Dr. Charles TAUCHON, Maire
Le Docteur Charles Joseph Tauchon, né le 25 juin 1840 à Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais) était maire de Valenciennes à la déclaration de guerre. Capitaine de Mobiles en 1869, volontaire en 1870, il a fait campagne et a été blessé à Pont-Noyelles à la tête de son bataillon, cité à l'ordre du jour de l'armée, prisonnier de guerre à Glogau pour avoir refusé de s'engager à ne plus servir, il a conservé son grade jusqu'à 65 ans, puis a été désigné comme Président de la commission de réception de vivres de Maubeuge, il y aurait été mobilisé à l'age de 74 ans s'il n'avait été en Mai 1912 élu maire de Valenciennes dont il était conseiller municipal depuis 35 ans.
Le 28 octobre 1898, le Colonel du 127°RI : Fernand, Louis, Armand, Marie de Langle de Cary, futur général, le fait Chevalier de la Légion d'Honneur. Il est vrai que la liste de ses états de service, tant civils que militaires dépeignent un homme au service des autres et de sa patrie. Il est à cette date chirurgien en chef de l'Hospice général de Valenciennes, aussi bien que Chef de bataillon territorial et président-fondateur de la société de tir à l'arme de guerre ainsi que le la société de gymnastique "La Vaillante".
Même si l'on pouvait imaginer les difficultés d'être maire dans une ville de région envahie pour une durée indéterminée (Valenciennes le fut du 24 Août 1914 au 2 Novembre 1918), l'emprisonnement, la déportation puis l'exil n'étaient certainement pas envisagés par un septuagénaire.
Dans" Par la trouée du Nord, La ruée sur Paris en 1914", Robert Corrnilleau raconte :
Je me rendis, avec un grand nombre d`entre eux, [de Blanc-Misseron] à Valenciennes, où notre arrivée, le récit de ce que nous avions vu, causèrent une vive émotion. Le maire, M. le docteur Tauchon, qui, durant toute l'occupation, fit preuve d'une énergie et d'une dignité au-dessus de tout loge, rassura la population et recommanda le plus grand calme. Les troupes françaises ayant évacué la région, Valenciennes, ville ouverte, ne devait avoir rien a craindre... Deux jours après mon arrivée, les Allemands faisaient leur entrée à Valenciennes [le 25 août 1914]. Ils n'étaient guère qu'un millier environ, uhlans et fantassins. Ils occupèrent aussitôt la mairie, la sous-préfecture et la gare, où le drapeau allemand fut arboré et où s'installa le colonel. Auparavant, la Compagnie du Nord avait fait partir tout le matériel. Il ne restait pas une locomotive, pas un wagon en gare de Valenciennes. L'empressement avec lequel les Allemands s'assurèrent de la possession de ce nœud important de voies ferrées, le soin qu'ils mirent à inspecter les rails, les embranchements, le fonctionnement des aiguilles, ne nous furent que trop compréhensibles le lendemain. Nous vîmes, en effet, arriver une quantité de trains allemands qui déchargèrent des régiments entiers. Toutes ces troupes ne firent d'ailleurs que passer à Valenciennes, les unes poursuivant leur route par chemin de fer, les autres à pied. La ville restait complètement calme. M. le docteur Tauchon avait répondu de sa tranquillité. Le premier, il s'offrit comme otage. Les autorités allemandes exigèrent une rançon d'un million, selon certains, davantage même selon d'autres, et des vivres. Puis tous les jours, ce furent des réquisitions. M. Tauchon protesta contre les exigences et les tracasseries allemandes et comme il tenait tête au colonel qui qui s'était institué commandant de la place, ce dernier lui dit un jour brutalement : « Après tout, je commence à en avoir assez de votre ville de Valenciennes. Le docteur-maire répliqua : « Il ne tient qu'à vous de déménager. Ce n'est pas moi qui vous retiens !... Le docteur Tauchon donna la mesure de son courage, quand il refusa d'être complice du coup classique contre les hommes mobilisables. Le colonel présenta au maire l'affiche enjoignant à ceux-ci de venir faire leur déclaration, et lui demanda de la contresigner. M. Tauchon s'y refusa énergiquement : « Fusillez-moi si vous voulez, mais je ne signerai pas cela... On ne le fusilla pas, mais on apposa l'affiche sans sa signature et malgré ses protestations. |
René Delame signale, entre autres :
Les Allemands ne manquaient jamais d'humilier le Maire ou ses administrés. C'est ainsi que la Ville étant menacée de disette d'eau, dont les Allemands faisaient un usage exagéré, le Maire dut prendre un arrêté commençant ainsi : « Nous, Maire de la Ville de Valenciennes, Chevalier de la Légion d'Honneur... » Le Commandant Von Bernstorff, qui devait contresigner l'arrêté, fit supprimer « Chevalier de la Légion d'Honneur ». Les relations de la Ville et de la Commandature, à la tête de laquelle se trouvait le Comte Von Bernstorff, étaient très tendues. Les Allemands devenaient de plus en plus exigeants pour les réquisitions de tous genres. C'est ainsi que M. Tauchon reçut par deux fois l'ordre de livrer tous les fils de fer barbelés qui se trouvaient sur le territoire de Valenciennes, même ceux qui clôturaient les jardins et les prairies. M. le Maire ne répondit pas au premier ordre, mais à la seconde injonction, il adressa au Commandant la lettre suivante : « Je reçois de la Gendarmerie l'ordre de faire enlever, rouler et livrer tous les fils de fer qui se trouvent actuellement dans les jardins et prairies de Saint-Vaast-là-Haut. « Vous comprendrez, j'en suis persuadé, Monsieur le Comte, ce que peut avoir de pénible pour moi l'exécution d'un pareil ordre, et vous consentirez à m'en dispenser. « Avec ce ferme espoir, je vous prie d'agréer, Monsieur le Comte, l'expression de mes salutations distinguées. » Cinq jours plus tard, le brigadier de gendarmerie demandait de faire prévenir par le garde les habitants de Saint-Vaast que l'autorité allemande leur donnait l'ordre d'enlever des pâtures les fils de fer barbelés, de les rouler et de les déposer à l'école pour le 27 juin. Il ne devait rester que deux fils de fer unis en clôture. Le 6 juillet [1917], le Maire se trouvant dans le bureau du Commandant Von Bernstorff, celui-ci demanda brutalement : - Allez-vous enfin livrer les fils de fer barbelés ? Dignement, M. Tauchon lui répondit: - Chaque fois que l'honneur de la Ville ne sera pas en jeu, j'obéirai. Je préfère être fusillé que vous obéir dans les circonstances actuelles; vous-même le feriez-vous? Le Commandant s'étant gardé de répondre à cette apostrophe, ne sut que répéter à maintes reprises: - Vous obéirez, je vous forcerai à obéir |
puis l'auteur retrace l'annonce et le départ :
La séance du Conseil municipal du 18 juillet [1917] fut une des plus émouvantes de l'occupation. Le Maire ayant fait promettre à ses collègues de ne pas divulguer, du moins pour cette journée, ce qu'il allait leur dire, s'exprima en ces termes :
« Messieurs, « Sans me prévenir, M. Billiet s'est rendu une heure après à la Commandature, mais n'a pas été reçu. Pendant quelques instants, les Conseillers restèrent muets d'accablement et de stupeur. M. Lajoie prit le premier la parole, disant que le Conseil ne pouvait laisser partir le Maire ainsi, et proposa. de renouveler la démarche qu'avait faite le matin M. Billiet. C'est alors que fut prise la délibération suivante: « Étant donné, d'autre part, le grand âge de ce vieillard si loyal et si universellement estimé, il prie l'autorité allemande de vouloir bien revenir sur la décision prise, et accéder aux vœux unanimes de ses membres. » M. Billiet n'ayant pas été reçu par le Commandant, nous rendit compte, en ces termes, de son entrevue avec le Capitaine Adjudant de service : Il y eut à ce moment une scène pathétique. Le jeudi 20 juillet, à l'heure indiquée, M. Billiet accompagna M. Tauchon à la Commandature ; on les fit entrer dans l'ancien cabinet de M. Thiroux, transformé en salle d'attente. La Commandature nous avait d'ailleurs prévenus qu'à la moindre manifestation, la Ville serait sérieusement punie. Puis, à dix heures, en ouvrant la séance du Conseil municipal, M. Damien, premier adjoint, s'exprima en ces termes: Après la réunion du Conseil, M. Billiet porta à la Commandature le certificat délivré par le Docteur Mariage sur l'état de santé de M. Tauchon, et demanda au Capitaine adjoint de Puis, M. Billiet ayant été introduit auprès du Commandant pour lui annoncer la prise de possession de ses fonctions, lui exprima l'espoir qu'il avait d'éviter tout dissentiment ou tout heurt avec l'autorité allemande. |
Voici, vu par Lucien FERNEZ, qui parfois égratigne gentiment un certain nombre de Valenciennois dans ses opuscules intitulés "Souvenirs de l'invasion à Valenciennes 1914-1918", publiés dès 1919 où il relate des faits, marquants ou personnels, l'arrestation du Maire, ultime vexation après tant d'autres, comme celle subie dès l'invasion avec l'affaire du Testament de Guillaume .
Le Départ
-+--x--+- La Mairie est située actuellement rue Capron, dans les bâtiments de la Caisse d’Épargne. C'est naturellement là que le Maire se tient à la disposition de ses concitoyens. M. Charles Tauchon était maire avant la guerre et était resté jusqu'à présent le grand manitou de la Mairie. Comme taille il dépasse l'ordinaire, comme âge il a soixante-dix-sept ans ; ses épaules ne sont pas courbées, il a conservé la verticale et malgré tout se porte comme un chêne. Comme physique, un front haut, un nez très accentué en hauteur et au sommet de son appendice nasal est accroché un lorgnon. Les pommettes sont plates, mais une grande moustache et une impériale toutes blanches donnent un certain relief à la physionomie. Figure peu banale, figure qui se maintient dans vos souvenirs et à la deuxième rencontre vous s'écriez tout de suite : c'est Tauchon. Vieux routier, ayant plus d'un tour dans son sac pour la riposte, mais ce qui ne l'a pas empêché un beau jour de recevoir une bombe sur la tête sous forme d'un ordre d'avoir à décamper de Valenciennes dans les douze heures et sans faire de rouspétance. Et voilà pourquoi Charles Tauchon, Maire de Valenciennes a rassemblé mercredi les derniers vestiges du Conseil Municipal. D'une voix grave, émue, émotionnante, il fit à ses chers amis et dévoués collaborateurs des adieux touchants et leur fit promettre de conserver le secret le plus absolu jusqu'à sa complète disparition. Et la simple, imposante, funèbre cérémonie des adieux commença. Ni cierges, si sarcophage, pas d'eau bénite, pas d'absoute. Il se plaça à la porte de sortie et les conseillers, graves et tristes comme le comportent les circonstances, marchant solennellement à la queue leu leu, s'inclinèrent profondément et serrèrent les phalanges de celui qui allait disparaitre. Le Jeudi 19 juillet, vers sept heures du matin, heure d'été, une voiture attelée de deux chevaux, débouchait de la Grand'Place, traversait la rue de Paris et s’arrêtait à la gare pour y laisser descendre un Monsieur accompagné d'un officier allemand qui s'engouffrèrent tous deux dans l'embarcadère. Et en cet instant précis, un bruit se précisait, courrait, volait de bouche en bouche : le maire de Valenciennes était parti pour l'Allemagne dans un camp d'internement. On l'a conduit à la gare : il a disparu simplement sans prendre congé, avec une simplicité spartiate : ni adieux, ni discours, ni fleurs, ni couronnes. C'est fini ! Il a disparu jusqu'au jour de sa résurrection ! Jusqu'au jour où il réapparaitra, lui vieux payen auréolé comme les saints et les martyrs. Juillet 1917. |
Le désarroi des Valenciennois se ressent dans cette relation du départ du Maire, qui s'était tant battu pour sa ville. Ce que le narrateur ne sait pas encore, c'est qu'il s'agit d'une déportation de "représailles". Ceux qui iront à Holzminden, ceux qui seront déporté jusqu'en Lithuanie, dans les camps abominables de Milejgany, Jewie, Roon, qu'on ne peut que comparer aux futurs camps d'extermination, "payent" comme le dit l'occupant, pour une France libre qui ferait à leurs dires subir des outrages équivalents à des ressortissants allemands :
« Vous n'avez qu'à vous en prendre à la France ! »
Même si en temps de guerre, il n'y a pas vraiment besoin de raison, l'occupant prétendait bel et bien en avoir une, qu'il avait exposé fin 1916 dans "La Gazette des Ardennes" et qui servit de prétexte aux déportations :
A leur arrivée en Alsace en 1914, les troupes françaises ont emmené les fonctionnaires impériaux en poste dans les villes sous contrôle de l’armée française ainsi que leur famille. Ceux-ci ont été internés dans des camps en France et en Algérie. De longues tractations ont commencé entre la France et l’Allemagne pour régler leur sort. Afin de faire céder le gouvernement français, les Allemands décident en novembre 1916 de déporter 300 civils du Nord. Ces otages – hommes et femmes – sont choisis dans les mêmes catégories socioprofessionnelles que les Allemands emprisonnés. Parmi eux se trouvent de grands industriels (Prouvost, Pollet, Motte, Masurel, Tiberghien…), des élus, des juristes, des avocats, des médecins… Un début d’accord ayant été signé entre les gouvernements français et allemand, ces premiers otages sont rapatriés en avril 1917. Comme les négociations franco-allemandes piétinent, les Allemands procèdent à une deuxième déportation massive (600 personnes) en janvier 1918. Cette fois, seules les femmes sont internées à Holzminden. Les hommes sont déportés en Lituanie dans les camps de Jewie, Milejgany et Roon, dans des conditions bien plus dures : vingt-six d'entre eux y trouvent la mort. |
On trouve le même article dans "Le Temps" du 12/01/1918
Le Petit Parisien du 1er Septembre 1918
La dépêche de Brest du 4 Novembre 1918
article repris par "Le Cherbourg-Eclair" du 17 novembre 1918
Le Petit Parisien du 23 Novembre 1918
Le Petit Parisien du 28 Novembre 1918
La Presse, du 27 novembre 1918
Il figure en couverture du Petit Journal du 17/11/1918, avec le général Horne.
Le 1er Janvier 1919, le Journal des réfugiés du département du Nord, publiera sa lettre au comité central : il avait repris saplace à la Mairie.
- La tombe de Charles Tauchon au cimetière St Roch de Valenciennes :
- Hommage rendu par la municipalité lors des journées du patrimoine 2014 :
- Courte biographie : Revue Valentiana juin 2000
- Le 3 novembre 1918, soit le lendemain de la libération de Valenciennes, paraissait dans "Le petit journal" du parti social français l'article ci-dessous, sous la plume de Jean Lecocq :