va bien" mais le soir à 19h30 "Repliez-vous par vos propres moyens". L'armée se repliait depuis le matin : un conseiller municipal de Mézidon surpris à 6h du matin en train de charger sa voiture fut arrêté comme défaitiste. On fusillait pour moins que ça.

exode Jean c2bt
De Dieppe à Mézidon


Le 13 juin au soir je suis parti vers Rennes dans une Peugeot 202, la voiture de Gustave Carlier de Villers-Pol (à coté de Valenciennes) forgeron à l'atelier, époux de Lucie Carlier, chez qui nous allions. Philibert Matta, soudeur, nous accompagne ; c'est un très brave et honnête type qui parlait le patois du Nord aux gens de Saintes et râlait de ne pas être compris "en français", mais qui est capable de trouver du pain et de l'essence partout !

 

En passant à Fougères, nous sommes bloqués par les gendarmes qui laissent passer camions, vélos et piétons, mais pas les voitures légères sans un nouvel ordre de mission.
Nous y avons vu le chef de gare saoul au possible qui expédie un train de la croix-rouge plein de soldats, mitrailleuses aux fenêtres. Il nous envoie au sous-préfet qui nous dit : "vous êtes des soldats en civil". Nous allons voir de ce fait le commandant de la place qui ne peut rien faire, nous mangeons et en sortant rencontrons des soldats anglais installés au coin d'une rue, dans une tranchée, fusil-mitrailleur pointé qui nous disent :"Allemands venir vite !". Les gendarmes sont toujours là, et nous laissent passer sans rien dire... c'est presque drôle.
Nous arrivons à St Armel près de Rennes, point de chute pour la nuit car là avaient été réfugiés en 1915 les grands parents d'un ouvrier, Eugène Luez, également de Villers-Pol. A Rennes courent des bruits d'armistice les 14 et 15 juin ; nous nous présentons, ou plutôt nous tentons de nous présenter à l'ingénieur de Rennes, mais les Stukas repèrent un train de munitions diverses poursuivi par les avions allemands depuis 2 jours et qui a été placé sur une voie de garage au milieu de 3 ou 4 trains de réfugiés. Ceci expliquera le nombre de victimes : 4500 morts, dont on ne parle plus jamais.

 

Nous remontons en voiture et couchons à Cadillac près de Bordeaux où nous rencontrons les "locataires" de la centrale de Melun qui donnent à Matta des boites de pâté trouvées dans un camion. L'ingénieur de Saintes m'avait dit : "Si vous pouvez, partez, car il y a à Saintes 15 000 habitants et 40 000 cheminots, nous allons crever de faim ". En route le verre d'eau (du puits) se vend aux réfugiés moins pour le profit que pour éviter le gaspillage.

 

Lundi 17 juin nous arrivons à St-Palais (Basses-Pyrénées). Il y a là des wagons pleins de matériel garés et pillés jusqu'à la frontière d'Espagne, et nous n'avons pas assez d'argent pour aller plus loin. A Arbouët, près de St-Palais où Gustave Carlier comptait trouver ses parents qui étaient remontés à Limoges (c'est le village natal de la femme du frère de G. Carlier) nous rencontrons la Princesse Douairière de Broglie et ses enfants : il ne leur restait qu'un château, les pauvres.

exode Jean d2 abtTrajet Rennes-Puyoo

Nous restons là quelques jours puis partons à pied vers Puyoo sur la route de Lourdes : 40km à pieds en 9h. Nous dormons sur la pelouse en face de la gare, puis prenons un train pour Bordeaux où nous voyons entrer les allemands musique en tête entre deux haies de "curieux" parmi lesquels beaucoup de soldats et officiers français en tenue (les résistants de 1945 NDA).

 

Le 18 ou 19 juin nous arrivons à Limoges par le train, d'où nous partons pour Neuvic-Entier, village natal de la mère de Lucie Carlier qui nous accueille à bras ouverts. On y retrouve les parents et la femme de G. Carlier. Nous couchons dans une ferme à coté, sur la paille et faisons la fenaison. Le patron, démobilisé, s'appelait JOFFRE...
Nous nous présentons à l'ingénieur du matériel roulant de Limoges qui nous fait donner une paire de godillots pris dans un wagon. Je casse d'un coup de pied la vitre du guichet parce que l'employé avait dit : " Encore des boches du nord" ; scandale et excuses du type, ah mais !

 exode Jean e2btDe Puyoo à Paris via Bordeaux

Le 12 Juillet, sur ordre, nous repartons pour notre lieu de travail habituel ?? Après bien des arrêts nous arrivons à Paris le 13, et y passons le 14 Juillet.
Le 15 à 7h nous quittons Paris... par un train de permissionnaires allemands. Je suis passé au contrôle de la police française en confiant mon bagage à Matta et en disant au brigadier :" Dubois, Inspecteur, Valenciennes "... Matta a eu plus de difficulté avec eux, je me suis retourné et j'ai dit :" Alors Matta, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?" et lui au flic :" T'as entendu l'ingénieur, tu vas m'faire révoquer" et il passe.

 

Dans le train une voiture était réservée aux cheminots ; elle était déjà comble, il a fallu pousser des français pour monter. Un officier allemand est monté en route, ils se sont levés pour lui faire une place.

 exode Jean f2bt
De Paris à Valenciennes

Arrivés à Douai vers 18h nous partons à pied pour Valenciennes. Nous avons couché à Abscon chez un cheminot et le 16 juillet pris le 1er train rétabli de la compagnie (des mines) d'Anzin. Nous arrivons à St-Waast vers 5h du matin : personne dans les rues, le couvre-feu n'est levé qu'à 6h30. On rencontre Clovis Bailleux19 ancien militaire de carrière, revenu de Vire pour la 2ème fois en vélo à 72 ans, qui me dit tout naturellement : "Ta femme est chez sa mère". J'arrive au 63 avenue de Verdun à 5h54 où Angèle20 et Hélène5 m'ouvrent la porte : je dis "Marie ?" Angèle me répond :"Al est cor couquée". Je grimpe 4 à 4 l'escalier et la trouve "muchée" sous les couvertures : elle croyait vu l'heure matinale et au bruit des godillots que c'était un soldat. Elle a pleuré, je lui ai dit que Thérèse était sauve à Poullan, elle a repleuré. Elle vivait là avec Angèle20 et Hélène5 qui avaient repris du service à la Poste de Valenciennes où avaient vécu d'autres employées du téléphone. Mémée1, Tante2 et Thérèse3 sont rentrées de Poullan par Abbeville le 18 septembre 1940.

 

Nous retrouverons la maison du 5 rue Charles-Quint pillée, fort probablement par des militaires français en déroute : il ne reste que l'étui du violon de maman, ma carabine Francotte a disparu, les porte-couteaux en forme d'animaux ont des pattes et des oreilles brisées...

 

Moralité : En cas d'invasion, restez chez vous ...

 Jean DUBOIS Mars 1986

 

 


 

 

Evacuation..

Après avoir tenté vainement de joindre le bureau de Solesmes évacué pour la caserne Vincent qui demandait le 6 à Romeries à 13h20, je (Marie DUBOIS4) suis partie le vendredi 17 Mai 1940 à 21h30 dans un wagon à bestiaux direction Quimper et arrivée à Pont d'Ardres le samedi 18 à 12h35. Nous prenons là un autobus pour Calais, faute de train, et couchons chez un particulier face à la mairie. Bombardés, nous nous réfugions en vitesse à l'Hôtel de ville de Calais.

Le lendemain, nous abandonnons nos valises au bureau des Postes de Calais (celui-ci sera bombardé et tout disparaîtra).

 

Dimanche 19 pas de train. A 14h nous trouvons un autobus pour Boulogne. Les terrasses des cafés sont pleines, les gens nous regardent d'un air ironique, ils ne veulent pas croire que les allemands arrivent. Nous gagnons Etaples puis Paris-Plage à pied, où nous couchons par terre sur de la paille au centre d'accueil : je priais tout haut toute la nuit, toujours bombardés, et j'avais perdu mes chaussures.

exode Marie Nord t


Lundi 20 depuis Etaples, autobus pour Berck. Nous y couchons chez un particulier (une grand-mère) où Angèle20 restera n'ayant pas voulu nous suivre. Mardi nous partons à pied pour traverser l'Authie, mais le pont a sauté et nous rebroussons chemin, c'est la débandade. Nous arrêtons en chemin une voiture des PTT de Douai, et arrivons à Trépied ; nous couchons dans la forêt dans le camion. Nous devons nous réfugier plusieurs fois sous celui-ci, car les avions passent et bombardent.
Nouvelle nuit chez un particulier, une ferme, sur la place de Merlimont-Village, où l'on étend de la paille dans la maison.. Mercredi et jeudi nous occupons le bureau de poste, le receveur partait en abandonnant tout. La villa "La Closerie" en face du bureau de poste est également occupée, j'y enferme Hélène5, les Allemands sont arrivés.
Nous restons là de vendredi à mardi 28 mai où nous assistons à l'enterrement d'un douanier de Cambrai qui s'est pendu pour ne pas répondre à l'appel.

 

Dimanche 2 juin, messe pour l'anniversaire de ma fille3. Jeudi 6 juin pas de changement. Un lieutenant allemand [Martin, voir plus bas] qui s'étonnait de me voir toujours pleurer s'étant fait traduire par un postier qui avait été prisonnier pendant l'autre guerre et parlait allemand, que je n'avais pas de nouvelles de ma petite fille et de ma mère, se rend à Valenciennes et rapporte des cerises de la maison, signe de son passage au 63 Ave de Verdun, personne, maison pillée .
Parties pour Abbeville en vélo voir après la famille. Nous avons vu Tante Marie21 et Sidonie22 à St-Pol sur Ternoise, Mais Abbeville est bombardée, impossible d'y rentrer.

Nous rentrons à Valenciennes le mercredi 12 juin avec les postiers de Douai (les allemands nous ont donné de l'essence) avec Mme Masfayon, Melle Canaguier, Mme Delmouly et Hélène5 nous ne nous sommes pas quittées.

exode Marie sud t


Rentrées au bureau le 27 juin. J'ai des nouvelles de Jean6 par M. Moreau. J'y ai rouvert les recouvrements, puis j'ai été déplacée au bureau d'Ordre avant de remonter au téléphone.
Samedi 29 juin j'ai des nouvelles de Maman1, Marguerite2 et Thérèse3 par Clovis Bailleux19 qui rentre en vélo de Vire.
Samedi 6 juillet étant dehors je vois une voiture allemande s'arrêter et klaxonner ; je pense "tu peux toujours courir". L'officier qui en descend en riant était le lieutenant allemand Martin qui prenait de nos nouvelles.
Lundi 8 juillet nouvelles par Mme Fleury, mardi 9 juillet nouvelles par M. Legros.
Mardi 16 Juillet tôt le matin retour de Jean6 qui me trouve au lit Avenue de Verdun où nous vivons à trois Hélène5, Angèle20 et moi. Il était temps, car nous vivions sans eau, sans pain ni électricité depuis notre retour jusqu'au 15-20 juillet

Mercredi 18 septembre à 18h, retour de Maman1, Marguerite2, et Thérèse3 ainsi que la famille de tante Jeanne13 que Jean 6 a été chercher à Abbeville.

 Marie DUBOIS-DUVERGER Mars 1986

 

exode Marie t
Parcours des postières : au bas mot 550km.

 


 POULLAN, fin du voyage

     Le récit de Marie se termine avec le retour des réfugiés depuis Poullan ; par "famille de Jeanne" il faut comprendre ses 3 enfants : Freddy (10 ans), Janet (9 ans) et Josée (8 ans). Ceux-ci resteront juqu'après la libération chez les "valenciennois". Ce n'est pas mentionné dans les récits, leurs parents les ayant très certainement confiés lors d'une rencontre à leur grand-mère qui se dirigeait vers la Bretagne.

     On possède peu de photos de cette courte période à Poullan : 2 "reçues le 12 août 1940" à Valenciennes et montrant les enfants en bonne santé, et celle ci-dessous prise "en mai 1940" sans date précise, probablement par Auguste Dubois 16, à l'occasion de la (première) communion des enfants Holin : qu'ils en aient eu l'âge ou pas, il faut y voir une volonté d'intégration à la communauté. Figurent sur cette photo devant l'entrée de l'égise de Poullan les 6 qui reviendront dans le Nord le 18 septembre 1940 : [Mémée1, Tante2 , Thérèse3, Freddy (10 ans), Janet (9 ans) et Josée (8 ans) HOLIN]

Poullan
Poullan Mai 1940

    5 autres membres : les grand-parents DUBOIS [grand-père9 et grand-mère10] leur fils et sa famille [Auguste16, Marie-Louise17, Christiane18] resteront à Poullan jusqu'à la libération. Le grand-père y mourra le 16 novembre 1940, enterré au cimetière communal jusqu'après la libération, Auguste et Marie-Louise y auront un fils, Jacques, né le 21 août 1942, et qui dispose d'autre photos de la période 1942-45.

     Le témoignage de ce dernier confirme (via des photos de juillet-août 1940) la présence de Marc12 à Poullan en même temps que Thérèse3. Il est probablement arrivé en même temps que ses grand-parents paternels auquel il a pu être confié à Mézidon, sans qu'il soit possible de connaitre sa date de retour, ainsi que de la sœur de Marie Louise citée plus haut (Claudia LALOUX, épouse PERRIER) qui acccompagnait Auguste16, Marie-Louise17, Christiane18 .

     Ce seront donc 13 personnes de ma famille ou apparentés accueillies à Poullan (maintenant Poullan-sur-Mer) et -d'après les témoignages recueillis- parfaitement admis et intégrés. Le témoignage de Jacques DUBOIS né en 1942, cite les familles GOURLAOUEN du bourg et KERIVEL de Kerguerrien. Le père, Auguste16, y faisait alors commerce de tissus ramené du Nord, en échange de produits du terroir breton.

Jean et Auguste avaient deux autres frères : Henri15 et Léon, mobilisés l'un dans l'intendance et l'autre dans la DCA. Faits prisonniers en juin 1940, ils reviendront de leurs stalags respectifs en mai 1945.

    Dans son récit Jean indique "tous sauf Auguste16 mobilisé" ce qui n'est pas exact : il était repassé le 31 janvier 1940 devant la commission de réforme de Valenciennes qui l'avait exempté ( il avait alors 37 ans, était l'aîné de 4 enfants dont deux mobilisés et un affecté spécial ). Cette décision est reportée dans son livret militaire en possession de son fils, son Etat Signalétique et des Services ayant brûlé dans l'incendie du centre de Valenciennes en mai 1940. A noter qu'il y figure aussi qu'il avait passé son permis de conduire le 4 mai 1940, ce qui lui permettra de partir en voiture, probablement de la Maison Billiet où il travaillait.

 


 

     Parcours Valenciennes-Poullan des DUBOIS-DUVERGER [Mémée1, Tante2 et Thérèse3] : quelques 900km, presque autant pour en revenir via Abbeville le 18/09/1940 (à peine 4 mois plus tard).

Thérèse 2b
Valenciennes-Poullan, mai 1940


     L'étape de retour par Abbeville pour le retour s'avère indispensable car les réfugiés devaient justifier d'un parent qui vienne les chercher sur une ligne (ici sur la Somme) qui n'était pas celle de démarcation entre les zones occupée et libre qui deviendront Zones Nord et Sud en novembre 1942, mais une amorce de découpage du territoire français : l'occupant ayant fait de la Belgique et des départements du Nord & du Pas-de-Calais une zone administrée militairement (Militärverwaltung in Belgien und Nordfrankreich), le passage interzones était contrôlé. A noter une "zone de peuplement allemand", interdite au retour des réfugiés.

113095773
D'après une carte d'Eric Gaba, voir.

 

Le parcours (aller) des grands-parents DUBOIS-DEBEVE [grand-père9 et grand-mère10] est sensiblement le même, au détour par Paris près :

DD 2b

 

       Que ces 13 personnes se soient finalement retrouvées tient essentiellement au fait qu'en cours de route, les réfugiés étaient orientés selon leur origine géographique. Bien entendu la destination de ceux du Nord n'était pas "Poullan", mais la Bretagne -le Finistère entre autres-, ce qui n'assurait pas pour autant le regroupement des familles.

circulaire
Extrait d'une circulaire préfectorale d'Indre-et-Loire du 18 mai 1940

      C'est ainsi qu'une partie de la municipalité de Valenciennes se retrouve à Quimper, et  que de nombreux Valenciennois  seront à St-Brieuc, que les Allemand investissent le 18 juin, avant qu'on ne les autorise -difficilement- à rejoindre leur lieu de départ quelques mois après.


 

 

arbre 2

    On retrouve dans cet arbre qui établit les liens familiaux l'ensemble des protagonistes (reconnaissables à leur n°). Sont ombrés ceux qui ont atteint Poullan.

 

     Le dernier ticket établi par Marie4 alors que le repli était déjà effectif, l'étui à violon, veuf de son instrument, les porte-couteaux orphelins de leurs pattes sont toujours en ma possession, ainsi que le saladier emprunté à Valenciennes par le lieutenant Martin pour ramener des cerises à Marie4 en exil à Merlimont et la boucle de ceinture portée par Marguerite2, représentant un lévrier, visible sur la photo devant l'église de Poullan.

 


Pour aller plus loin :

 

29 septembre 2016

Revue des pompiers, Incendie, Punition

 

Le comte Von Bernstorff chef de la Commandature, voulut, comme à Saint-Quentin, [d'où la population -et ses pompiers- avaient été évacués vers "le Nord" (et la Belgique) en 1917 lors de l'Opération Alberich, consistant pour l'armée allemande à réduire la longueur du front en se repliant sur la ligne dite Hindenbourg,] passer la revue des pompiers ; aussi la municipalité reçut-elle l'ordre suivant:
« Le vendredi 11 mai 1917, je passerai en revue les pompiers de Valenciennes. Tous les pompiers, y compris leur chef Meurs, avec pompes, échelles et autres appareils d'incendie se trouveront rangés à 9 heures du matin sur la Place d'Armes, devant la Commandanture, tournés vers le restaurant allemand Kasten ».
La revue eut lieu sur la Grand'Place, à 9 h. 30 du matin. Le Commandant demanda ensuite que pour la prochaine revue, qui devait avoir lieu huit jours plus tard, les pompiers mettent leurs casques.
Le Dimanche de la Pentecôte, 27 mai, arrivaient de Jeumont, à une heure de l'après-midi, les pompiers de St-Quentin, au nombre de dix-huit, en tenue, accompagnés de leurs familles, soit en tout cinquante-six personnes, que la Ville dut loger chez l'habitant. Leur matériel comprenait une pompe à vapeur, plusieurs pompes à bras, dévidoirs, échelles, etc...
Le lendemain matin, le capitaine Beaugez vint faire visite à la Municipalité, et confirma la destruction du monument de la défense de Saint-Quentin, œuvre du sculpteur valenciennois Theunissen.


     Le monument, célébrant la défense de la ville en 1557 contre les Espagnols commandés par Philippe II, érigé en 1896, a effectivement été privé de ses statues de bronze, comme tous les monuments des territoires occupés. Il sera réédifié à l'identique après guerre, avec l'aide de photos et d'un élève de Corneille Theunissen, auteur également et entre autres du conscrit de 1814 qui trone au milieu de la cour d'honneur de l'école Polytechnique ; le monument de St Quentin est toujours au centre de la place du 8 octobre.

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Gravure parue dans Le petit Journal illustré du 09/08/1896

 

INCENDIES

     Justement un commencement d'incendie s'étant déclaré au cinéma de la rue du Quesnoy, les pompiers de Saint-Quentin et de Valenciennes se rendirent sur les lieux du sinistre. Mais les chevaux allemands ne pouvant traîner la pompe à vapeur de Saint-Quentin, des jeunes filles, pour plaisanter, essayèrent de la pousser, ce qui, naturellement, provoqua le rire chez les habitants du quartier.

     Le commandant Von Bernstorf qui se rendait sur les lieux de l'incendie en fut si offusqué qu'il adressa en rentrant, au Maire, l'ordre de punition,suivant :

« Ainsi qu'il a été établi, les habitants de la Ville de Valenciennes ont eu, le 27 juin, vers 10 heures, à l'occasion d'un commencement d'incendie au cinéma de l'Armée, rue du Quesnoy, 129, une attitude absolument inconvenante envers le service d'incendie de Saint-Quentin, lançant aux sapeurs pompiers des appels ironiques et se riant d'eux.
« Comme punition, il est ordonné que pendant le mois de juillet, les habitants de la rue du Quesnoy des maisons portant les numéros 45 à 129, et de 56 à 126 ne pourront quitter leur demeure de 5 heures de l'après-midi, au lendemain matin. Toutes les fenêtres donnant sur la rue et toutes les portes seront fermées pendant ce temps.
«Les habitants occupés par l'Administration militaire allemande ne seront pas touchés par cet ordre, et continueront par conséquent à observer les heures de travail.
« Cet ordre sera immédiatement communiqué aux habitants intéressés. On indiquera à la Commandature pour le 30 juin à 4 heures après-midi que la communication a eu lieu ».

     Les ordres furent très sévèrement exécutés: c'est ainsi que l'on voyait des gendarmes faire les cent pas de 5 à 10 heures dans la rue du Quesnoy, obligeant les habitants à fermer même les fenêtres du second étage.

     Le lendemain matin, le Maire reçut la visite du capitaine des pompiers de Saint-Quentin, venant protester très vivement contre l'imputation qui lui avait été faite de s'être plaint se l'incident.
Il proposa même de faire une démarche auprès de la Commandanture pour obtenir que cette punition fût levée. Le Maire accepta de l'accompagner, mais le Commandant ne tint aucun compte de cette démarche.

 

     Le cinéma en question, Soldatenkino pour la durée de la guerre, est le cinéma connu ensuite sous le nom de Gaumont-Palace ; construit en 1910 par le brasseur Louis lambert au n°90 (bien encadré par les n°s des maisons punies ci-dessus), actuellement en rénovation après des années d'abandon. La façade, refaite après-guerre dans le style Arts décos porte le nom de son propriétaire : Bertolotti. (plus d'information sur ce site d'où provient la photo ci-dessous)

palace

J-C Poinsignon écrivait dans le n° 43 de Valentiana de juin 2009 :
     Il faut être bien inattentif, quand on marche dans la « vieille » rue du Quesnoy à Valenciennes, pour ne pas remarquer la façade — aujourd'hui bien lépreuse et barricadée — de ce qui fut naguère (ou jadis, déjà ?) le Cinéma « Gaumont Palace » dirigé par la famille Bertolotti. Son fier pignon couronné de pots à fleurs, veillé par un mascaron, la large fenêtre, au dessus de l'auvent, surmontée d'un balcon où s'étalent, sur fond de mosaïque, les lettres de noblesse du « Palace », la jolie coloration apportée au ciment qui couvre l'ensemble par les ors, les rouges, les verts des petits carrés de céramique, l'élégance des colonnes engagées, d'allure « égyptienne », qui donnent une belle proportion à une façade pourtant enserrée dans une parcelle étroite, le bas-relief de Bottiau, illustrant la Prise de vues, resté veuf, semble-t- il, du pendant initialement prévu pour lui ré-pondre une fois franchie la superbe grille étoilée en fer battu de l'entrée, tout cela attire le regard, suscite l'admiration... et la désolation! Un examen plus approfondi révèle deux noms et une date signant l'édifice : Spadacini-Rabagliati architectes — 1927.


     Le 20 juillet date de départ du Maire [M. le Docteur Tauchon] en déportation à Holzminden, le Commandant leva la punition infligée le 29 juin aux habitants de la rue du Quesnoy.

 

     La Gazette des Ardennes du 24 août 1917, dans sa rubrique régionale rapporte le fait, évidemment dans la version de l'occupant, jetant au passage un peu plus d'huile sur le feu. On sait maintenant, grâce aux notes de René Delame ce qu'il en était.

GdA 19170824

 

 

22 septembre 2016

Bombardements 1916

 

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     Voulant agrandir, nous l'avons dit, le champ d'aviation, le mercredi 5 janvier 1916, l'un des propriétaires voisins, M. Henri Dupont, reçut l'ordre péremptoire de mettre, dans les vingt-quatre heures, sa maison de la Briquette à la disposition du parc d'aviation. Il ne pouvait emporter aucun meuble, aussi fut-il forcé d'accepter l'hospitalité de l'un de ses amis.
Il obtint cependant de laisser sa vieille cuisinière pour garder la maison.

     Le mardi 11 janvier 1916, à trois heures et demie du matin, une formidable explosion nous réveilla en sursaut, faisant trembler les maisons. Je pensais même qu'un dirigeable venait de laisser tomber une bombe sur le Musée tout proche, en entendant le fracas des vitres.
Le matin nous apprîmes que cette explosion avait eu lieu à Saint-Sauveur près de Lille, où les Anglais avaient fait sauter un dépôt de munitions.
Le lieutenant Kollmann, qui logeait chez moi, me dit que les Allemands étaient persuadés que les Anglais avaient creusé un souterrain. Il ajouta que le trou causé par l'explosion était grand comme notre place d'Armes, et que les usines qui se trouvaient à proximité étaient complètement détruites.
L'abbé Eberlé, que je rencontrai chez ma sœur, Mme Delcourt me dit qu'il y avait cent deux tués français, et vingt-huit allemands.
Le plus extraordinaire, c'est que nous ayons ressenti une telle secousse, Lille étant à 54 kilomètres de Valenciennes.
[il s'agit de l'explosion dite "des dix-huit ponts"

 

18ponts13

 

pour plus de voir par exemple ce site ]


Le jeudi 13 janvier 1916, un dirigeable français passant au-dessus de Saint-Saulve, abattit un avion allemand qui le poursuivait; celui-ci alla tomber à Quarouble. Malheureusement, à Wallers, un avion anglais était abattu, et les deux aviateurs tués.
De grands combats aériens devaient se préparer, car les Allemands activaient les travaux de l'aérodrome.


Le 10 mars 1916, les avions français venant plus souvent nous rendre visite, les Allemands se mirent sur leur garde, et plongèrent tous les soirs la ville dans l'obscurité.
Le Commandant Priess adressa au Maire la lettre suivante :

" Je vous prie de donner tout de suite, des ordres aux habitants de toutes les maisons, ayant des façades non garnies de volets  pour qu'ils abaissent les stores des fenêtres aux façades, dès la tombée de la nuit.
" Ceux qui n'en ont pas, devront s'en munir, les plus opaques que possibles.
" Les étalages des magasins ne devront plus être éclairés, ou avoir des stores épais.

Les Allemands, de leur côté, réquisitionnèrent des étoffes pour doubler les stores du Lycée de jeunes filles, afin qu'aucune lumière ne perçât. D'ailleurs, leurs avions faisaient des rondes le soir, et dès qu'ils apercevaient une lumière, les gendarmes se rendaient à l'immeuble indiqué pour faire un procès.

Le 12 août 1916, par une chaleur tropicale, nous reçûmes, à trois heures de l'après-midi, la visite de cinq avions français se dirigeant vers la Belgique. L'un d'eux, avec une hardiesse émotionnante, descendit à 300 mètres environ, au milieu des obus. Les soldats tiraient de leur côté sans atteindre ce vaillant aviateur, que nous suivions des yeux avec anxiété. Après avoir agité un drapeau rouge, il laissa tomber quelques bombes sur les voies de chemin de fer, qui furent endommagées. Malheureusement, quatre civils furent tués, dont un chef cantonnier; un autre ouvrier, transporté à l'hôpital militaire, subit l'amputation d'un bras. Ce ne furent pas les dernières victimes civiles de l'aviation. Il faut dire que beaucoup de Français, à mon exemple, je dois le dire, au lieu de se réfugier dans les caves, suivaient passionnément les péripéties poignantes de ces combats aériens.

Le dimanche 14 août 1916, la canonnade redoublant, la Commandature, qui s'attendait à recevoir la visite d'une quarantaine d'avions français et anglais, était très inquiète. Aussi, dans toutes les maisons, les officiers demandaient-ils à voir les caves pour s'y réfugier en cas de danger.


Les alertes d'avions furent très nombreuses depuis cette époque jusqu'en avril 1917, mais je ne les ai pas mentionnées, la population civile n'ayant pas eu à en souffrir.

Extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

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21 septembre 2016

Valenciennes et l'aviation

 

    Suivant : 1915

 

La ville de Valenciennes terminait l'installation de son champ d'aviation à la "Briquette" et la Société aéronautique venait de se constituer, lorsque la guerre éclata; de sorte que les Allemands trouvèrent des abris et un terrain prêts à les recevoir.

Les officiers aviateurs réquisitionnèrent les maisons de M. Henri Dupont et de Mme Denis attenantes au champ d'aviation, et firent de grands travaux pour les raccorder à la gare de Marly.
Par la suite, ce camp devint trop petit; aussi en installèrent-ils deux autres, l'un à Famars, l'autre à Saultain, organisant des abris recouverts d'arbres superposés les uns sur les autres, pour leur magasin d'essence. Ils creusèrent également une grande galerie sous le Mont-Houy, à proximité de Famars.

Les Allemands qui n'avaient pas encore organisé leurs moyens de défense contre avion, tiraient simplement avec leur fusil, stupéfaits de l'audace des aviateurs français et anglais.
Puis ils reçurent des canons contre avions, qui furent placés aux quatre coins de la ville, et furent munis de grands réflecteurs. Un de ces postes fut établi derrière mon jardin, de sorte que j'étais aux premières loges pour assister à des batailles aériennes, des plus émouvantes.

Dès qu'un avion était signalé, la sirène se faisait entendre pour avertir les habitants de descendre dans leur cave. Dans les rues il y avait des écriteaux, indiquant le nombre de personnes pouvant être admises dans un certain nombre de caves très spacieuses qui devaient rester ouvertes jour et nuit. Ajoutons que, surtout au début, les obus en retombant, tuaient plus de civils que d'aviateurs.
Je dois avouer que rarement je profitai de cet abri, car je tenais à assister à ces combats tout ensemble tragiques et palpitants d'intérêt.

Les escadrilles se composaient généralement de sept avions marchant en triangle, comme un vol de canards; souvent, un huitième fermait la marche.
Immédiatement, les aviateurs allemands prenaient leur vol, et la bataille s'engageait, s'efforçant d'abord de diviser la bande à coups de mitrailleuses, puis essayaient de descendre celui des avions qui pouvait être encerclé.

Parfois, au contraire, l'artillerie seule donnait. Dans un de ces combats, j'eus la tristesse de voir descendre six avions sur sept, tombant, soit en feuille morte, soit en piquant le nez.
L'impression était pénible, et cependant, chaque fois qu'une escadrille était signalée, je montais sur le toit, ou je regardais à la fenêtre, afin d'assister à ce spectacle angoissant, pendant que les officiers allemands, qui avaient une terreur folle des avions, se précipitaient à la cave.

Au début de décembre 1914, les aviateurs français jetaient des fléchettes en acier, qui faisaient des blessures terribles, la plupart mortelles. Ces fléchettes, longues de 12 centimètres, pesaient 22 grammes; lancées à mille mètres, elles avaient la force de 140 kgr., traversant même un cheval. Contenues dans une boîte dont on tirait le fond, les fléchettes tombaient en pivotant, ce qui leur donnait plus de force encore, mais elles furent bientôt supprimées pour épargner les non-combattants.

Extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

       L'auteur termine avec les fameuses fléchettes en acier, cédant à la légende quant à leur force de pénétration, on n'est pas loin de Durandal, épée merveilleuse de Roland, avec laquelle il pourfendait un Sarrasin et son cheval. Doutant personnellement de l'humanité des combattants, on peut plutôt croire que leur efficacité était faible comparé à une bombe et son explosion au sol. Il est vrai cependant que l'image de la blessure à l'arme blanche semble toujours plus prompte à faire frissonner le lecteur que celle de l'arme à feu.

Les Cahiers de la Guerre publiés en 1914, disponibles sur Gallica, les présentent dans "Pourquoi nous serons vainqueurs",

Cahiersdelaguerre1914    Cahiersdelaguerre1914b

 

On pourra lire au sujet des fléchettes, une étude concernant Metz sur le site de Woippy

     Bien entendu la presse s'empare de situations tournant l'adversaire en dérision, comme dans Le Petit Journal Illustré du 15/08/1915, disponible sur Gallica

 

le petit journal 19150815 b

     On remarquera - pour peu que la pluie de fléchettes soit aussi dense, et qu'elles arrivent bien toutes "dans le bon sens" - que le pouvoir de perforation est plus modéré et réaliste.

 

  • Voici la fléchette signalée par Philippe DE BRUYN dans le commentaire ci-dessous :

    flechette
    Photo Ph. De BRUYN

 


 

 

     J'ai rassemblé dans différents sujets de ce blog les témoignages concernant actions aériennes et bombardements dont je dispose, les complétant au fur et à mesure.

 

 

 

21 septembre 2016

Bombardements de 1915

 

  Valenciennes et l'aviation Suivant : 1916

 

     Le 22 mars 1915, à onze heures et demie, des aviateurs français viennent jeter des bombes, visant le champ d'aviation [de la Briquette] et le dépôt de munitions.

La revue l'Aérophile, dans son numéro du 15 avril 1915, relaye le communiqué des Services de l'aviation militaire française :
"
Dans la journée de lundi nous avons bombardé en Belgique la gare de Staden près de Roulers et divers cantonnements. Plusieurs obus ont été lancés avec succès sur le champ d'aviation de La Bruquette (sic) près de Valenciennes."

A l'usine des wagons-lits, il y eut de grands dégâts. Les Allemands, postés à la Pyramide Dampierre, tiraient sur eux, sans les atteindre. L'une des bombes françaises tomba sur la Place Cardon, sans éclater. Les pionniers allemands la firent aussitôt sauter.
 

     Le 19 Avril 1915, un dirigeable français étant venu nous rendre une visite nocturne, et ayant jeté des bombes sur l'usine des wagons-lits à Marly, devenue centre d'aviation pour l'armée allemande, le génie voulut faire installer une plate-forme sur l'ancienne poudrière de la Citadelle, afin d'y placer une batterie contre aéronefs et aéroplanes.

[au lieu dit : "Le pas de cheval", n°122 sur l'extrait de plan des fortifications dressé par Mariage en 1871. La batterie y fut  installée, comme le montre cette photo de Maurice Bauchond (source:MBAV)]

Front sud-ouest de la Citadelle-Ouvrage en terre n° 122 - Pas de Cheval

122 pas de cheval b

Après un examen juridique de la question, examen spécial et bien précis, la Municipalité refusa les équipes qui devaient être chargées d'établir socles et plate-formes. Elle fit valoir qu'il y aurait en cela participation directe de nos concitoyens à des actes indubitables d'hostilité contre leur patrie, et que leur devoir nettement défini par la Convention de La Haye, était de s'abstenir.
La Commandature s'inclina, et l'ordre de réquisitions fut retiré.

Batterie Allemande 75
Une autre photographie de la batterie :
Archives générales Karlsruhe
"Canon de campagne français (75mm) installé sur la citadelle de Valenciennes à des fins anti-aériennes.
Mai 1915"

 

     Le 5 juin 1915, nous avons assisté à un combat d'avions vraiment impressionnant. Les Français survolaient la ville, les canons tirant sur les avions de tête, tandis que les avions allemands attaquaient les derniers avec leurs mitrailleuses, afin de les séparer du groupe.


     Mardi 14 septembre 1915 : les avions viennent de plus en plus souvent survoler la ville. Alors que nous sortions à cinq heures de la Chambre de Commerce, M. Turbot et moi, le canon nous annonça la présence d'un avion français. Il n'était qu'à 1.500 mètres environ, semblant se moquer des projectiles qui éclataient autour de lui. Au lieu de s'éloigner, il scruta l'horizon, faisant le tour complet de la ville. Nous le voyons par deux fois lâcher des pigeons qui devaient rendre compte de sa mission dans le cas où il aurait été mis hors de combat. Après avoir essuyé plus de cent coups de canon, il s'éloigna pendant que tous, nous poussions un soupir de soulagement et d'admiration.

Extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

 Ici se place chronologiquement le Jeudi 23 septembre 1915 l'épisode dit "de l'avion 56"

 

Réné Delame poursuit son récit :

     Le dimanche 26 septembre 1915 : A une heure et demie de l'après-midi, les canons nous annoncèrent la présence d'aviateurs français. Je me trouvais à ce moment, chez M. Charles Dubois, à Saint-Saulve, lorsque nous voyons sortir des nuages à 5 ou 600 mètres de hauteur, un avion qui laissa tomber une première bombe, puis une seconde, qui fut suivie de détonations se faisant d'instant en instant plus fortes et plus fréquentes. L'aviateur, en dépit des obus, revint prendre une photographie pour faire constater qu'il avait atteint son but, un train de munitions faisait explosion. Une colonne de fumée épaisse s'éleva vers le ciel, et les projectiles éclataient en sifflant au-dessus de nos têtes, ce qui nous obligea à chercher un abri.
Trente cinq wagons de munitions firent explosion, aussi les soldats allemands, étaient-ils exaspérés et maltraitèrent-ils ceux de nos compatriotes, hommes et femmes, qui ne circulaient pas assez vite. Un électricien de la rue des Récollets, qui se trouvait sur le toit du Café Français, ayant été aperçu, immédiatement l'immeuble fut cerné, et les Allemands se précipitèrent sur le toit afin de se rendre compte si l'on pouvait faire des signaux, et mettant en prison les personnes qui s 'y trouvaient.
Naturellement, les Valenciennois félicitèrent, dans leur cœur, ce courageux aviateur, qui était venu nous montrer que l'on ne nous oubliait pas de l'autre côté des lignes. Par contre, le général allemand fit des reproches à ses hommes pour n'avoir pas continué la poursuite.
Les Allemands firent ensuite venir une nouvelle escadrille et demandèrent au Maire d'envoyer les maçons de la ville afin de construire un abri pour leurs mitrailleuses, au champ d'aviation. Le Maire, naturellement s'y refusa, ne voulant pas donner ses ouvriers pour des travaux de guerre. L'officier chargé du travail, lui répondit que c'était pour nous protéger. " Cela n'a pas d'importance ", ajouta-t-il, mais il renonça cependant aux travaux.

     La revue l'Aérophile dans son numéro du 15 octobre 1915 relaye les informations de l'Armée britannique : bombardements de Valenciennes le 27 septembre et le 1er octobre.

L'aérophile 19151015
Source Gallica


     Le lundi 4 octobre 1915 : Il semble qu'une grande bataille est en préparation car nous recevons très fréquemment la visite des avions français. En lançant des bombes sur Cambrai, ils blessent ou tuent trente allemands. A Douai, le chef de gare allemand est tué, ainsi que sept soldats. A Aniche, dix-huit bombes sont lancées. Aussi, pour intimider la population, la Commandanture fit-elle placarder une grande affiche rouge. nous apprenant que plusieurs personnes avaient été fusillées à Lille, le 22 septembre dernier pour avoir, six mois plus tôt (le 11 mars) reçu des aviateurs anglais, et les avoir aidés à regagner les lignes françaises.
Ces bons patriotes étaient MM. Camille Jacquet, Ernest de Conninck, Sylvestre Verhulst.

     Le dimanche 14 novembre 1915, à huit heures et demie du matin, trois avions anglais survolaient la ville, et l'artillerie tirait sans les atteindre. A un certain moment, avant de s'éloigner, ils se groupèrent si près les uns des autres, que nous éprouvons une grande émotion en voyant les projectiles menacer de très près leurs appareils.

Des soldats allemands, qui attendaient devant l'église Saint. Nicolas, la fin de la messe pour assister ensuite à l'office protestant, se mirent d'abord à l'abri contre les maisons, mais les shrapnells retombant autour d'eux, l'officier ordonna à ses hommes d'entrer dans l'église. Ils y firent irruption au moment de la communion, sans se préoccuper des fidèles qui s'approchaient de la Sainte Table ; aussi pour éviter le scandale, le doyen fit-il sortir ses fidèles par la sacristie.
Ajoutons que chaque dimanche, les troupes devaient assister à l'office, soit catholique, soit protestant. Les catholiques se rendaient à l'église Notre-Dame, et à Saint-Géry, et les protestants à Saint-Nicolas.


     Le mercredi 15 décembre 1915, à huit heures et demie du matin, nous assistons à un triste spectacle, un combat d'avions ayant lieu à 200 mètres d'altitude. Un gros biplan allemand, nouveau modèle, armé de mitrailleuses, poursuivait un appareil français qui venait d'être offert à l'armée par la ville de Beauvais; il était monté par un sous-officier et un officier anglais. La lutte engagée à Douai, eut son dénouement à Raismes, car l'avion allemand, très puissant, gagna facilement de vitesse l'avion français et le sous-officier vint s'abattre, la tête percée de plusieurs balles, sur le boulevard près du passage à niveau de la gare de Raismes.
L'avion, après avoir tourbillonné, tomba entre les propriétés de MM. Gavrois et Wauters, à peu de distance de la place. Pendant leur chute, M. le Curé, qui assistait à ce combat aérien, donna l'absolution à ces braves ; le Sous-Officier, qui respirait encore, ayant reçu une balle dans le cou, mourut quelques minutes après. Il s'appelait Jackson [sic], était âgé de 26 ans, et avait sur lui la photographie de sa fiancée. L'officier, nommé Hobbes, âgé de trente et un ans, avait dans son portefeuille, le portrait de sa femme et de son bébé! Dans sa dernière lettre, elle suppliait son mari d'abandonner son poste périlleux, semblant avoir eu, hélas, le pressentiment du malheur qui allait la frapper.


Au dire de M. Lepez, Maire de Raismes, l'aviateur allemand aurait maquillé son appareil, ce qui lui avait permis d'approcher son adversaire, et de le mitrailler. D'autres affirmèrent que l'appareil était un avion français, grand modèle, récemment capturé par les Allemands.
Le capitaine Simon, commandant de Raismes, se fit photographier aussitôt la chute, à côté de l'appareil. Six personnes, dont le Curé, M. Paul Piérard, et cinq Conseillers municipaux furent autorisés à suivre le corbillard. Les Allemands avaient mis leurs victimes dans de beaux cercueils, et ils furent ensuite placés par les soins du Maire, dans de beaux coffres en chêne, afin, qu'après les hostilités, les corps de ces braves fussent rendus à leurs familles.

J'arrivai justement à Raismes au moment de ce combat, et fus très impressionné de ce triste spectacle.

     Voir à propos de ce dernier ce sujet :  L'affaire de Décembre 1915  pour plus de détails sur l'accident et sur les deux aviateurs anglais ( en réalité HOBBS, ALAN VICTOR et TUDOR-JONES, CHARLES EDWARD TUDOR ).

 

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