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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
27 janvier 2011

LEGRAND Henri, BEAUVOIS Nicolas, THUILLIEZ Pierre-Joseph

 

HENRI LEGRAND
(07/02/1885-18/02/1918)

 

portrait HLsmall


Nous pensions la question des pigeons terminée, quand le 5 février 1918, la Commandanture faisait afficher l'avis suivant :

" En vertu du jugement du Conseil de guerre de la Commandanture d'Etape 148, du 3 janvier 1918,
l'ouvrier français Huret a été condamné à mort pour avoir fait lâcher un pigeon voyageur avec des nouvelles destinées à l'armée française, au lieu de le remettre à l'autorité allemande avec le parachute et les accessoires trouvés en même temps.
" De plus, le journalier Vandenberg a été condamné à 5 ans de prison pour ne pas avoir averti l'autorité allemande de l'intention de lâcher ce pigeon voyageur avec des nouvelles. "


Quelques jours plus tard, le 25 février, la Commandanture informait la Municipalité de la triple exécution suivante :

Avis


" Les civils de nationalité française, fusillés le 23 de ce mois, à 7 h 15 du matin, selon la loi martiale, pour espionnage :
Legrand Henri, né le 7 février 1885, à Quesnoy-sur-Deûle, professeur, en dernier lieu à Bruay-sur-Escaut ;
Beauvais Nicolas, né le 4 juin 1864, à Rieux, tisserand, demeurant à Rieux  ; 
Thuillez Pierre-Joseph, né le 1er novembre 1870, à Carnières, employé communal, demeurant à Rieux,

   ont été inhumés le même jour au cimetière Saint-Roch, Legrand fosse 66, Beauvais fosse 65, et Thuilliez fosse 64. "

 



NDR : J'ai retranscrit les informations telles que rédigées, n'ayant pas connaissance à ce moment de l'affiche en question, or l'arrière-petit-fils du second fusillé m'avertit que son aïeul se nomme en réalité

BEAUVOIS Nicolas

né le 4 juin 1854 à Rieux (en Cambrésis). Cette information m'a permis de retrouver le dossier d'attribution de la Légion d'Honneur à M. Beauvois, fait Chevalier en 1924, où figurent les circonstances de son décès :

Beauvois_Nicolas_Leonore_FRDAFAN83_OL0159007v003_L

Sa fiche sur le site Mémoire des Hommes :

BEAUVOIS MDH

Voici le récit de l'arrestation de Nicolas Beauvois :

         Aimée BEAUVOIS, fille de Nicolas Beauvois avait trouvé en travaillant dans les champs un panier attaché à un parachute. Celui-ci renfermait un pigeon voyageur avec un questionnaire demendant des renseignements sur les positions des troupes allemandes et l'état de la population.

       Son père, Nicolas BEAUVOIS et le garde champêtre Pierre-Joseph THUILLEZ collaborèrent avec le maire Edouard BOUDAILLEZ à l'envoi des renseignements demandés par le grand quartier général basé à Provins.

Malheureusement l'affaire s'ébruité et ils furent dénoncés.

Nicolas BEAUVOIS et Pierre-Joseph THUILLIEZ furent condamnés à mort et fusillés.
Aimée BEAUVOIS échappa à la mort mais elle fut emprisonnée et torturée. Sa santé en fut profondément altérée et cette épreuve la marqua toute sa vie.
Edouard BOUDAILLIEZ fut déporté et condamné à 10 ans de prison.

A la libération ils furent cités à l'ordre de l'armée et reçurent la croix de guerre.

Document transmis par un petit-fils de N.Beauvois

 

JO 19190620 BEAUVOIS Nicolas

JO 19190620 BEAUVOIS Aimée
Citations de Nicolas BEAUVOIS et de sa fille Aimée
au JO du 20/06/1919, ordre du 8 mars 1919.

 

Récit fait par Aimée BEAUVOIS, décorée de la croix de guerre avec palme :

       Agée de 25 ans, lisseuse de mon état, je fus enrôlée de force par les Allemands. Le 20 octobre 1917, étant occupée aux champs, je trouvai, dans un panier attaché à un parachute un pigeon porteur d'un questionnaire. Je le rapportais à la maison. Là mon père et son ami le garde pierre-Joseph THUILLIEZ, donnèrent tous les renseignements qu'ils pouvaient fournir.
     Malheureusement l'affaire s'ébruita. Mon père et son ami furent arrêtés et fusillés le 23 février 1918.
     Arrêtée également, je fus condamnée à six mois de prison et eus à subir mille tortures physiques et morales.

Document transmis par un petit-fils de N.Beauvois

 

 Nicolas BEAUVOIS et Pierre Joseph THUILLIEZ reposent maintenant au Cimetière de Rieux en Cambrésis.


 

De même :

THUILL(I)EZ Pierre-Joseph Henri

a été décoré de la Légion d'honneur à titre posthumeIl est à noter que la table décennale de Carnières fait état de "Pierre Jh Henri THIEULLEZ né le 2/11/1870", le nom ayant pris l'orthographe actuelle le 27 Janvier 1891. ( Cf Mention marginale de l'acte de naissance)

Les services extraordinaires rendus pour l'obtention de la Légion d'Honneur sont ainsi énoncés :

     "Espionnage par pigeons-voyageurs pour le compte ds armées alliées. N'a pas hésité à lâcher un pigeon trouvé en pays occupé après avoir rempli et signé la fiche de renseignements demandés.
      " Arrêté par les Allemands fut condamné à mort et fusillé à Valenciennes le 23/02/1918"

Avis favorable, Lille le 15 avril 1924
Le Préfet du Nord

 

JO 19190620 THUILLIEZ Pierre Joseph
Citations de THUILLIEZ Pierre Joseph
au JO du 20/06/1919,

 

 Pierre Joseph THUILLIEZ et Nicolas BEAUVOIS reposent maintenant au Cimetière de Rieux en Cambrésis.


 

 

Revenons à Henri LEGRAND :
Le contenu du message, très détaillé, ne laissait planer aucun doute sur la "communication avec l'ennemi", et les renseignements personnels ont trop facilement permis de retrouver leur auteur :

          Conformément à votre demande de renseignements et tenant compte de vos recommandations au point de vue de la précision des notes à vous fournir, un trio d'amis français s’est mis à I'œuvre et vous envoie les documents exacts ci-dessous.
          Du 24 au 27 mars sont passés à Valenciennes par routes venant de la direction de Cambrai 50 000 soldats (Infanterie, Artillerie) se dirigeant vers Mons et Tournai avec canons de tous calibres: 77, 80, 120, obusiers de 24 et nombreux mortiers. Sur la ligne venant du Cambrésis, du 22 au 25, il est passé de nombreux trains se dirigeant vers Mons, matériel et soldats. Pendant ces mêmes dates, nuit et jour, il est passé venant de Valenciennes se dirigeant sur Saint-Amand, 105 trains (Infanterie, Artillerie, munitions, voitures de ravitaillement, matériel du génie, 92 canons de 77 et 8 gros canons d’artillerie lourde). Il y a actuellement dans la ville d’Anzin un dépôt de 600 chevaux, 2 colonnes de boulangerie avec fours en maçonnerie, 12 colonnes formant 250 autos venant du front de la Somme. En outre : 5° et 6° Compagnies du 127° d’Infanterie, 2° et 3° Compagnies du 93° d’Infanterie, 2 Compagnies du 86° d’Infanterie, une école d'artillerie, de T.S.F. et de téléphone, 1 compagnie du 261° pionniers, 2 batteries d’artillerie lourde, 2 colonnes de munitions. Cette ville est prévenue de préparer des logements pour un Etat-Major général très important. Le 86° régiment du Génie d’Hambourg est réparti entre Bruay, Beuvrages, et Aubry. Beuvrages a en outre une section de mitrailleuses et un dépôt de chevaux. Bruay a 3 batteries du 45° Régiment d’Artillerie légère (de 77 mm.), Petite Forêt, Denain et Hérin ont de l’Infanterie (sections de mitrailleuses) et autres troupes. A Fresnes et à Condé, les 132° et 134° Régiments d’Infanterie et autres régiments sont en voie de reformation. Ils exécutent chaque jour des exercices à la grenade. A Flesquières, près de Cambrai, il est établi une forte ligne de tranchées. Derrière cette ligne le terrain est libre jusqu’à Valenciennes. Un dépôt de munitions se trouve aux forges de Denain, au Bessemer.
         A Anzin, l’établissement de l’Escaut-et-Meuse fait la réparation des canons. A Valenciennes de nombreuses réunions d’officiers supérieurs au nombre de 100 dont 30 Généraux (Allemands, Autrichiens, Turcs, Bulgares) se tiennent au nouveau Musée et prennent leurs repas à l'Hôtel du Commerce. Chaque matin ils vont en auto à Vendegies-sur-Ecaillon, Monchaux, Somain-sur-Ecaillon, où de grands exercices d’Artillerie ont lieu. Valenciennes est occupée par de nombreuses ambulances établies dans les grandes maisons de la ville.
         Nous avons la sensation que nos ennemis veulent parer ou préparer une offensive importante vers l’extrême ouest, côté Nord. Toutes les troupes en repos sont en général mal nourries. La population de notre région endure vaillamment les souffrances de toutes natures. Elle est calme, confiante et escompte une délivrance prochaine. Il serait encourageant pour tous si vous pouviez de temps à autre nous semer par la voie des airs vos journaux intitulés « La Voix du Pays » qui relateraient l’exacte vérité sur notre situation militaire.


Vivent notre chère France et ses Alliés.


Brigadier retraité
Rue de Millam à Watten (Nord) 
L'oncle de Paul et de Jeanne 
1er avril 1917

 

 

René Delame continue :
Je fus d'autant plus attristé de cette exécution que Henri Legrand avait été mon voisin de cellule pendant les dix-sept jours que je passai à la prison Saint-Jean. J'avais obtenu qu'il vînt chaque jour dans ma cellule, pour m'aider à faire le ménage que nous prolongions le plus longtemps possible, sous la surveillance de la sentinelle.
Il put cependant me dire qu'il fut instituteur à Bapaume, et avait été recueilli, lors de son évacuation, par M. Hélart, qui l'avait fait entrer comme professeur à l'école primaire de Valenciennes, où il avait fait venir sa femme, qui était également institutrice à l'école communale de Bruay.
Naturellement, il me raconta les motifs de son arrestation : le 30 mars 1917, il avait trouvé six pigeons voyageurs près de la fosse Thiers, porteurs d'un questionnaire auquel il avait répondu, après avoir pris les renseignements auprès de trois de ses amis.
Le 1er avril, il relâchait ses précieux pigeons messagers, ayant signé la réponse au questionnaire, ce qui fut sa perte, un pigeon ayant été capturé près de Landrecies par les Allemands.
Après avoir ouvert une enquête auprès de cent trente-neuf familles portant le nom de Legrand, l'autorité allemande le découvrit à Bruay, et il fut arrêté un mois plus tard, alors qu'il terminait son cours à Valenciennes.
Au début de sa captivité, enfermé dans un cachot, les Allemands le traitèrent très durement, pour le faire parler ; mais ils y renoncèrent, Legrand ayant supporté cette terrible épreuve avec une grande énergie. Il me dit : " Nous étions trois qui avions rédigé la note, nous avions juré que quoi qu'il arrive, nous ne nous vendrions pas. " Sans jamais vouloir me les nommer, il me répétait chaque matin : " Dites aux amis de ne pas avoir peur, je ne mangerai jamais le morceau. "
Il tint parole ; aussi ai-je conservé pour lui toute mon admiration pour son courage, sa discrétion et sa résignation.
Chaque dimanche, sa femme venait à la prison, essayant de le voir ; seule, sa petite fille, mignonne blonde, était autorisée à monter dans sa cellule, le poste allemand lui refusant impitoyablement d'embrasser son mari.
MM. Baron et Golder ayant réussi à me faire passer quelques tablettes de chocolat, je les conservais précieusement et les remettais à Legrand qui, le dimanche, les offrait à sa fille ; celle-ci, joyeuse, demandait innocemment à son père " où étaient ses élèves et quand il recommencerait la classe "
Au bout de dix minutes, la sentinelle venait reprendre l'enfant, qui s'était à plusieurs reprises jetée dans les bras de son père. Mais la double porte se refermait, et j'entendais un sanglot, auquel je m'associais.
Quoique le rassurant, et lui donnant espoir (bien que pensant son cas très grave) je lui passai une Imitation que j'avais emportée dans ma cellule, et lui recommandai d'en lire quelques passages.
Le lendemain, il me fit cette réflexion : " Il y a de bien belles choses dans ce livre, jamais on ne m'a appris cela. "
Après ma libération, ayant une très grande estime pour mon voisin d'infortune, je ne cessai de m'intéresser à lui, espérant toujours qu'il ne serait pas condamné à mort. Il tint parole, et " ne mangea pas le morceau " , mourant en brave, sans forfanterie, pour la France.
Aussi, ne puis-je que féliciter le Comité, présidé par M. Jean Saint-Quentin, qui prit l'initiative d'ériger un monument à ce glorieux instituteur qui, devant la mort, sut garder son secret.
Cette œuvre, admirablement exécutée par Desruelles, représente bien Legrand tel que je l'ai connu, debout, dans une attitude ferme et résignée, attendant la mort.
L'inauguration en eut lieu le dimanche 22 juillet 1928, sous la présidence de M. Hudelo, préfet du Nord.
Je ne puis mieux faire que de reproduire un extrait du discours que prononça M. Jean Saint-Quentin, adjoint, en remettant le monument à la Ville.

Extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933


  • Extrait de la dernière lettre de Henri LEGRAND à son épouse :

    (...)      
    Embrasse bien mes parents pour moi.
    Oui que mes parents bien aimés sachent qu'ils ont occupé une large place dans les dernières heures de ma vie.
    Console-les bien, montre-toi bien affectueuse envers eux, je suis heureux qu'ils puissent reporter l'amour qu'ils me témoignent vers notre fille Claude qui j'en suis persuadée saura leur rendre.
    Embrasse également tes parents pour moi, ils ont toujours été si bon pour moi.
    Je passe cette dernière nuit avec deux condamnés à mort de Rieux, mes amis Beauvois le tisseur et Thuilliez le garde-champêtre, nous saurons tous trois mourir en braves.

    Document transmis par un petit-fils de N.Beauvois

     

  • Document que publia le Petit Valenciennois, dans son numéro du 28 juillet 1928

DISCOURS DE M. JEAN SAINT QUENTIN

Mesdames, Messieurs,

Le 30 mars 1917, à dix heures et demie du matin, un aéroplane français vint survoler le territoire de la commune de Vicq, et lâcha six pigeons attachés par des corsets à un petit parachute et un sachet contenant des instructions.
Le tout fut ramassé par M. Achille Coupin, électricien à la Compagnie des Mines d'Anzin, demeurant à Bruay-sur-Escaut, et fut déposé par lui chez M. Henri Legrand, professeur à l'Ecole primaire supérieure de Bapaume, évacué à Bruay depuis le 17 octobre 1916, professeur intérimaire à l'Ecole primaire supérieure de Valenciennes.
Tous deux se rendirent chez M. Mathieu Hélard, maire de Bruay-sur-Escaut, et lui demandèrent si, par sa situation, il pouvait fournir les renseignements désirés.
Des démarches furent immédiatement tentées par lui auprès des personnes dignes de confiance, notamment M. le docteur Tauchon, maire de Valenciennes.
Dans la nuit du 30 mars, MM. Legrand, Coupin et Hélard résumèrent de concert les renseignements recueillis. La transcription fut faite à la main en six exemplaires, dont quatre copiés par Henri Legrand, et deux par Mme Henri Legrand. Les pigeons furent relâchés le 1er avril, à cinq heures du matin. Le document confié aux pigeons se terminait par ces mots :
La population de notre région endure vaillamment les souffrances de toute nature. Elle est très calme, très confiante, et escompte une délivrance prochaine.
Il serait encourageant pour tous si vous pouviez de temps à autre amener par la voie des airs vos journaux intitulés La Voix du Pays qui relateraient l'exacte vérité sur notre situation militaire. Vivent notre chère France et ses alliés.
Et en forme de signature, ce fut certes une imprudence : Brigadier retraité, rue de Millam à Watten (Nord), l'oncle de Paul et de Jeanne, 1er avril matin.
Pour authentiquer sa missive, Henri Legrand avait signé sa condamnation à mort.
A la façon des soldats de la Révolution, au moment d'envoyer le document, un pacte d 'honneur avait été conclu entre ces trois braves, s'engageant dans le cas où l'un serait arrêté, à ne jamais faiblir et à supporter seul le courroux de l'ennemi.
Un des pigeons tomba à Landrecies dans les mains des Allemands.
En mai, Henri Legrand terminait son cours à l'Ecole professionnelle, lorsque deux officiers allemands se présentèrent et lui imposèrent la dictée du document. Il eut aussitôt l'impression qu'il était perdu. Il le dit à M. Adde, son directeur. Aux conseils de fuite qui lui étaient donnés, il refusa de se conformer, dans l'intérêt des siens.
En juin, il était arrêté définitivement en sortant de classe, et conduit à la prison du patronage Saint-Nicolas. Une minutieuse instruction commença aussitôt.
Son premier interrogatoire devant un Conseil de Guerre eut lieu le 23 janvier 1918.
Avec force d'âme, il entendit requérir contre lui, sans frémir, dit-il, la peine de mort.
Aucune décision ne fut prise à cette audience.
Un deuxième Conseil de Guerre se réunit le 18 février, et cette fois, le condamna à mort pour crime de haute trahison et participation à un acte d'espionnage. A chaque audience, il fut assisté d'office en des plaidoiries que, pour l'honneur de la défense, il qualifie d'énergiques.
Son système était habile, la preuve n'était pas faite. Une enquête avait été menée sur cent trente-neuf familles du nom de Legrand. Une expertise en écriture apportait son incertitude complémentaire : à tous les arguments il avait trouvé une réplique plausible et péremptoire, le doute aurait dû lui bénéficier. Mais, malgré une protestation d'une logique serrée, la peine fut confirmée le 19 février.
Sa grâce, au moins, aurait dû aboutir ; présentée le 20 février, elle fut refusée, et il fut fusillé le 23 février 1918, par un matin brumeux, sur le champ de tir, et sans que personne de ceux qui n'avaient cessé de l'entourer de leur vigilance affectueuse eût été avisé.
Contre lui, comme le Lillois Jacquet et ses amis, s'étaient dressées les rancunes de l'occupant qui ne pardonnait pas la haine ou l'ironie dont il se sentait entouré par l'occupé, avec la rage peut-être de sentir s'approcher l'effondrement de son entreprise sinistre.
Legrand avait tenu sa parole d'homme, accompli son devoir de citoyen et de soldat non mobilisé, donné un exemple de Français et ajouté un nouveau titre à la gloire des instituteurs.
Imaginons, au cours de cette détention qui dura huit mois et d'une procédure remplie d'alternatives d'espoirs et de déceptions, cette volonté constamment tendue pour vaincre le mauvais sort, pour donner à son argumentation la force persuasive pour conserver le silence sur la vérité qu'il détenait et qui aurait livré, dans une minute d'inobservation, ses collaborateurs.
Un de ses codétenus qui, tous les matins, s'entretenait avec lui, nous a rapporté son admiration pour son courage, sa discrétion et sa résignation.
Il se savait condamné, et attendait la mort froidement, la mort solitaire du condamné, sans entraînement ni apparat, si différente! de celle du soldat, avec la dignité stoïque qu'il avait enseignée à des enfants.
Dans une guerre qui devenait chaque jour plus méthodique, lui, que les conseils de révision avaient écarté, pour sa plus grande tristesse, il voulait quand même, serviteur et fils de serviteur de la France, prendre part à la lutte : il voulait servir.
L'occasion s'était offerte, et désormais, il avait le strict devoir de se taire, la bouche serrée, comme quiconque au cours de cette vaste captivité qu'est l'occupation, devait craindre que le propos le plus anodin ne puisse permettre les inductions de l'ennemi.
De ce silence nécessaire à l'amitié et à la patrie, ce monument est le symbole.
Il synthétise aussi la résistance de toute une région, la nôtre, pendant les années abominables. Sous la faim, sous la pression, sous l'abus de la force, une population de femmes, d'enfants, de non-armés, enragés par une occupation abhorrée et sans fin, a conservé jour après jour, le sang-froid, la vaillance et le sourire souvent, et toujours la confiance et l'espoir, s'ingéniant à pratiquer la guerre avec les seules armes à sa disposition, celles auxquelles ont recouru tous les opprimés pour secouer le joug, recouvrer leur liberté et leur indépendance.
Legrand est mort en se proclamant innocent, et il l'était en vérité du point de vue de la conscience humaine ; c'est le fait de la guerre qui a créé son crime, c'est la guerre seule qui, dans sa déformation monstrueuse, a renversé la parole venue du fond des siècles, et que Legrand enseignait à ses élèves :

" Aimez-vous les uns les autres. "

 

 

  • Le 16 Septembre 1919 a lieu une cérémonie à Bruay sur Escaut où il enseignait, avant rapatriement de sa dépouille à Watten

Mardi 16 Septembre 1919 Bruay sur Escaut b

 

  • Le monument de Valenciennes, place des Acacias, œuvre de Félix-Alexandre Desruelles, né en 1865 à Valenciennes et décédé en 1943 à La Flèche :

monument

On peut y lire en bas à droite "Se dévouer pour la Patrie "

  • Lors de la guerre suivante, soldats Allemands posant  sur le monument :

monument2

 

  • Ebauche taille réduite de la statue, exposée à Valenciennes pour les journées du patrimoine 2014 :

    Ebauche

  • Dans une communication du 23 NOVEMBRE 1998,   M. Raymond DURUT ajoute

La police militaire allemande agit avec son efficacité habituelle : 150 LEGRAND et parmi eux Henri sont interrogés, le 10 avril il doit recopier, sous surveillance policière, le message délictueux. Il le fait sans manifester d’émotion apparente. Deux jours après il est arrêté et incarcéré. Il a refusé de fuir pour ne pas exposer sa famille. Interrogé il se défend habilement, mais refuse la libération qui lui est offerte contre renseignements et dénonciations. Il réussit à faire passer en fraude des lettres à sa famille dans lesquelles il fait part de sa détermination.

En janvier 1917 il comparait devant un conseil de guerre, et se défend pied à pied, n’avouant rien. Il affirme ne pas connaître la région où il a été évacué, ne pas y avoir d’amis. Le plan des tranchées creusées près de Marcoing lui est particulièrement reproché : le document accusateur a été rédigé 5 mois après son départ de cette région. La similitude des écritures est, dit-il, sans signification : ses fonctions d’enseignant faisaient connaître son écriture par plus de 400 personnes qui pouvaient l’imiter.

Malgré ses dénégations, l’accusé est condamné à mort. Il est fusillé le 23 février 1918, ayant conservé jusqu’au bout sa courageuse attitude.
Son corps sera exhumé au lendemain de la guerre. On trouve dans son portefeuille une ultime lettre dans laquelle il renouvelle son affection pour les siens et affirme avec force son innocence : il voulait disculper sa famille si cette lettre était lue par les occupants.
Il repose depuis le 16 septembre 1919 à Watten.

 

  •  Citation de Henri LEGRAND au JO du 20/06/1919

    JO 19190620 LEGRAND Henri

  • Le 24 Octobre 1919, le Journal officiel publie une liste de "citoyens Français qui se sont particulièrement distingués au cours des hostilités. On y trouve page 11797 sa citation :
    "Le Gouvernement porte à la connaissance du pays la belle conduite de :" :

    JO 19191024 LEGRAND Henri




  • Henri Ferdinand Joseph LEGRAND né le 7 Février 1885 à Quesnoy sur Deule (Nord) est fait Chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume le 15 avril 1924 :

FRDAFAN83_OL1561024v003_L


"M. Legrand ayant trouvé des pigeons voyageurs dans la plaine de Bruay-Thiers, remplit les questionnaires qu'il trouva sur ces volatiles indiquant les mouvements de troupes, le commandement des unités allemandes, etc. Les pigeons furent lâchés le 18 avril 1917 au matin, mais l'un d'eux fut abattu et quelque temps après, au moyen d'expertise d'écriture, il fut découvert que l'auteur des renseignements était M. Legrand. Celui-ci fut arrêté aussitôt et, après 11 mois de cellule, passa devant le Conseil de Guerre allemand qui siégeait à Valeniennes. Condamné à mort, il fut fusillé en cette ville, le 19 Février 1918."

 

  • Henri LEGRAND a été fusillé au champ de tir du Rôleur,  il n'est cependant pas indiqué dans l'acte de décès dressé le 26 février qu'il a été fusillé, seulement "décédé" sur ordre de la commandanture signé de Von Witzendorf Major et Commandant. Il en est de même pour ses compagnons BEAUVOIS Nicolas et THUILLIEZ Pierre-Joseph. Rien à la lecture de l'acte ne laisse deviner qu'il s'agit d'une exécution.

  • Le lieu est le même que pour CANONNE Alfred,  COTTEAU Edouard,  HERBAUX Victor,  fusillés le 16 octobre 1917 pour espionnage.

voir la page du blog qui leur est dédié

 

  • C'est au même endroit que le 28 Août 1944 les nazis fusilleront avant de s'enfuir 21 civils dont les noms figurent sur le monument à l'entrée de l'ancien champ de tir (Bacquet François, Charon Isidore, Cuvelier Pierre, Denys Damien, Farineau Arthur, Farineau Léon, Farineau Arthur fils, Farineau-Deker Clémence, Fabry Gilles, Gontier Jean, Kulpa Charles, Kulpa-Krass Madeleine, Krupa Jean, Lecocq Laurent, Lutas Jean, Millot Albert, Perrin Louis, Perrin Denis, Persiaux César, Pichon Albert, Riquoir Louis.)

Roleur
(photo de l'auteur)


.

  • Le 10 février 1924 le Journal Officiel publie le décret lui attribuant de la Médaille de la Reconnaissance Française de 1ere classe (vermeil) :

  • Le même journal publie le décret attribuant de la Médaille de la Reconnaissance Française de 2ème classe (argent) à son épouse :

 

 


 


     Si je n'ai encore rien trouvé de très précis sur le maire, M. Edouard BOUDAILLIEZ, j'ai  retrouvé dans le dossier de la Légion d'Honneur de son prédécesseur,  Auguste Henri DISLAIRE, officier d'académie, Croix de guerre, né le 9 Janvier 1876 à Rieux, y décédé le 27 juillet 1921, les "Détails sur les services extraordinaires" :

     "Est resté à son poste au moment de l'invasion. A organisé un service de renseignements pour les alliés pendant l'occupation. Dénoncé il fut condamné à 10 ans de travaux forcés et accomplit 39 mois de cellule à Reimbach [sic pour Rheinbach au sud de Cologne].
    " Décédé le 27 juillet 1921 des suites des mauvais traitements subis."

          Lille le 22/2/1924, le Préfet du Nord.


Voir également sur ce blog

 

      Le 14/07/1919, le Journal Officiel de la République Française publie l'une des liste de citations "Le Gouvernement porte à la connaissance du pays la belle conduite de :"
On y trouve page 7305 celles des deux maires de Rieux :

Dislaire_Boudailliez_BC

 

 

 

 

 

 

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26 janvier 2011

ORCHIES (Nord)

 

LA DESTRUCTION D'ORCHIES
(Septembre 1914)

 

Valenciennes ayant été occupée par les Allemands le 25 août 1914, et n'ayant plus aucune communication avec le reste du pays, nous ignorions complètement les événements tragiques qui se déroulaient autour de nous. Ce sont les Allemands qui se chargèrent de nous annoncer leurs tristes exploits.
Le dimanche 20 septembre, les troupes françaises ayant quitté Orchies, deux autos allemandes y entrèrent pour reconnaître les cinquante-cinq blessés qui se trouvaient à l'hôpital, et prendre les mesures nécessaires pour les emmener en captivité.
Mais le mardi 22 septembre, les troupes françaises vinrent de nouveau occuper la ville. Le lendemain, le détachement Sontag se trouva aux prises avec l'ennemi et les coups de feu éclatent sur les lignes des avant-postes à la lisière sud d'Orchies.
J'avais été surpris de voir partir du lycée de Jeunes Filles de Valenciennes, converti en hôpital, des infirmiers en tenue, avec revolver au côté.
A 10 heures 1/2, un convoi venant chercher à Orchies les blessés, se composant de sept autos allemandes, accompagnées d'une auto mitrailleuse, fut aperçu par le poste fourni par la première compagnie du 6° chasseurs. La route a été barrée, et la sentinelle est placée assez loin en avant. Ajoutons qu'aucune de ces voitures allemandes n'arbore le drapeau de la Croix-Rouge, seules les insignes étaient peintes sur le côté.
Le major qui se trouvait dans la première voiture, apercevant la sentinelle française descend précipitamment, revolver en main, et la tue à bout portant.
Le poste riposte, mettant hors d'usage trois automobiles, tuant six de leurs occupants, pendant que les autres rebroussaient chemin vers Saint-Amand, racontant naturellement que des Français francs-tireurs ont tiré sur les infirmiers.
Le major est découvert, caché dans un fossé par un peloton du 6° chasseurs accouru au premier coup de feu. Le capitaine de Chérisey vérifie le revolver de son prisonnier, et constate que plusieurs cartouches ont été tirées.
Quoique armés, il est à supposer que les Allemands ignoraient la présence des troupes françaises à Orchies, et croyaient en prendre possession comme de Saint-Amand et de Valenciennes, sans coup férir.

Le détachement qui arrivait tranquillement en automobile, avait probablement pour ordre d'occuper la Mairie, d'arrêter la municipalité, de lui imposer une contribution, et de préparer le cantonnement. Mais la réception qui leur fut faite par les avant-postes, leur fit au contraire se rendre compte que la ville était occupée par des troupes de toutes armes.
Comme il fallait s'y attendre, les Allemands revinrent en force, le lendemain, à sept heures du matin, au milieu d'un épais brouillard, ce qui leur permit de s'approcher des avant-postes, dont ils avaient reconnu l'emplacement. Une mitrailleuse allemande ouvrit tout à coup le feu, à une courte distance, dans la direction des faubourgs d'Orchies, qui, vraisemblablement devaient être occupés par les nôtres.
Ce tir au hasard n'eut produit nul effet si le chef du premier bataillon, commandant Gardechaux qui s'était porté sur la ligne des avant-postes pour essayer, malgré le brouillard de reconnaître lui-même les positions de l'ennemi, n'en était revenu bientôt atteint d'une balle et hors de combat.
Le commandement du bataillon passa aussitôt au capitaine Duchennoy de la 4° compagnie, qui donna l'ordre de se porter en avant, et de s'y maintenir à tout prix.
Le brouillard se dissipa vers 9 heures, et l'on put se rendre compte que de gros détachements ennemis suivaient l'un la route de Saint-Amand, l'autre la voie ferrée de Somain à Orchies.
Le lieutenant-colonel Boucheseiche, commandant le 6° chasseurs, accouru en automobile, vint se rendre compte de la situation.
Il fit alors canonner vers 10 heures les positions ennemies, par la 4° batterie Dansac, qui avait été placée près de la garé d'Orchies, ayant en soutien un peloton du 6° chasseurs.
Un excellent repérage fait par le lieutenant Caullery, permit à la batterie d'atteindre à 3.000 mètres un important détachement ennemi à proximité de la forêt de Marchiennes, cinquante-six tués restent sur le terrain.
Mais l'infanterie ennemie supérieure en nombre, ayant reçu l'ordre de prendre Orchies, obligea les compagnies françaises qui occupaient les faubourgs à se replier découvrant ainsi l'artillerie Dansac qui, se trouvant elle-même dans une position critique, se vit dans l'obligation de se reporter en arrière d'Orchies, sur la route de Pont-à-Marcq.
Le général Plantey, qui, à Douai est tenu au courant de la marche du combat envoie par un cycliste l'ordre de reprendre Orchies, annonçant l'arrivée de renforts.
En effet, vers 14 heures, arrivent, par la route de Coutiches, plusieurs autos mitrailleuses anglaises, et la 41° batterie, qui, moins rapide se montra sur la route d'Orchies.
Le général Plantey fait partir de Raches, deux compagnies du 3° bataillon du 6°, lesquelles seront deux heures plus tard rendues à Orchies.

Les renforts encouragent le 1er bataillon, et les mitrailleuses anglaises qui prennent l'ennemi de flanc, balayent la route de Saint-Amand. Le 1er bataillon contre-attaque alors Orchies, dont la lisière est toujours tenue par la brave compagnie de Marguerie. Et avant que les deux compagnies et la batterie de renfort soient arrivées, la ville est reprise.
A 6 heures du soir, l'ennemi l'a entièrement évacuée, et se retire sur Saint-Amand.
Mais le lieutenant-colonel Boucheseiche veut poursuivre ce succès et couper la retraite de l'ennemi vers Saint-Amand en le rejoignant vers l'est.
La 3e compagnie placée dans le faubourg ouest qui est maintenant dégagé reçoit l'ordre de déborder la gauche allemande, et le peloton du 6e chasseur devra se rabattre sur ces derrières.
Malheureusement la nuit tombe, les troupes sont fatiguées par ce combat d'une journée, le mouvement est effectué avec lenteur et l'ennemi peut échapper à ce mouvement enveloppant, après avoir incendié cinq maisons à la sortie de la ville.
Le combat est terminé, les renforts qui arrivent n'ont plus qu'à retourner à Douai et à Raches. L'ennemi laisse quarante tués, trois blessés, onze prisonniers. Du côté français, il y eut également quelques tués, trente blessés, qui sont évacués sur Pont-à-Marcq et sur Lille.
Hélas! nous n'avons pas joui longtemps des suites de cette victoire. Le soir-même, alors que les Allemands se retirent sur Saint-Amand, les Français se replient sur Douai où ils sont rappelés d'urgence : Orchies est donc évacué en même temps par les vainqueurs et les vaincus.
La journée du 24 s'est donc terminée par deux succès, puisque les Allemands ont été rejetés d'Orchies et arrêtés devant Douai.
Le départ des troupes françaises après une journée d'angoisse, cause parmi la population d'Orchies une panique épouvantable. Le Maire réunissant tous les habitants leur conseille de prendre immédiatement la fuite ce que beaucoup firent sans même rentrer chez eux. Les Pères jésuites Lavigne et Cardon qui se trouvaient en ce moment dans la ville et qui avaient suivi le mouvement, reviennent sur leurs pas en auto pour enterrer les morts ; déjà le Père Ignace était à l'œuvre quand un cycliste arriva leur disant de fuir car les Allemands arrivaient.

Le 25 septembre, fut pour Orchies une journée mémorable, rappelant celles tragiquement célèbres de Louvain et de Dinant.
Je me trouvais ce matin à l'Hôtel de Commerce pour le service de la ville, quand un officier me dit : " Nous allons incendier Orchies."
En effet, la compagnie des pionniers, sous les ordres du major Dittel partit de Valenciennes en tramway pour Saint-Amand et de là à Orchies, avec le matériel incendiaire. Dans chaque maison ils brisaient les fenêtres, projetaient de l'essence dans les chambres, et jetaient ensuite des pastilles noires qui s'enflammaient ainsi que des grenades et communiquaient le feu à la maison entière.

Bientôt, Orchies ne fut plus qu'un immense brasier, et quand le lendemain le Père Lavigne revint, la ville était encore en flammes.
Le soir même, je revis, par hasard, l'officier qui avait assisté à ces terribles représailles ; il me dit cyniquement : " Orchies est rayée sur la carte de France, la ville est complètement détruite."
Malheureusement, pendant la nuit des cadavres étaient mutilés, on ne sut jamais par qui. Aussi, les Allemands purent-ils dire que leurs blessés avaient été achevés sans pitié,
Nous dûmes nous rendre à l'évidence quand le commandant de place, major von Mehring fit afficher en gros caractères, sur papier rouge, l'avis suivant sur les murs de notre ville:

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AVIS

        J'ai été malheureusement forcé d'appliquer les mesures les plus sévères édictées par les lois de la guerre contre la ville d'Orchies, En celle localité furent attaqués et tués des médecins, des membres du personnel médical et assassinés une vingtaine de soldats allemands. Les pires atrocités furent commises d'une manière incroyable (oreilles coupées, yeux arrachés et autres bestialités du même genre).
        J'ai en conséquence fait détruire complètement la ville. Orchies, autrefois ville de 5000 habitants, n'existe plus : Maisons, Hôtel de Ville, Eglise, ont disparu, et il n'y a plus d'habitants,

Le Commandant de la Place
MAJOR VON MEHRING

Valenciennes le 27 Septembre 1914,

 

Au moment où la colonne Sonntag avait quitté Orchies, le canon tonnait sans interruption dans la direction de Cambrai, indiquant d'importants engagements et l'approche imminente de l'ennemi.
L'occupation d'Orchies s'imposa donc à l'attention du général Plantey, car il était de toute nécessité de garder ce point important, où se maintenait la liaison entre les troupes opérant à Douai, et celles qui venaient d'arriver à Tournai.
La colonne Sonntag quitta donc Douai le matin du 27 septembre en direction d'Orchies. Elle comprenait les 2° et 3° bataillons du 8°, la 42° batterie, et deux escadrons de spahis. Cavalerie et artillerie s'y rendirent par voie de terre, l'infanterie par voie ferrée. Le train qui les transportait dut aborder Orchies, en faisant un large détour par Seclin et Templeuve, probablement pour faire croire à l'ennemi que les troupes arrivaient en nombre.
La colonne Sonntag se trouva donc pour la troisième fois devant Orchies. Comme on avait signalé à tort la présence de l'ennemi dans cette ville, la marche fut prudente.

La vue qui s'offrait dès qu'on y pénétra, ne saurait être oubliée. Il n'existait plus que des murs noircis, disparaissant au milieu d'une épaisse fumée bleuâtre ; l'âcre odeur de l'incendie prenait à la gorge ; silencieux les soldats regardaient ce triste spectacle. C'est ainsi que le commandant Maufait, qui faisait partie de la colonne put adresser cette phrase à l'un de ses sous-officiers, M. Verschaeve :
" Vous voyez, Monsieur le professeur de droit, voilà comme on respecte le droit des gens." Celui-ci qui séjourna près d'Orchies du 27 au 30 septembre, put ainsi recueillir des témoignages intéressants sur cette tragique exécution. Bientôt cependant, la colonne Sonntag dut battre en retraite, les Allemands marchant en force considérable sur Lille. Quelques heures plus tard, comme quelques maisons avaient été épargnées près de la gare, les habitants revinrent peu à peu, et le Père Lavigne qui était demeuré, se multipliait pour leur venir en aide.
Cette fois, les Allemands étaient bien les maîtres de la ville, et le 24 octobre, le commandant de la place, colonel Priess pouvait afficher la proclamation suivante :

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PROCLAMATION

"A partir d'aujourd'hui, le citoyen Joseph Carpentier est nommé Maire de la ville d'Orchies.
"Le Maire est tenu de rétablir et maintenir l'ordre dans la commune.
"Trois habitants assureront le service de la police dans la, commune, ils seront porteurs d'un brassard et les habitants devront strictement suivre leurs ordres.
"Tout individu, rôdant ou fouillant parmi les débris des maisons abandonnées sera arrêté, et remis aux autorités militaires.
"Le commandant compte que la population aidera le Maire à rétablir l'ordre le plus vite possible."

Le Commandant de Valenciennes
PRIESS             
Lieutenant-Colonel      

Valenciennes, le 24 Octobre 1914

 

 

 

Comme nous manquions de pommes de terre pour nourrir notre population, j'obtins de la Commandature l'autorisation de me rendre à Orchies afin d'en faire d'importants achats.
Il n'y a pas d'expression assez forte pour exprimer la sensation que j'éprouvais en voyant cette ville morte avec ses murs calcinés. Le spectacle était terrifiant.
Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que le commandant de Valenciennes avait prié M. Tauchon de désigner un Maire à Orchies ; l'autorité allemande avait donc désigné M. Carpentier, mais on apprit dans une visite que fit l'un de nous à M. Trépont, Préfet du Nord, que celui-ci avait déjà désigné de son côté un autre habitant d'Orchies, M. Leroux. C'est naturellement M.Carpentier, nommé par les Allemands qui exerça les fonctions pendant la durée de la guerre.

Le jeudi 5 novembre, le commandant Priess m'envoya à Orchies accompagné cette fois d'un gendarme pour y rechercher un prisonnier civil qui était blessé.
Tristement impressionné cette fois encore par ce lugubre spectacle, je ne pus m'empêcher de présenter au Maire toutes mes condoléances. Cependant, la Supérieure de la Croix-Rouge, à qui je fus présenté, m'encouragea de son mieux sous l'œil défiant du gendarme qui surveillait chacun de nos gestes.
M'étant ensuite entretenu avec le Maire au sujet des pommes de terre, qui étaient abandonnées dans les champs, je pus jeter cette fois les bases d'un marché avantageux pour notre ville.
Aussi dus-je retourner à Orchies le 5 décembre suivant pour ratifier un marché de 21.000 kilogs.
Je m'efforçai ensuite d'encourager le Maire, alors fort embarrassé, car la Commandanture de Douai lui réclamait la totalité de ses impositions, bien que la ville fut complètement détruite.
Je lui donnai donc le conseil d'expliquer la triste situation dans laquelle il se trouvait, et d'attendre tranquillement les événements.
Mais les événements les plus graves s'étaient succédés sans trêve, et le drame d'Orchies nous paraissait déjà bien lointain, quand le vendredi, 17 septembre 1915, à la sortie du Conseil, je reçus la visite du Père Lavigne. S'occupant avec le plus grand zèle de la triste situation des 3.600 habitants d'Orchies qui étaient revenus peu à peu, il venait me supplier de lui
venir en aide, car il ne pouvait plus se rendre à Douai, qui était dans la ligne de feu, ni à Tournai, qui aussi lui était interdit. Il me demanda donc de faire rattacher la ville d'Orchies à la C. R. B. de Lille, ou plutôt de Valenciennes, les communications devant être plus faciles. Je me rendis donc avec lui à la Chambre de Commerce, où le directeur, M. Branquart, me répondit qu'il ne pouvait sans ordres, rien changer à la répartition des denrées.
De là, j'allais chez le lieutenant Neuerbourg au bureau américain, où je fis chercher le délégué Richardson, fort dévoué à notre cause. Le pauvre Père lui dépeignit la situation critique dans laquelle se trouvaient les habitants. Mais le nom d'Orchies était un véritable épouvantail pour les Allemands, aussi le lieutenant Neuerbourg lui répondit-il, qu'il ne pouvait lui donner satisfaction.
Mais M. Richardson intervenant alors rassura le Père Lavigne lui disant que les habitants d'Orchies ne mourraient pas de faim, proposant même de s'y rendre afin de calmer l'angoisse de la population, mais le lieutenant Neuerbourg l'arrêta lui disant qu'il n'en avait pas le droit.
Cette demande ne fut cependant pas inutile, car à la suite de cette entrevue, il fut décidé que Douai veillerait sur les habitants d'Orchies, et qu'une démarche serait faite auprès du Comité central à Bruxelles, pour obtenir un don spécial pour cette ville si éprouvée.
En attendant, je promis de lui envoyer, si je trouvais des chevaux, 1.000 kilogs de riz.
Déjeunant ce jour-là chez M. le Doyen Jansoone. Je priai le Père Lavigne de m'y accompagner. Ce déjeuner fut vraiment plein d'intérêt, car le Père Lavigne ayant fait le récit émouvant du drame d'Orchies dont il avait été le témoin oculaire.

Aujourd'hui, [1933] sur ces ruines, une ville nouvelle est rebâtie, et M. le président du Conseil, Poincaré, tint à venir lui-même, [le 24/07/1927] féliciter la population de son énergie et remettre à la ville la Croix de Guerre, récompense bien méritée.

 

 Orchies1  Orchies2  Orchies3   

Extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933
 

  • Extrait de la liste des personnalités réclamées après guerre (  Liste des personnes désignées par les Puissances alliées pour être livrées par l'Allemagne en exécution des articles 228 à 230 du traité de Versailles et du protocole du 28 juin 1919 )

MehringDittel

 

  • Dans cette liste apparaissent les noms de victimes :
    • PICQUET Germaine,
    • M. et Mme BAILLEUL.
  •   L'Historique du 6° Régiment d'Infanterie Territoriale pour cette période permet de suivre les principaux mouvements :
    Historique  (Merci à H.T. et lien vers son blog 73RI -273 RI et 6RIT)
  • Le monument aux morts d'Orchies comporte deux plaques rappelant les combats et l'incendie, ainsi que des noms de victimes de celui-ci :
      • BAILLEUL Charles
      • DECAMACE Pauline
      • LECUTIER Augustine 78 ans
      • ROSSIGNOL Stephanie 81 ans
      • PICQUET Germaine 21 ans

     

    OrchiesMaM 

    Orchies plaque2

    orchies plaque1

     

  • En 2004 parait dans le revue PEVELE de la Fondation de Pévèle (leur site) un article de M. Alain PAYELLE qui apporte des précisions sur le déclencheur de la répression allemande :

          Début septembre 1914, une colonne allemande quitta Valenciennes en direction de la mer afin de couper l'accès des ports du Nord aux Britanniques, manœuvre que réitérera Hitler 26 ans plus tard, mais avec succès cette fois. Cette armée traversa St-Amand et prit la route de Lille via Orchies. Comme toute armée, celle-ci a ses informateurs, qui l'attendent à hauteur de l'"Alène d'Or", à Millonfosse pour l'avertir qu'ils ont vu des tireurs isolés embusqués à l'entrée d'Orchies, au lieu-dit "Le Lapin". Le commandant de cette colonne arrêta aussitôt ses hommes et envoya une escouade de Uhlans (cavaliers armés d'une lance à l'origine). D'après nos sources, leur nombre varie de 6 à 10. Ils auraient effectivement essuyé quelques coups de feu à hauteur des moulins se trouvant au Lapin, mais sans dommage. Ils continuèrent leur route jusqu'à la Grand-Place; ils restèrent un moment en observation, tout en étant calmes et repérèrent un café, plus exactement un hôtel à l'enseigne du "Lion d'Or" Ils attachèrent leurs chevaux aux anneaux destinés à cet usage et entrèrent demander de l'eau pour ceux-ci. Là, d'après nos sources, se trouvaient des évacués, fuyant l'avance teutonne. Ils furent surpris et décontenancés par cette subite apparition. Pris de colère, ils sortirent aussitôt, décidés à poursuivre leur fuite en avant. Une fois dehors, ils virent les chevaux attachés. Animés par la fureur d'être rattrapés dans leur retraite par leurs poursuivants et pour les ralentir, ils tranchèrent les licols des équidés et les firent partir au galop. Voyant cela, nos Uhlans sortirent du bistrot et menacèrent ces insurgés qui, se voyant pris, jugèrent immédiatement que l'attaque serait pour eux la meilleure défense.
Armés des couteaux qui venaient de sectionner les licols des chevaux, ils se jetèrent sur les envahisseurs et les égorgèrent, les laissant sur place devant quelques témoins alertés par les cris des Germains et venus aux renseignements.
Les auteurs de ce guet-apens prirent la fuite avec armes et bagages, sans demander leur reste. On ne sut jamais qui ils étaient ni d'où ils venaient ...

On a dit, ou plutôt les Allemands ont dit, qu'ils auraient défiguré ces soldats, qu'ils les auraient même émasculés. Saura­-t-on jamais la vérité? Cet épisode certainement le plus douloureux de l'histoire de la ville m'a été conté, à peu de choses près, dans les mêmes termes par sept anciens d'Orchies, aujourd'hui disparus, me faisant promettre de n'en parler qu'après leur dis­parition et sans dévoiler leur identité. Peut-être se jugeaient-ils coupables, quelque part, d'avoir assisté (pour trois d'entre eux) au massacre, sans être intervenus. Mais le pouvait-il? Certainement pas! La suite, tout le monde la connaît : représailles terribles et incendie de la ville. Cet acte odieux s'abattit sur Orchies et sa population, qui n'étaient en rien responsables de ce regrettable incident.




 

Comme de coutume, un tel fait ne reste pas dans l'ombre, et les organes de propagande s'en sont emparés.
 

  • On trouve dans la publication en 1915 de la monographie publié par Hachette : "Les Allemands destructeurs de cathédrales et de trésors du passé", en annotation au paragraphe concernant Senlis : "ces incendies partout allumés dans une ville qui n'a, en tout cas, pas fait elle-même un geste d'agression" cette remarque :

 

      En bien des endroits, les Allemands ont agi de même.
Le journal de Bâle, Basler Nachrichten, du 17 novembre publie la proclamation suivante :

    "Malheureusement j'ai été forcé d'employer les mesures les plus rigoureuses des lois martiales contre la Ville d'Orchies. Dans cette localité furent commises les plus terribles atrocités. En en tirant les conséquences j'ai détruit toute la ville.
L'ancienne ville d'Orchies, ville de 5.000 habitants, n'existe plus. Les maisons, l'Hôtel de Ville et l'église sont anéantis.
Valenciennes, septembre 1914.
Le commandant de la place, Major von Mehring. "

Pour expliquer cet acte de vandalisme, la feuille bâloise cite un épisode des guerres napoléoniennes, d'après l'almanach «Rheinlandischer Hausfreund» (l'Ami de la maison du pays rhénan). En février 1807, lorsque l'armée française et une grande partie des troupes fédérales étaient en Pologne et en Prusse, un détachement des chasseurs badois se trouvait dans la ville de Hersfeld, en Hesse.

Un officier français vint à être tué par la population. L'empereur ordonna de piller la ville et la réduire en cendres. Cependant sur l'intervention des commandants Français à Cassel et Hersfeld, la punition fut adoucie. Quatre maisons seulement devaient être incendiées, mais l'ordre de pillage subsistait. Les habitants en furent désolés, cela se comprend. Le commandant de la place les exhorta, au lieu de perdre leur temps en plaintes inutiles, à rassembler leurs biens les plus précieux. Enfin vint le moment terrible, annoncé par le tambour.

Le commandant exposa alors aux troupes la situation malheureuse de la population et ajouta : « Soldats, la permission du pillage commence : qui en a l'envie, qu'il sorte des rangs. »

Pas un homme ne sortit.
Entre le procédé français et le procédé allemand, il y a une certaine différence.

 

  •  En 1915, les éditions Berger-Levrault publièrent "Les violations des lois de la guerre par l'Allemagne" par le Ministère des Affaires Étrangères


    On y trouve sous le n°44 un extrait du carnet du soldat Bissinger Heinrich, du régiment de pionniers bavarois, relatant les crimes des troupes allemandes à Orchies et à Valenciennes, accompagné d'un fac simile de la page du carnet.


    « 25. August. Um 10 Uhr Abmarsch nach Orchies, angekommen um 4 Uhr. Durchsuchen der Häuser. Sämtliche Civilpersonen  werden verhaftet. Eine Frau wurde erschossen, weil sie auf « Halt »
    Rufen nicht hielt, sondèrn ausreissen wollte. Hierauf Verbrennen der ganzen Ortsschaft. Um 7h Abmarsch 1 von der brennenden Ortschaft Orchies nach Valentiennes...
    « 26 August. Morgends Abmarsch 9 Uhr nach dem Osteingang von Valentiennes, zur Besetzung der Stadt um Flüchtlinge einzuhalten. Aile mânnlichen Personen von 18-48 Jahren werden verhaftet und nach Deutschland befördert. »


    « 25 août. A dix heures, départ pour Orchies ; arrivée à quatre heures. On fouille les maisons. Tous les civils sont arrêtés. Une femme fut passée par les armes parce qu'elle ne s'arrêta pas au commandement de "halte !", mais voulut fuir. Sur quoi, incendie de toute la localité. A sept heures, départ d'Orchies en flammes pour Valenciennes.

    « 26 août. Départ à neuf heures du matin vers l'entrée est de Valenciennes pour occuper la ville et retenir les fugitifs. Tous les habitants mâles de 18 à 48 ans sont arrêtés et expédiés en Allemagne.

  •  En 1927 la Revue d'histoire de la guerre mondiale  (disponible sur Gallica) tente de démêler les fils de l'Histoire.

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25 janvier 2011

RAISMES-VICOIGNE (Nord) fin août 1914

 

Les excations de RAISMES-VICOIGNE : 1.- Les civils fusillés
(25 août 1914)

 (A suivre : les militaires)

 

La ville est cernée de tous côtés. Les Allemands arrivent à Raismes par le bois et la rue du Marais, à 7h.1/2 du matin. En passant devant la maison de M. Paul Piérard, qui se tenait à la fenêtre du premier étage, un officier le mit en joue. Il se retira précipitamment ; à peine était-elle refermée qu'une balle, traversa le châssis, à l'endroit où il se trouvait, et fait explosion dans la poutre du plafond (Plusieurs morceaux de cette balle ont été retrouvés et conservés).

Sur la place les troupes se divisèrent en trois groupes.

La population d'abord trompée, et croyant à l'arrivée des Anglais se porte joyeusement au devant d'eux, puis, après s'être rendu compte de la méprise, se terre dans les maisons. A l'angle de la rue des Maraicaux un détachement assez important se dirige vers la rue de Valenciennes, où passent encore quelques retardataires du 27° territorial et du 127°.

Une courte escarmouche coûte la vie à deux Français. L'un nommé Pierre Menet, du 81° régiment d'infanterie territoriale, tué sur le coup, et l'autre, Jules Baconnet, mort quelques jours après de ses blessures. Quatre autres sont blessés, les pertes des Allemands qui parurent plus fortes, ne purent être exactement dénombrées, car ils emportèrent leurs morts et leurs blessés.

Pendant ce temps, le reste de la troupe se dirigeait vers la Grand'place en tiraillant dans la rue, sans doute pour intimider les habitants. Sur la place, une centaine d'hommes rangés sur trois rangs mirent genoux en terre en face de l'auberge de la Clef d'Or, et firent feu pendant quelques minutes sur cette auberge, et sur les maisons voisines, qui furent criblées de balles. Après quoi, ils procédèrent au pillage de ces habitations et des magasins de la place, jetant dans la rue ce qu'ils ne pouvaient emporter.

Un espion aurait informé les Allemands que des officiers français étaient dans cette auberge : Ce fut le prétexte de cette fusillade, ils y avaient en effet séjourné, mais venaient de partir.

Une forte portion de l'avant-garde allemande, environ une compagnie, avait, dès l'arrivée sur la place, bifurqué vers Vicoigne où des Uhlans, envoyés en éclaireurs, par la rue longeant la brasserie Sorlin, avaient rencontré quelque résistance.

Il se trouvait en effet, à l'angle de la route de Saint-Amand et de la rue de l'Abbaye, dans la propriété de M. Maurice, un petit groupe de cavaliers du 7° [escadron du 14e régiment] de hussards, qui tua six Allemands, et eut lui-même cinq tués. Les deux autres purent s'échapper, non sans peine, car l'un d'eux passa une demie journée dans un aqueduc, sur la route, ayant de l'eau jusqu'au cou, et dissimulé dans les herbes. Quelques Uhlans fatigués firent la sieste sur l'aqueduc où se trouvait caché ce héros. Ces deux hommes étaient: Gustave Rondeau, originaire de l'Eure, et Louis Duez, de Boulogne-sur-Seine, tous deux purent regagner les lignes françaises.

Les hussards avaient utilisé, pour barrer le passage, un arbre récemment abattu et placé à quelque distance. Les Allemands accusèrent ensuite les habitants d'avoir aidé les soldats à le traîner sur la route. Saisissant alors quelques-uns d'entre eux, sans aucun procès, après les avoir promenés dans la rue du hameau, ils les fusillèrent contre le mur d'une grange touchant à l'abreuvoir. Les malheureux se jetaient à leurs genoux, en protestant de leur innocence, mais ce fut en vain.
Il fut interdit de les relever, et ces tristes victimes restèrent deux jours sans sépulture, pendant que les débris calcinés de la grange incendiée recouvraient leurs corps. Ils furent ensuite enterrés tout habillés, dans le parc de M. Maurice, et les morts allemands à peu de distance.

Noms des fusillés de Vicoigne :

  • Jean·Baptiste BOUR, 29 ans ;
  • Eugène DEMORY, 28 ans ;
  • Odile BAILLY, 23 ans ;
  • Jules BRUNO, 20 ans ;
  • Auguste COUDEUR, 53 ans ;
  • Henri CUVELIER, 36 ans ;
  • Henri COUDOUX, 35 ans ;
  • Joseph LAJOUCKERE, 18 ans ;
  • Achille COLLET, 33 ans.

Les Allemands plantèrent une croix de bois sur la tombe de leurs compatriotes, et forcèrent les habitants de la commune d'y apporter chaque jour des fleurs.

Fous de terreur, car leur chef avait été tué, les Allemands brûlèrent une douzaine de maisons, et tuèrent à bout portant un vieillard

  • Juvénal EVRARD, âgé de 81 ans,

    qui, prenant les Allemands pour des Anglais, s'avançaient au-devant d'eux, un drapeau tricolore à la main ! Les Allemands pénétrèrent ensuite dans le château de M. Maurice.

Après l'avoir pillé de fond en comble, ils y burent et mangèrent jusqu'à trois heures de l'après-midi, et y mirent ensuite le feu.

Tandis que ces faits se déroulaient à Vicoigne, le gros des troupes défilait dans Raismes, et à un certain moment, fit halte pour déjeuner. Pendant cette halte, dix habitants furent arrêtés encore, sous prétexte qu'un coup de feu aurait été tiré, qui, en tout cas, n'avait blessé personne.

Après un jugement très sommaire, trois d'entre eux furent exécutés dans un champ au bout du Marais, non sans avoir été traînés à travers le village, roués de coups, brûlés avec les cigares de leurs conducteurs. Les autres otages après avoir été forcés d'assister à cette sauvage exécution furent traînés et brutalisés quelque temps, puis relâchés (1).

Ces crimes contraires au droit des gens, furent commis par la 7° compagnie du régiment de grenadiers Poméraniens n° 9.
Le défilé des troupes dura une grande partie de la journée. On estime qu'un corps d'armée environ passa par Raismes.

Les exécutions de Vicoigne furent ordonnées par von Bismarck, petit-fils du fameux Chancelier, qui prit lui-même un des cadavres et le jeta dans l'abreuvoir. Il figura après guerre sur la liste des coupables réclamés par les alliés.

Habitants exécutés rue du Marais :

  • Charles RUFFIN ;
  • Léon CLOET ;
  • Leon LANDUYT.

Noms des personnes prises comme otages dès le début de la matinée, et relâchées après une longue souffrance de plusieurs heures:

  • Léon HALLEY ;
  • François BIREMBEAUX ;
  • LAMBIN, instituteur ;
  • LEROY, cabaretier ;
  • Elie NEVE, employé, pris à Vicoigne ;
  • Gustave LABBE, ouvrier ;
  • Gustave GRAVAIS et son fils ;
  • Joseph COASNE ;
  • MARET.

Extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

  • Les lieux :

61200848

 

La rue des Maraicaux est aujourd'hui la rue Gustave Delory
La rue du Marais (actuellement rue Léopold Dussart) se situe un peu avant dans la progression des Allemands vers Raismes depuis Bruay.

 

  • L'emplacement où les civils ont été exécutés :

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P1020061

  •  Ce site traite du monument et de sa construction .
  • Une carte postale d'époque :

Vicoigne(BMV)

  • La tombe du cimetière "du Prussien"

P1060149

P1060150

  • Les fusillés de la rue du Marais figurent sur le monument dans l'église de Raismes :

eglisederaismes


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  • Comparaison des noms provenant des différentes sources :
    Récit de Delame Plaque de Vicoigne Carte Postale Cimetière du Prussien N° d'acte de décès. 1914 Raismes
    BOUR Jean·B.te BOUR Jean·B.te BOUR Jean·B.te BOURG Jean·B.te

    136

    DEMORY Eugène DELORY Eugène DEMORY Eugène DEMORY Eugène 137
    BAILLY Odile BAILLY Odile BAILLY Odile BALLY Odile  138
    BRUNO Jules BRUNEAU Jules BRUNO Jules BRUNEAU Jules  134
    COUDEUR Auguste COUDEUR Auguste COUDEUR Auguste COUDEUR Augustin  133
    CUVELIER Henri CUVELIER Henri CUVELIER Henri CUVELIER Henri  135
    COUDOUX Henri COUDOUX Henri COUDOUX Henri COUDOUX Henri  129
    LAJOUCKERE Joseph LAJONCHERE Joseph LAJOUCHERE Joseph LAJONCHERE Joseph  132
    COLLET Achille COLLET Achille COLLET Achille COLLET Achille  131
                     
    EVRARD Juvénal EVRARD Juvénal     EVRARD Juvénal  130
                     
        VAN DE MAELE Pierre VAN DE MAELE Jean VAN DE MAELE Pierre  139
                     
                Eglise de Raismes  
    RUFFIN Charles RUFFIN Charles     RUFFIN Charles  127
    CLOET Léon CLOET J.Baptiste     CLOË J. B.te  126
    LANDUYT Léon LANDUYT Norbert     LANDUYT Norbert  125

     J'ai vérifié ci-dessus les décès des civils : tous ont un acte de décès à l'Etat-civil de Raismes.

 

 

  • Extrait de la liste des personnalités réclamées après guerre ( Liste des personnes désignées par les Puissances alliées pour être livrées par l'Allemagne en exécution des articles 228 à 230 du traité de Versailles et du protocole du 28 juin 1919 )

Bismarck

 

  • Extrait du New York Times du 8  octobre 1919

NYT_Oct_8_1919

  • Extrait de "Current History" publié en 1920 par le New York Times (vol 11):

currenthistoryfo11newyuoft_0246

 

  •  Revue commerciale du Levant, 1922.

    RCL 1922

  • L'Excelsior 1919

    Excelsior 1919


  •  Mémoires du préfet du Nord Félix Trépont (1863-1949)

    Mémoires Trépont
    (source)

 (A suivre : les militaires)

 

24 janvier 2011

BREUCQ Elie

ESTREUX
25 Aout 1914


A Estreux, où ils [les Allemands] firent leur entrée à 5h1/2 du matin, ils marchaient sur deux files, tenant le milieu de la chaussée. Surpris par l'arrivée des troupes, le sieur Elie Breucq, impotent, pouvant à peine se traîner, âgé de 65 ans,ne put gagner assez vite le côté de la rue. Immédiatement, un sous-officier du 36° de ligne tire son revolver et le tue d'une balle dans le dos ; le vieillard tombe foudroyé, et son cadavre est jeté sur le côté.

Ce récit est extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

  • Le nom d'Elie BREUCQ, né en 1849, figure sur le monument aux morts d'Estreux :
   

P1330761 P1330763

    
23 janvier 2011

DESORMEAUX Barthélémy

VICQ ( Nord)

Le 1er décembre 1914 DESORMEAUX Barthélémy agé de 15 ans est tué "par une balle allemande". Son nom figure au dos du monument aux morts de Vicq, sans autre information.

P1010058

P1010061

   Barthélémy DESORMEAUX est né à Quarouble le 9/12/1899 de Ulysse et LEFEBVRE Roseline-Marie. C'est un cousin (au 5e degré) de DESORMEAUX Nestor, traité sur ce même blog.


VILLARS Emile Désiré figurant sur le monument sans indication de régiment est une autre victime civile décédée à Cysoing le 4 octobre 1914.

Les mêmes informations figurent au monument aux morts du cimetière communal.

P1130002

 

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22 janvier 2011

Exactions à MACOU (Condé sur l'escaut)


ENTRÉE DES ALLEMANDS EN FRANCE  PAR MACOU ET BONSECOURS
(Dimanche 23 août 1914)

Quittant la Belgique, venant de Bonsecours, le premier petit village que l'on rencontre avant Condé, porte le nom de Macou.

  • Le matin, vers 7 heures, M. le curé de Macou, M. Delorme, entendant du bruit sur le parvis de son église, sort. Il aperçoit douze soldats français, ignorant complètement la présence des Allemands, et leur crie: "Mais, malheureux, prenez vos précautions! " Au même instant, venant de Blaton et de Bernissart, arrivent les uhlans. Immédiatement, le sergent dit au Curé: "Retirez-vous, nous tirons!" C'est alors que fut blessé le premier soldat français, qui fut reconduit à Condé.
    Du côté allemand, l'officier qui commandait le détachement de uhlans, reçut une balle dans la tête, et tomba devant le curé, des hommes le relevèrent, et le portèrent chez celui-ci, lui disant de le bien soigner, que sans cela il serait fusillé.
    La voiture de l'ambulance de Peruwelz vint pour le prendre sur l'ordre des Allemands, mais M. le curé, ne voulait pas le laisser partir, disant qu'il était prisonnier, Macou n'étant pas alors aux mains des Allemands.
    Pendant ces pourparlers, l'officier mourut et fut emporté.
    Comme remerciements, M. Delorme eut sa maison brûlée le lendemain matin.


  • Il existe à Macou les vestiges de la vieille abbaye de Saint Calixte, qui est transformée en ferme. Elle était alors habitée par Albéric Houzé, vieillard de 86 ans. A leur passage, les Allemands prétendirent qu'il avait tiré sur eux. Or, Houzé ne possédait aucune arme, et eût été du reste, bien incapable de s'en servir. Malgré cela, il est fusillé sur 1'heure et sans jugement, et le feu est mis à la ferme.


  • Emile Rousseau, 60 ans, se trouvant dans la cour de sa ferme, reçoit une balle dans la cuisse. Il se sauve, et se cache dans le haut de sa grange. Ce n'est que 48 heures plus tard qu'il en sort, et va se faire soigner à l'ambulance de Condé.


  • Joseph Vincent, 39 ans, qui eut l'imprudence de regarder à sa fenêtre, reçoit une balle dans 1'œil, dont il meurt.


  • Les soldats s'arrêtent le soir, et logent dans le village; ayant frappé à la porte du sieur Delburie, 45 ans, qui dormait. Comme il n'ouvrait pas assez vite, ils enfoncent la porte et le tuent à coups de crosse dans son lit.



  • En quittant le village, ils brûlent par plaisir la ferme de Léon Lannoy, qui était inoccupée.



Ce récit est extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

21 janvier 2011

LEFEBVRE Edouard et FAUX Léon

 

Le 29 Janvier 1918 le tribunal de Guerre Allemand condamne pour "Espionnage par pigeons voyageurs"

  • Edouard LEFEBVRE
  • Léon FAUX

Le 25 Février 1918 ils sont fusillés dans les remparts de Condé sur l'Escaut où un monument leur rend hommage.

LefevreFaux1

LefevreFaux2

  •  Face à leurs actes de décès, le registre d'état civil contient la note suivante :

 

 

Ville de Condé

           Extrait de la traduction en français d'une note écrite en allemand de la Commandanture de Condé n°707 du 25 février 1918.
                   "A la Ville de Condé
 
            " Les deux Français Lefebvre Edouard et Faux Léon, qui ont été condamnés à mort par le conseil de guerre de la Commandature pour espionnage, ont été exécutés ce matin.
       " Les deux corps seront rendus à la Ville pour faire le nécessaire pour l'enterrement
                                      "C. 25.2.18

                            " Le commandant d'étape (signé) : Lidl, général major
                                              Pour extrait conforme, à annexer au registre des actes de décès de l'année courante
                                                               Le Maire 

Condé le 25 février 1918        

 

 

  • Léon FAUX est né à Vieux-Condé le 1er mars 1882, de Napoléon et PLICHARD Clarisse, Matricule 1902 classe 1902 à Valenciennes, le registre a été détruit en 1940. Ouvrier mineur, il fait chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume par décret du 25 mars 1924. Son acte de décès établi sous l'autorité d'occupation mentionne simplement "est décédé dans les fortifications en cette ville".
     
    • "Mobilisé en Août 1914, est resté sous les drapeaux jusqu'en Octobre 1915. Placé en sursis d'appel, pour être employé dans les mines en octobre 1915."
       
    • "Etant en sursis d'appel et employé dans les mines du Pas-de-Calais, a été mis, en 1916 ou 1917, à la disposition de l'autorité militaire britannique qui l'a chargé d'une mission d'espionnage à Condé et Vieux-Condé, d'où il était originaire.
      Dénoncé aux Allemands qui occupaient le pays, a été fusillé à Condé, le 26 Février 1918."
       
    • Les Britanniques lui ont décerné la British War Medal.
       
    • Son épouse à reçu la Médaille d'argent de la Reconnaissance Française (JO du 13/03/1923)
      "Mme veuve Faux, née Defossez (Céline), au Vieux-Condé (Nord) : condamnée à 10 ans de travaux forcés pour avoir caché son mari déposé à Bavay par un avion allié, avec mission de relâcher, munis de renseignements, des pigeons voyageurs. A subi pendant sa détention les pires traitements."

 

  • Edouard LEFEBVRE est né à Condé-sur-l'Escaut le 27 Mars 1886, ouvrier mineur, il fait chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume par décret du 25 mars 1924. Son acte de décès établi sous l'autorité d'occupation mentionne simplement "est décédé dans les fortifications en cette ville".
     
    • "Mobilisé en Août 1914 jusqu'en 1916, mis en 1916 en sursis d'appel comme mineur pour travailler en France libre."
       
    • "Étant en sursis d'appel et employé comme mineur en France libre, a été mis en 1917 à la disposition de l'autorité militaire britannique qui l'a chargé d'une mission d'espionnage à Condé-Vieux-Condé d'où il était originaire.
      Dénoncé aux autorités allemandes d'occupation Lefebvre a été pris et fusillé à Condé le 26 Février 1918. "

     

  • A noter que les dossiers de la légion d'honneur ont interverti les dates de Naissance de Faux et Lefebvre, ce qui tendrait à montrer qu'ils ont été traités simultanément, et les citent fusillés le 26/02.
    De même, sur l'acte de décès de Léon FAUX la date de naissance est majorée d'un an.

 

Portraits arch 405
Portraits de LEFEBVRE (à gauche) et FAUX (à droite) conservées aux
Archives Générales du Royaume de Belgique
Commission des Archives des Services patriotiques établis en Territoire occupé au Front l'Ouest

 


     Ces mêmes Archives Générales du Royaume possèdent les photos recto-verso des dernières lettres adressées à leur famille par les condamnés le matin de leur exécution (Léon Faux la signe en écrivant 26 février, il s'agit bien du 25).
Malheureusement, ce sont des tirages sur plaque de verre sans contraste, de documents originaux qui ont été pliés en 8 puis maintenus à plat par des punaises (!), ce qui les rend peu facile à déchiffrer (encore plus sous le grand tampon des AGR), et je n'ai pu malgré mes efforts obtenir une copie lisible, aussi en ai-je fait une transcription dans laquelle j'ai repris la syntaxe originale, mais utilisé une orthographe exempte de fautes.
 

Mes chers parents.
Voila Léon Faux qui fait ses à Dieux à sa femme et à ses enfants.
Ma chère femme et mes chers enfants,
Voici les dernières paroles que je te dis par écrit ; je vais te quitter pour toujours, mais ne prend pas trop de chagrin, car il faut que tu vives pour élever nos enfants. Tu leur parleras souvent de leur Père qu'ils se rappellent de moi et les les embrasseras assez souvent pour moi. Maintenant chère femme voici ce que je peux donner pour souvenir à les enfants : tu donneras ma montre à Léon, et ma pipe et à blague à tabac à Eugène ; et mon cache-nez à Napoléon ; et à mes deux filles tu lui donneras les mouchoirs; et toi chère Céline tu prendras le panier et mon portefeuille pour toi, la bague ce sera pour mon frère Lucien ; et (partie barrée illisible).
Maintenant chère femme que nos enfants seront très sages avec toi leur maman, et tâche bien ma chère Céline d'être sérieux avec nos enfants, tu seras heureux avec eux, car il vont tous travailler pour toi.
Maintenant tu passeras la lettre à mon frère Lucien il passera à nos sœurs et à tes tan(???) et il pourra la lire à ton père que je fais mes à Dieux avant de mourir à toute la famille.
Maintenant chère Aline, et mes enfants, et mes frères et mes soeurs et mon père Eugène et mes tandres.
Au revoir * ma femme, au revoir mes enfants, au revoir toute la famille, au revoir et encore au revoir encore au revoir à toute la famille pour toujours
Enfin ma chère femme et mes enfants et mes frères et mes soeurs
Je vais mourir prenez courage.
Je vous embrasse pour la dernière fois (illisible p-e Avoire) à tous,
Le 26 février fusillé à Condé à 6 heures du matin.
                          Faux Léon

401t

 

 

 

Condé le 25 Février 1918
Chère femme
Voici ma lettre d'adieu car je vais te quitter pour toujours, ne prend pas trop  de chagrin car il faut que tu vives pour nos enfants ; tu leur parleras souvent de leur père et tu les embrasseras souvent aussi pour qu'il se rappellent de moi.
Maintenant chère femme voici ce que je laisse comme souvenir à mes enfants, chacun une montre à mes garçons, et chacun un rasoir, tu réclameras celui que Charles Abraham a en sa possession qu'il est à moi. Le petit mouchoir de pochette en tulle à ma fille. Ma belle pipe est pour Théodore et celle que j'ai en poche pour mon frère Adolphe.


Chère femme voici ma dernière demande que je te fais et j'espère que tu m'obéiras même en étant dans mon tombeau.
Je (... ... illisible ... pliure ...) te remarier car je pense qu'ils pourraient avoir un beau-père et qu'ils auraient de la misère, Tu auras du mal pour les élever pendant leur jeunesse et tu seras heureuse quand ils auront l'âge de travailler.


Enfin chère femme et chers enfants je vais mourir prenez courage. Je vous embrasse pour la dernière fois.
     Lefebvre Edouard

 

404t

 

 

    • La partie illisible à la pliure de la lettre pourrait être interprétée par "te demande de ne pas" au vu de ce qui suit.

       
    • Les deux lettres portent au verso un tampon du Tribunal de la Commandanture d'Etape n°113 (Gericht von Etappen Kommandantur Nr 113)  ainsi qu'une mention manuscrite en allemand.

 
 

15 janvier 2011

QUÉRÉNAING (Nord)

LA TRAGÉDIE DE QUÉRÉNAING
25 Août 1914

Les premières colonnes allemandes ne firent que traverser Valenciennes, continuant leur route sur Aulnoy, Famars, Quérénaing, Solesmes.
Le charmant petit village de Quérénaing, situé à 8 kilomètres de Valenciennes, qui comptait, en 1914, 565 habitants, eut beaucoup à souffrir de l'invasion.
Les Anglais, battant en retraite, avaient mis cinq chariots en travers de la route, sous le pont du chemin de fer du Nord, pensant ralentir la marche des Allemands, et se protéger.

Rendus méfiants par cette barricade, et s'attendant à une vive résistance, les Allemands s'arrêtèrent au bas de la côte.
Il était midi et demi quand les quatre premiers uhlans firent leur apparition, venant de Maing et de Famars, et suivis quelques instants après de l'infanterie. Ils purent se rendre compte rapidement que les habitants n'étaient pas.animés de dispositions hostiles. Aussi, déblayèrent-ils la barricade pour poursuivre leur route, tout en les obligeant à mettre sur le passage des troupes des seaux remplis d'eau pour désaltérer hommes et chevaux.

Vers 4 heures de l'après-midi, après un moment d'accalmie, les soldats d'un second régiment, qui s'étaient arrêtés à la Brasserie Harpignies à Famars (dont ils vidèrent les caves), arrivèrent à Quérénaing complètement ivres.
Sur ces entrefaites, des douaniers battant en retraite sur Cambrai, apercevant l'ennemi, se cachent derrière une haie, et sans même que les habitants de Quérénaing en soit en avertis, ouvrent aussitôt le feu. Furieux, les Allemands se précipitent vers la prairie d'où est partie la fusillade, mais ils ne trouvent personne, les douaniers s'étant retirés. Naturellement, les habitants sont rendus responsables de cette escarmouche et accusés d'avoir tiré sur les troupes.

Fous furieux, les soldats se précipitent dans le village, appréhendant les habitants sans distinction d'âge ni de sexe ; c'est la chasse à l'homme. L'ancien garde Huvelle et un ouvrier agricole, Bultoz Alexis, escaladent un mur pour se sauver : on les tire au vol. Un inconnu est abattu près de la ferme du Tapage. Plus loin une femme et un enfant fuient. Désiré Bernard, âgé de 15 ans, essaie de leur ouvrir un passage avec sa famille. Mais un soldat s'empare de lui et l'entraîne avec les prisonniers qui sont réunis dans la ferme Tamboise. Les soldats allemands entraient furieux dans les maisons pour s'emparer des habitants. L'un d'eux, Leduc, eut le temps de se cacher dans un tonneau qu'il recouvrit d'un sac; les soldats passèrent sans le voir, c'est ainsi qu'il échappa à la mort; mais son voisin Coinchon fut pris et fusillé. Le feu fut alors mis au village et il était défendu, sous peine de mort, d'éteindre l'incendie; c'est alors que le sieur Louis Lœil fut mis en joue et aurait été tué, sans l'arrivée d'un officier supérieur.
A six heures du soir, les soldats ivres vinrent chercher les prisonniers à la ferme Tamboise où ils étaient réunis, et les conduisirent à cinquante mètres de là, contre le mur de la propriété de M. Jacquemart.

Un officier prononça quelques paroles pour exciter ses hommes an carnage et au meurtre, puis commanda la terrible salve.

Parmi ces victimes se trouvait le jeune Désiré Bernard. S'étant évanoui avant la salve, miraculeusement il échappa à la mort. Ramassé au milieu des cadavres, il fut conduit par un officier compatissant à l 'hôpital de Solesmes ou, après avoir reçu quelques soins, il fut autorisé à retourner à Vendegies.
Les victimes furent à peine recouvertes d'un peu de terre par les habitants réquisitionnés; défense leur était faite de regarder les cadavres.

M. Maitte, adjoint, obtint plus tard l'autorisation de les exhumer pour les enterrer décemment dans le cimetière du village. Il montra, ainsi que le curé de la paroisse
[abbé Charles DECLERCK], une grande énergie dans cette triste circonstance, faisant tous deux abnégation de leur vie pour sauver et soulager leurs concitoyens.
M. Fromont fit preuve également d'un grand courage, barricadant sa porte, et par trois fois, réussissant à éteindre le feu que les incendiaires mettaient à sa maison: il en fut récompensé car il la sauva.
Quelques jours après, je pus rendre visite à Mme Bricout, la femme du maire fusillé. C'est elle, et Mmes Berthe Loi et Albertine Herbaux qui me firent le récit de cette terrible journée.
Les fermes brûlaient encore, et je pus voir le sang de ces vingt victimes sur la muraille criblée de balles. Aussi, est-ce avec une profonde émotion que j'écoutai le récit de cette tragédie.

Les membres de la famille Bricout, comme nombre d'autres, entendant tirer, se sauvèrent dans leur cave. Cependant, M. Bricout, qui était infirme, était resté dans sa véranda avec l'un de ses oncles qui était venu le voir de Dunkerque, et qui aurait dû repartir précisément la veille.
A ce moment, les Allemands enfoncent la porte et demandent à boire; du vin leur est immédiatement servi. Ils étaient tous ivres et avaient l'aspect de bêtes fauves.
Par le soupirail, la famille Bricout vit mettre le feu à la maison d'en face, mais s'apercevant que la leur brûlait querenaingaussi, ils durent se sauver. Grand fut leur étonnement de ne plus retrouver M. Bricout qui, impotent, ne pouvait même plus marcher; son oncle avait également disparu. Ils aperçurent tout le village en flammes, pendant que l'on entendait la fusillade vers Vendegies, où beaucoup de réservistes du 26e et du 27° furent blessés ou tués.
Mme Bricout, avec ses deux fillettes de cinq et six ans, et son personnel, se cacha dans un bosquet du jardin sous une pluie battante. L'adjoint, M. Maitte, vint à leur secours, les faisant passer par-dessus un mur, pendant que deux servantes se précipitaient dans l'écurie pour délier les chevaux et les vaches, afin de les mettre à l'abri dans la pâture. Mme Bricout, pensant que son mari, impotent, avait dû périr dans les flammes, n'osa quitter ses enfants, et alla demander asile à M. le Curé, car le presbytère était la, seule maison intacte, et déjà cinquante personnes s'y étaient réfugiées.
Le lendemain matin, ils osèrent sortir pour continuer leurs recherches. Dix-neuf civils avaient été fusillés sans autre forme de procès, contre le mur du château de M. Jacquemart, et deux autres à l'entrée du village. Ils se rendirent au lieu du carnage et furent épouvantés à la vue de ces cadavres à peine recouverts de terre, parmi lesquels M. Bricout et son oncle. Ajoutons que M. Bricout avait été fusillé assis dans son fauteuil. Mme Clarisse Danhiez, une vieille femme de 80 ans, infirme, avait été prise dans son lit et fusillée également.

Voici d'ailleurs la liste de ces victimes :

  • Georges Bricout, maire, 34 ans;
  • Jean-Baptiste Drecq, adjoint, 58 ans;
  • Paul Drecq, conseiller municipal, 55 ans;
  • Henri Gille;
  • Oscar Bultez, 21 ans;
  • Philibert Dumont, 60 ans;
  • Alphonse Bleuze, 35 ans;
  • Auguste Tamboise, 55 ans;
  • Prosper Coinchon, 62 ans;
  • Aurélie Bourgonnet, femme Gille, 55 ans;
  • Clarisse Danhiez, 80 ans;
  • Cléopha Motte, femme Lenquette, 43 ans;
    tous domiciliés à Quérénaing.

  • Alexis Crépin, de Dunkerque, 48 ans;
  • Blareau, de Saultain, 68 ans;
  • Debiève, d'Aulnoy-lez-Valenciennes, 65 ans;
  • Octave Fremeaux, d'Artres, 15 ans;
  • Alfred Glacet, de St-Waast-en-Cambrésis, 30 ans;
  • Bouchez de Denain, 80 ans.
  • Plus un inconnu de passage, dont on n'a jamais su le nom.


Ajoutons, à la liste des morts ou des blessés :

  • Mme Danhiez-Souplet, qui reçut deux balles dans le bras en se sauvant.
  • La ferme Lœuil-Abel fut incendiée. alors que des habitants s'y trouvaient enfermés: ils durent s'enfuir sous la fusillade des Allemands.
  • Une jeune fille, Mlle Marguerite Crépin, fut atteinte d'une balle lui perforant les intestins. Elle se réfugia dans une cave se trouvant à· proximité de la ferme, où se trouvaient déjà deux hommes. Les Allemands emmenèrent les hommes au poteau, et n'aperçurent pas la jeune fille qui était couchée dans un coin, sans connaissance. Elle y resta jusqu'au lendemain matin sans soins, et put ainsi échapper à la mort.

L'état-major logea tranquillement chez M. Jacquemard, sans s'inquiéter du carnage dont cette paisible commune venait d'être le théâtre.
La commune de Quérénaing ayant eu particulièrement à souffrir de l'invasion, le Gouvernement français, pour en rappeler à jamais le souvenir, lui décerna la croix de guerre, à laquelle était jointe la citation suivante :

Croix de guerre. Loi du 8 avril 1915.
" Le Ministre de la Guerre certifie que la Commune de Quérénaing a obtenu la Croix de guerre pour citation à l'ordre de l'armée, au cours de la campagne 1914-1918 contre l'Allemagne et ses Alliés. "
Fait à Paris, le 16 septembre 1920. "
Signé : Le Ministre de la Guerre (1) ".

(1) Journal Officiel du 18 septembre 1920.

JORF 19200918p13709


Un peu plus tard, pour conserver le pieux souvenir de cette effroyable tragédie, la Municipalité et les habitants firent ériger une chapelle à l'emplacement même où les dix-huit personnes avaient été fusillées.
Un monument aux morts de la commune fut également élevé sur la place publique, qui porte les noms des enfants de Quérénaing tombés au champ d'honneur.
Un troisième monument fut érigé à l'entrée du village, près du chemin de Maing, pour rappeler l'endroit où d'autres personnes avaient été tuées.
Ces monuments furent inaugurés et bénis le 10 juillet 1927, sous la présidence de M. Hudelo, préfet du Nord, de M. Lachaze, sous-préfet de Valenciennes, et des parlementaires.
Dix mille personnes des environs étaient venues rendre hommage à ces glorieux morts.

Ce récit est extrait du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

  • Le monument sur le lieu des exécutions :

QuerenaingP2            QuerenaingP1   

 

 

  • Liste des 19 noms de la chapelle :
    • BLAREAU    Henri
    • BLEUSE    Alphonse
    • BOUCLY    Léopold
    • BOURGONNOT    Aurélie
    • BRICOUT    Georges               Maire
    • BULTEZ    Oscar
    • COINCHON    Prosper
    • CRESPIN    Alexandre
    • DANHIEZ    Clarisse
    • DEBIEVE    Alexis
    • DRECQ    Jean-Baptiste         Conseiller
    • DRECQ    Paul                          Conseiller
    • DUMONT    Philibert
    • FREMEAUX    Octave
    • GILLES    Henri                        Conseiller
    • GLACET    Henri
    • MOTTE    Cléopha
    • TAMBOISE    Auguste
    • WAUQUIER    Clément

 

 

 

  • Le Monument aux morts de Quérénaing :

QuerenaingM

 

  • Liste des 21 noms du monument :
    • BLAREAU    Henri               68
    • BLEUSE    Alphonse             11
    • BOUCLY    Léopold
    • BOURGONNOT    Aurélie
    • BRICOUT    Georges           52      Maire
    • BULTEZ Alexis                     18
    • BULTEZ    Oscar                  22
    • COINCHON    Prosper        60
    • CRESPIN    Alexandre
    • DANHIEZ    Clarisse           70
    • DEBIEVE    Alexis                61
    • DRECQ    Jean-Baptiste      
    • DRECQ    Paul                      54
    • DUMONT    Philibert          32
    • FREMAUX    Octave            15
    • GILLES    Henri                   36               
    • GLACET    Henri
    • HUVELLE  Pierre-J            65
    • MOTTE    Cléopha
    • TAMBOISE    Auguste       56
    • WAUQUIER    Clément

     

  • Le Journal Officiel de la République Française publie le 14/10/1923 la liste des nominations à titre posthume au grade de chevalier de la Légion d'honneur, par décret du 21/09/1923 concernant les personnes décédées antérieurement au 16 Août 1920 qui "ont bien mérité du pays au cours de la guerre pendant l'occupation ennemie dans les régions envahies", soient 397 noms.
        Sont concernés les départements suivants : Aisne (18 noms), Ardennes (29 noms), Marne (40 noms), Meurthe-et-Moselle (19 noms), Meuse (46 noms), Nord (203 noms), Oise (6 noms), Pas-de-Calais (7 noms), Seine-et-Marne (12 noms), Somme (10 noms), Vosges (2 noms).

         Parmi ces nominations, celles - à titre posthume- des victimes de Quérénaing, aucune précision à ce sujet n'apparaissant dans les listes de ce décret.


    • BLAREAU Henri Joseph, né le 24 mars 1846 à Saultain,
    • BLEUSE Alphonse, né le 28 décembre 1872 à Verchain-Maugré, (41 ans et non 11)
    • BOUCLY Léopold, né à Quérénaing le 23 octobre 1835,
    • BOURGONNOT Aurélie, épouse Gilles, née le 18 février 1860 à Quérénaing,
    • BRICOUT Victor Georges, né le 18 novembre 1881 à Quérénaing,
    • BULTEZ Alexis, né le 7 juillet 1866 à Quarouble,
    • BULTEZ Oscar, né le 28 juillet 1892 à Quérénaing,
    • COINCHON Prosper Gabriel, né le 2 octobre 1853 à Saint-Martin,
    • DANHIEZ Clarisse Joseph, épouse BOURGONNOT, née le 29 avril 1835 à Famars,
    • DEBIEVE Alexis Joseph, né le 10 août 1853 à Aulnoy les Valenciennes,
    • DRECQ Jean Baptiste Noël, né le 25 décembre 1851 à Quérénaing,
    • DRECQ Paul, né le 12 décembre 1859 à Quérénaing,
    • DUMONT Philibert, né le 12 avril 1860 à Angre (Belgique),
    • FREMAUX Octave, né le 30 juin 1899 à Artres,
    • GILLES Henri, né le 15 janvier 1858 à Thiant,
    • GLACET Alfred, né le 14 mai 1881 à Saint-Waast, (confirmation du prénom)
    • HUVELLE Pierre Joseph Isidore, né le 16 juillet 1851 à Saint-Martin
    • MOTTE Cléopha Marie Joseph, épouse LENQUETTE, née le 5 février 1870 à Quérénaing,
    • TAMBOISE Auguste Charles Floribert, né le 12 juin 1856 à Quérénaing

    (source : base Léonore)

         2 victimes n'apparaissent pas dans cette liste : 
    WAUQUIER Clément qui apparait à la date du 25/08/1914 sur la table décennale des décès de Quérénaing avec la mention '(inconnu)', et qui est donc probablement celui signalé par Delame.
    CRESPIN Alexandre/Alexis cité également dans la table décennale.
    (recherches complémentaires en cours)

  • On trouve dans la base de la Légion d'honneur une lettre d'Octave GILLES concernant la remise des décorations et dont voici un extrait :

    Gilles octave (extrait)

    DANHIEZ Clarise, épouse Bourgonnot était une de mes arrières-petites-cousines,
    BOURGONNOT Aurélie sa fille, et GILLES Henri le mari de celle-ci.

  •  Dans son numéro du 13 mars 1917, la Gazette des Ardennes, publiée sous controle allemand à destination des territoires occupés incluait les morts de Quérénaing dans ses listes des personnes décédées, bien entendu sans aucune autre information :

    GDA 13 mars 1917 p2

  •  Dans son édition du 27 décembre 1916, le "Bulletin des réfugiés du Nord de la france" , situé à Paris, publie une relation faite par un témoin :

    BdRN 19161227 Quérénaing

14 janvier 2011

Abbé DELBECQUE

L'EXÉCUTION DE L'ABBÉ DELBECQUE

CURÉ DE MAING

(17 Septembre 1914)

 

La terreur a succédé à la tranquillité de ces derniers jours, les ordres se sont succédés de plus en plus sévères et abb_D nombre de personnes sont molestées sans aucune cause. Mais nous eûmes ce matin du 17 septembre un triste réveil. L'abbé Delbecque, curé de Maing, ardent patriote, était allé à Dunkerque pour y chercher des renseignements relatifs aux hommes mobilisables, restés en pays occupés. Mais, à son retour le 16 au soir, à Saint-Amand, ses amis voulurent le dissuader de continuer sa route. L'abbé ne tint pas compte de ces avertissements, et ceux qui l'ont connu ne s'en étonneront pas, car le danger ne l'effraya jamais.

Il franchissait le dernier poste difficile du passage à niveau du Poirier vers 9 heures du soir, quand il eut la malheureuse idée de revenir sur ses pas pour parler à la sentinelle qui venait de le laisser passer ? Il fut malheureusement arrêté et conduit à la gare, où on le fouilla, et l'on trouva, dans ses bottines, un document sur le rappel des classes.

Le tribunal, composé de cinq officiers se réunit immédiatement, et le prêtre allemand fut présent à l'interrogatoire.

L'abbé Delbecque fut condamné à mort, on lui laissa deux heures pour écrire à sa mère et à ses paroissiens, ce qu'il fit avec courage et un patriotisme remarquable.

Le commandant lui refusa de voir Mgr Capliez, Doyen de Saint-Nicolas, mais l'aumônier allemand le confessa et lui apporta la Sainte-Communion. Puis, à 6 heures du matin, on le conduisit contre le mur d'une maison en construction du faubourg de Paris, près de la colonne Dampierre.

Des femmes qui assistaient à l'exécution, pleuraient et criaient.
Courageusement, il se mit à genoux, leva les bras au ciel, et les six soldats tirèrent. 

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(Coll. pers.)

Il fut aussi brave devant la mort que devant le danger, et tomba la face contre terre, mourant en héros pour la France.

Très sommairement, il fut mis sur place en terre, et pendant toute la journée, ce ne fut qu'un défilé d'amis qui voulaient l'exhumer. Une démarche fut faite pour qu'il fût permis de procéder à une inhumation décente.

Cette exécution sommaire, à peine terminée, le commandant Kintzel faisait afficher sur les murs de la ville, l'avis suivant:

1° J'ai infligé hier à une commune de l'arrondissement de Valenciennes, une contribution de guerre de 20.000 fr. parce que les patrouilles allemandes ont trouvé sur la voie du chemin de fer et en haut des fils télégraphiques, sur un parcours de quelques kilomètres, un fil gris en soie, presque invisible (1).

2° Cette nuit, un conseil de guerre, composé de cinq officiers supérieurs, appartenant à l'armée allemande, s'est réuni selon mes ordres pour juger un prêtre français, curé d'une paroisse des environs de Valenciennes.

Ce curé a été pris vers minuit, filant en vélo et sans permission le long du chemin de fer, revenant de la côte du Nord. Il était porteur des ordres du gouvernement français, que l'on a trouvés sur son corps, cachés un peu partout (2).

Le Conseil l'a condamné unanimement à la peine capitale.

J'ai affirmé ce jugement et la mise à mort a été exécutée ce jeudi à l'aube.

 

Delbecque

 

Le lieutenant Kintzel fut premier commandant de place de Valenciennes , il s'installa le 25 août 1914. Lorsqu'il prit possession de la Mairie, il se dit, lors d'une première réunion, l'ami de la France, ce qui ne l'empêcha pas d'être très sévère, de condamner à mort l'abbé Delbecque, et d'imposer à la Ville une amende de 1.500.000 francs pour un pamphlet sur le kaiser, antérieur à la guerre.
D'une grande activité, il circulait jour et nuit pour installer les différents services. Toujours la badine à la main dans ses promenades, il ne savait se contenir, et toujours sa colère le dominait : type accompli du " soudard " allemand.

Vendredi 18 septembre. -Ayant obtenu de la Commandature, l'autorisation d'exhumer le corps de l'abbé Delbecque, à 3 heures de l'après-midi, le doyen de Saint-Nicolas, Mgr Capliez et le supérieur du collège Notre-Dame, procédèrent à la mise en bière.

Personne n'avait été prévenu, et cependant trois à quatre cents personnes étaient présentes. Quelques-unes seulement furent autorisées à accompagner le corps jusqu'à Maing, la population sans convocation aucune, s'était réunie dans l'église où l'absoute fut donnée. La mère de l'abbé Delbecque, malgré ses 80 ans, reçut courageusement le corps de son fils, dont elle embrassa le cercueil. Cette cérémonie fut très impressionnante, le curé de Maing étant très aimé, et estimé de ses paroissiens. Mgr Cappliez prononça quelques mots, et le cercueil fut inhumé dans le caveau provisoire de la commune.

Après l'armistice, le Gouvernement de la République honora sa mémoire, en lui décernant le titre de la Croix de Commandeur de la Légion d'honneur, avec la citation suivante:

" S'étant rendu à Dunkerque, au péril de sa vie, pour prendre des renseignements relatifs aux hommes mobilisables, restés en pays occupés, a été fusillé par les Allemands. A ainsi donné un bel exemple de courage et de dévouement. A été cité. "

 

(1) L'amende s'appliquait à Onnaing où M. le curé, MM. Clerquin et Leroux avalent déjà été pris comme otages et conduits à Valenciennes.
M. Edmond Brabant réussit à trouver cette somme et ils furent libérés.

 

(2) Voir la lettre qu'il écrivit avant son exécution dans la brochure que publia l'abbé Génie, sur la vie et la mort de l'abbé Delbecque.


 

 Le 12 novembre 1914, selon son état des services militaires, il eut été totalement dégagé des obligations militaires, bien que dispensé du service en tant que séminariste, il avait été versé dans la réserve en 1892.

 

En novembre 1923, un comité se forma afin d'élever un monument à ce héros mort pour la France. La souscription fut ouverte, et le 17 septembre 1924, jour de l'anniversaire de sa mort, un obit solennel fut célébré à l'église Saint-Géry, par les chanoines Lefebvre, archiprêtre, et Ch. Thellier de Poncheville. Le monument œuvre émouvante du sculpteur Terroir, érigé sur le terre-plein de l'église du Sacré-Cœur, avenue Dampierre, fut inauguré le dimanche 7 décembre 1924, par M. le Vicaire général Jansoone, remplaçant Mgr Chollet, archevêque de Cambrai.

M. Paul Dupont, en qualité de Président, rappela dans son discours la mort héroïque de cette victime de la guerre, puis

M. Jean Saint-Quentin, au nom de la ville de Valenciennes, Marcel Barlès, au nom de la Jeunesse catholique, Lebacqz, au nom des démobilisés, déposèrent des fleurs au pied du monument.

La cérémonie officielle terminée, la foule entra dans l'église du Sacré-Cœur, où eut lieu la cérémonie religieuse. L'abbé Lengrand, supérieur du collège Notre-Dame, fit un magnifique discours montrant à son auditoire ému à quel point l'abbé Delbecque a droit à notre souvenir, à notre respect et à nos prières.

 

Cette première partie est extraite du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933


 

  • Il est à noter que l'acte de décès de l'abbé Delbecque a seulement été dressé le 3 novembre 1914 dans le registre d'état-civil des décès de l'année. Il est visible page 193 sur le site des Archives Départementales du Nord, et porte la mention "fusillé par les troupes allemandes"


Le texte qui suit est tiré d'une brochure éditée par le Collège Notre-Dame à Valenciennes, intitulée " Nos Héros", Livre d'Or des professeurs et anciens élèves éditée en 1921, qui nous éclaire un peu plus sur les circonstances et la personnalité de l'abbé.

 

L'abbé DELBECQUE Augustin,
né à Lillers en 1868, an­cien professeur,
curé de Maing depuis 1910,
fusillé par les Allemands le 17 septembre 1914.

 

     L'abbé Delbecque avait le souci d'être en même temps qu'un bon prêtre, un citoyen actif et dévoué. Dans la paroisse, il propageait les bonnes brochures, s'occupait d'œuvres sociales. Il discutait volontiers de politique, avec ardeur, mais aveccure_delbecque_b courtoisie, loyauté et compétence. On ne peut servir deux maîtres, dit l'Evangile, mais servir la France et l'Eglise, estimait l'abbé Delbecque, ce n'est pas servir deux maîtres : c'est servir sous ses deux formes la même autorité divine. On juge de sa douleur quand il voit l'invasion prussienne s'étendre sur le pays comme une lèpre. Volontiers, il saisirait un fusil pour faire le coup de feu, mais il a déjà donné sa vie à une cause plus grande! Exempt d'obligations militaires, gardien d'une paroisse, il lui est interdit de chercher à s'engager: il doit rester près de ses ouailles à son poste périlleux. L'abbé Delbecque reste, et il lui coûte de rester comme à d'autres de partir... Comme il souffre Cependant! Au début de l'occupation ennemie, on le voit, plus d'une fois, accourir à Valenciennes, avide de renseignements, tout frémissant d'indignation et d'impatience. Il peut, du moins, rendre à sa patrie, les services compatibles avec son ministère de prêtre. A leur premier passage, 1es troupes allemandes ayant saisi l'uniforme d'un soldat français, s'en servent comme d'un jouet et le pendent à un arbre sur la route. L'abbé Delbecque, intrépide, s'en va, sans hésiter, trouver un officier et, par ses protestations, obtient qu'on cesse ces insultes. 

Quelques jours se passent. On est au milieu de septembre: depuis trois semaines l'ennemi, est entré chez nous; le passage, pourtant, reste ouvert vers la France libre. Un certain nombre d'hommes de la région envahie sont partis vers Lille, pour se mettre à la disposition des autorités militaires, mais beaucoup, mal renseignés, sont revenus aussitôt. Dès lors, tous les timides, tous les hésitants, tous ceux qui, trop confiant, espèrent voir l'ennemi refoulé aussitôt, en profitent pour ne plus rien tenter. L'opinion publique est complètement dérou1ée: ceux qui sont partis, le peuple, avec une nuance de dédain, les appelle des fuyards.

L'abbé Delbecque n'y tient plus: il ne comprend pas cette inertie. Comment se fait-il qu'un ordre confidentiel, mais bien net, ne vienne pas indiquer à tous ces hommes leur devoir? La France n'a donc plus besoin de soldats ? Il prévoit œ qui va bientôt arriver: l'établissement d'une ligne infranchissable. On peut faire maintenant aisément ce que plus tard les braves ne feront qu'en risquant leur vie: on peut rejoindre, et on ne bouge pas! 

Le curé de Maing exhorte ses jeunes gens à partir: on lui répond évasivement et on reste. Ce n'est pas au curé, c'est aux militaires de parler! ... L'abbé Delbecque décide alors d'aller lui-même chercher l'ordre qui ne vient pas: il ne reviendra, qu'avec une réponse nette. 

Le 15 septembre, à bicyclette, il se met en route pour Dunkerque, où se trouve le commandement le plus rapproché. Il n'a pas perdu de temps : il a fallu, sans doute, faire antichambre dans les bureaux, et l'étape est longue! Pourtant, le 16 au soir, le vaillant abbé est déjà de retour. A Saint-Amand, un ami veut le retenir jusqu'au lendemain, craignant que la rentrée du curé de Maing, à cette heure tardive, n'éveille les soupçons; mais l'abbé Delbecque, qui n'a peur de rien, a peur d'inquiéter sa mère qui l'attend en tremblant. Il repart à bonne allure. 

 Vers 9 heures, à sa sortie de Valenciennes, au pont du Poirier, il est arrêté par une sentinelle qui le questionne, le fouille sommairement et le laisse aller. L'abbé fait quelques mètres, puis, se ravisant, il retourne réclamer sa carte qu'on lui avait retenue... On a prononcé le mot d'imprudence... [à Roncevaux] Roland a été imprudent, mais il a été héroïque! Nisus a été imprudent, mais il a été héroïque! Une telle imprudence n'est pas à la portée de tous !... 

Le geste de l'abbé Delbecque, en tout cas, ne manquait pas de crânerie. Il devait lui être fatal. Le soldat, pris de soupçons, l’arrête et le mène au commandant de place, à la gare de Valenciennes. On fouille l'abbé Delbecque et on trouve sur lui un papier, que lui avait remis le gouverneur de Dunkerque. Un conseil de guerre fut convoqué d'urgence, sous la présidence du commandant Kintzel, et bientôt le curé de Maing connut la sentence: c'était la mort.. On lui refusa toute communication avec le dehors, même avec son doyen, Monseigneur Cappliez. L'abbé Delbecque dut recourir au ministère d'un allemand, Georges Arnkens, vicaire à Hambourg.

Le jugement prononcé dans la nuit devait être exécuté à l'aurore. L'abbé Delbecque passa ses dernières heures à la gare en compagnie de l'aumônier allemand. Devant la mort si inattendue et si certaine, à heure fixe, il garda un courage héroïque. 11 eut la force d'écrire une longue lettre testamentaire, où les adieux les plus émus se mêlent aux recommandations les plus précises. Rien n'est plus impressionnant que ces pages, écrites sous la menace de la mort, d'une écriture ferme, énergique, avec une élévation de sentiments admirable, avec une lucidité, qui règle en détail, les affaires de la famille et de la paroisse. L'abbé Delbecque n'oublie rien, ni personne

 

Valenciennes, jeudi 17 septembre, 2 h 10 du matin. 

Ma bien chère maman, mon bien cher frère et ma bien chère Blanche, et mes chers Marguerite, Edouard et Maurice, chère Hermance aussi. 

 Une aventure terrible m'arrive. Ayant pris de simples renseignements pour Maing, au point de vue militaire et ces renseignements m'ayant été mis sur papier par un chef militaire de la place de Dunkerque, j'ai été arrêté par une sentinelle à mon retour, au pont avant le Poirier, vers 9 heures, et l'on m'a conduit à la place de Valenciennes, où l'on m'a fouillé et où on m'a pris ce papier. Aussitôt on m'a menacé de mort et un jugement militaire a été constitué dans la salle du grand buffet. 

J'ai expliqué que cela n'avait pas l'allure d'un ordre à faire passer à tous. Mais on a considéré cela comme un acte d 'hostilité contre l'autorité allemande. On m'a dit qu'on pouvait m'infliger ou 10 ans de prison ou la mort, et l'on m'a infligé la mort. 

Mes bien chers parents, chère maman, et cher Henri, je vous demande bien pardon pour toute la peine que j'ai pu vous faire en ma vie, comme je demande pardon à tous ceux que j'aurais pu offenser... 

Que ma chère paroisse de Maing veuille bien prier pour son pasteur, qui tombe à son service et qui regrette de n'avoir pu faire davantage pour elle. Qu'elle revienne davantage au Bon Dieu. Il est tout, et ce qui importe, ce n'est pas une longue vie, mais une bonne vie chrétienne par-dessus tout. Je meurs à {16 ans: c'est court, mais puisque la Providence le veut, c'est Elle qui conduit tout, c'est assez. 

Nous sommes ici-bas pour aller au Ciel: le Ciel, la possession du Bon Dieu et l'union avec la Très-Sainte Vierge Marie, tous ces saints si bons, si beaux, c'est bien le tout de 1'homme, tout ce qu'il faut ambitionner. C'est le vrai bonheur... 

J'ai grande douleur, certes, de vous quitter tous, grande douleur, car je voulais 'me dévouer pour vous davantage. Le Bon Dieu ne le veut pas... Que je vais bien prier pour vous! Que je vais bien prier aussi pour la chère paroisse de Maing, pour la chère paroisse d'Esquermes, aussi, où les paroissiens se sont toujours montrés si bons pour moi. 

Chers paroissiens de Maing, n'insultez plus jamais les prêtres; aimez-les, au contraire; écoutez-les: ils sont de bons serviteurs. 

Les chefs allemands qui m'ont jugé ont estimé que la note que je rapportais, et dont le commandant de la place de Dunkerque pourra reconstituer les termes, était de nature à rendre à la chère France, en tout le pays investi, un grand service (je crois bien que cela est exagéré), que cela desservait leur cause. Eh bien! puisque le juge­ment est tel et que je meurs pour cela, je suis heureux de mourir pour ma chère patrie. Beaucoup d'autres paient de leur vie, sur le champ de bataille, leur amour pour la chère France. N'ayant pas été militaire à cause de l'ancienne loi, je n'avais pas à courir de danger... Mais on juge que j'ai servi la patrie, et je tombe pour elle: ce sera le sang d'un nouveau prêtre versé! Que Dieu daigne l'agréer pour l'expiation des fautes nationales, et par suite son succès final... 

 

Parlant de sa sépulture, l'abbé Delbecque montre un désintéressement admirable. Il pose lucidement la question, comme s'il s'agissait d'un autre, comme si ce n'était pas lui que les brutes meurtrières attendent : 

Ensevelissez mon corps où vous voulez. J'aimerais bien, Guiscard, pour être avec les chers miens, mais, vu mon genre de mort, ne vaudrait-il pas mieux l'une de mes deux paroisses, Maing ou Esquermes ? Les habitants d'Esquermes y trouveraient un réconfort. Je suis aussi convaincu que Maing honorerait son pasteur. Voyez, ma chère maman, mes chers parents...

 Il demande des messes pour son âme. Il règle l'honoraire du prêtre. Il recommande quelques bonnes œuvres. Et puis, au milieu de ces précisions, l'émotion le ressaisit: 

 Que dirai-je encore ? Vous comprenez: j'en ai plein le cœur! Ma bonne, ma bien-aimée maman, à votre âge, recevoir un tel coup! Allons, je dois cesser: j'écrirais jusqu'à demain.

 Il s'épancherait volontiers plus longtemps, mais il faut un dernier sacrifice: le temps passe; il faut interrompre ces effusions et régler en détail les affaires paroissiales : 

 Enfin, il faudra faire pour le mieux... sans moi. 

La sentence est irrévocable! Elle est vraiment disproportionnée! Mais je n'ai pu arriver à la changer, je ne comptais jamais qu'elle eût pu être telle. 

Rien n'arrivant sans la permission de la Providence, inclinons-­nous tous devant elle, regardant le ciel, offrant notre sacrifice pour nos chères âmes, mes chères paroisses de Maing, d'Esquermes, pour le cher Guiscard, aussi, et pour la France, notre bien-aimée patrie. 

Adieu, ma chère France! Adieu, mes bien chers confrères du doyenné et mon cher doyen de Saint-Nicolas. Adieu, ma chère paroisse d'Esquermes, où les paroissiens furent si encourageants et si bons pour moi. 

Adieu, mes vieux collèges de Notre-Dame à Valenciennes, de Notre­-Dame des Dunes à Dunkerque, de Saint-Joseph à Lille; faites-moi aussi chers collègues, l'aumône de quelques bonnes prières, et redites bien, chers Supérieurs, à vos enfants que ce qui importe, Ce n'est pas de vivre longuement, mais de bien vivre... 

Adieu, à tous mes bons amis. Je vous bénis comme prêtre du fond de mon âme. Je bénis ma chère patrie, que je vous demande de bien aimer, et je vous donne rendez-vous au Ciel, auprès du Bon Dieu et de la Très-Sainte Vierge Marie. 

Mon Dieu, ayez pitié de moi. Sainte Mère du Ciel, priez pour moi. 

Laudetur Jesus Christus ! 

 A l'aurore du même jour, 17 septembre, un feu de peloton mit en émoi les habitants de Valenciennes. Obscurément, l'abbé Delbecque accomplissait pour la France son dernier sacrifice. 

Le bruit courut bientôt qu'un prêtre avait été fusillé à quelque distance de la gare. On ne connut toute la vérité que lorsque le commandant Kintzel se présenta au Collège pour charger M. le chanoine Petitprez, supérieur, d'avertir la famille du curé de Maing. Un peu confus, le commandant expliqua, pour justifier la sentence, que l'accusé s'était montré insolent. Ce mot, comme on put le savoir par l'aumônier allemand qui avait assisté au jugement, signifiait simplement l'attitude fière et crâne que l'abbé Delbecque avait conservée, jusqu'au bout en face de l'ennemi, alors qu'on aurait voulu le voir humilié et suppliant. 

Le 18 septembre, l'autorisation fut accordée d'exhumer en secret le corps de l'abbé Delbecque et de le transférer à Maing. C'est là qu'il repose aujourd'hui, victime de son dévouement pour la Patrie. 

La Croix de la Légion d'honneur vient d'être attribuée, à titre posthume, à M. l'abbé Augustin Delbecque, curé de Maing.

 

  • Voici la copie du décret lui attribuant la Légion d'Honneur (source: base Léonore)

leonore_01

 

 

  • Le monument œuvre émouvante du sculpteur Terroir, érigé sur le terre-plein de l'église du Sacré-Cœur, avenue Dampierre à Valenciennes :

monument_02

monument_03(
photos ADC)

 Le gisant de bronze est percé de plusieurs trous, souvenirs de Valenciennes sous les bombes en Mai 1940.

  • Lors de la seconde occupation, la statue sera déplacée :

6 Juillet 1940
Le Commandant [Allemand] vient me prendre à la Mairie.
De là nous allons droit à l'église du Sacré-Cœur, avenue Dampierre.
Après l'examen du lieu fortement touché par la mitraille, le Commandant veut savoir pourquoi on a placé la statue de l'abbé Delbecque - représenté dans la position où il était tombé sous les balles allemandes - devant l'église, en bordure de route . "Des soldats peuvent passer, Ce monument est bon à entretenir la haine dans les cœurs. Il faudra l'enlever aujourd'hui même ". Ne m'étant pas empressé d'obéir , je reçois le soir même un rappel à l'ordre énergique.
La statue enlevée
est conduite dans le sous-sol du Musée. Le Commandant la réclame quelques jours plus tard et la fait placer dans la cour de la Commandanture *.

* installée à l'angle du Boulevard Watteau et de la rue David-Desvachez

in : Abel Posière " Heures Vécues du 18 Mai 1940 au 18 Novembre 1941".

 

  • Une des rues de Valenciennes, non loin du monument, porte le nom de l'abbé Delbecque.
  • Les plaques sur sa tombe au Cimetière de Maing, tombe commune aux curés de Maing.

    plaque_maing

    P1360467

  •  Le 15 Septembre 2014, lors du passage du Tour St-Cordon et de l'entrée de la statue de Notre-Dame à l'église du Sacré-Coeur, un hommage lui a été rendu et une gerbe déposée. La messe du 17/09/2014 y sera célébrée à son intention, et l'office du tourisme lui consacrera une mini-visite de 30 minutes ( payante ... !)
    (Mais pourquoi faut-il attendre 100 ans ? !)

    P1030617 P1030620 P1030626

  • En 2015, la municipalité a fait poser devant l'église, au dessus de la statue, une plaque en remplacement de celle posée en 1924 et qui avait disparu, reprenant les noms des soldats de la paroisse morts durant la guerre :

    plaque 2015

  •  Ébauche de la statue de Terroir exposé à l'Hôtel de Ville de Valenciennes, lors des journées du patrimoine 2014 :

    Ebauche

 


 

     La fin tragique de l'abbé Delbecque est évoqué dans un livre de l'abbé Eugène GRISELLE, paru en 1915 : "Le martyre du clergé français" et disponible sur Gallica. La raison du voyage de l'abbé à Dunkerque, et la nature des documents qu'il transportait diffèrent un peu dans cette version qui relève probablement plus de la propagande :

 


cliquer pour accéder au site

     De même, le "Journal de la Meurthe", paru le 26 septembre, retrace succinctement les faits, les rendant au passage moins acceptables encore, mais montrant que la nouvelle avait atteint la France libre.

19140926 Le Journal de la Meurthe

 

    Il en est de même pour l'article paru dans "Le Grand Hebdomadaire Illustré du Nord de la France" du 27/09/1914 :

GHIRN 19140927

    C'est le seul article (à ce jour) à évoquer un déplacement vers Dunkerque pour raison personnelle (et non de questionnement de l'autorité militaire). (Peut-être un (pieux) mensonge pour éviter de dire qu'il transportait des informations.

    Dans son édition du 25/09/1914, "La Croix de Roubaix-Tourcoing" relate la célébration d'un obit solennel le jeudi 24. Si la région de Lille a su que l'envahisseur passait non loin à l'est en direction de Paris, elle ne sait pas encore qu'il reflue et que la ville sera encerclée le 6 octobre, et proprement assiégée les 11 et 12, date à laquelle la ville capitulera.

La Croix de Roubaix-T 19140925 p2


13 janvier 2011

DORISON Marcel

 

Dorison M

 

     René Delame, auteur de  "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933, raconte les obsèques de ce soldat du 27e Régiment d'Infanterie Territoriale en citant l'allocution prononcée le 29 avril 1915 par l'aumônier allemand sur la tombe d'un soldat français :

    " Je me permets d'adresser un dernier souvenir à la dépouille mortelle du soldat Marcel Dorizon, décédé le 27 avril 1915, à l'hôpital du collège des jeunes filles, à la suite de ses blessures.
" La mort passe dans tous les rangs; elle est le grand neutre et ne connaît ni amis, ni ennemis.  En présence de la mort, nous nous inclinons tous avec respect.  Devant elle, la haine, ou pour parler plus exactement, la colère guerrière s'évanouit.
" Un soldat qui risque sa vie, et qui verse son sang pour sa patrie, mérite notre vénération et le soldat qui ne consentirait pas à saluer un adversaire tombé au service de son pays, non seulement ne serait pas un bon patriote, mais il mériterait le nom de barbare.
" La guerre, d'ailleurs, n'est pas une lutte contre les hommes considérés comme tels, c'est un combat contre les défenseurs d'une autre nation, contre les représentants d'une autre mentalité,
" Que celui qui a fait son devoir jouisse de l'éternel repos, et que la Croix-Rouge garde sa tombe.
" Au nom de la Kommandatur des Etapes de Valenciennes, je dépose cette couronne. Camarade, nous saluons une dernière fois le soldat français que nous considérons maintenant comme notre frère.
" Et moi, au bord de cette tombe, je donne à celui qui part ce que j'ai de meilleur pour l'accompagner dans le grand voyage vers l'éternité. Je lui donne ma bénédiction de prêtre.
" Au nom du Père, du Fils et du Saint.Esprit, Amen. "

 De telles paroles, un tel exemple, furent hélas! bien rares.


    On trouve également  la relation de cet enterrement dans le livre de Gabriel Pierard " La Croix-Rouge dans l'arrondissement de Valenciennes " de 1870 à nos jours -1963.

A l'occasion des funérailles militaires, les Allemands s'efforcent de prouver leur esprit chevaleresque.
(........)
Les Membres du Comité
[de la Croix-Rouge] ayant des fils sous les drapeaux ne peuvent s'empêcher d'être émus par ces adieux même s'ils viennent de ceux ayant causé la mort de leur compatriote.
Ils le sont encore davantage lors des funérailles du soldat Marcel Dorizon, brave territorial, grièvement blessé le 25 août à Haspres d'une balle à la colonne vertébrale. Totalement paralysé, le dos à vif il s'est éteint après huit mois de souffrance. Ce modeste ouvrier originaire de la Sarthe laisse une femme et six enfants.
Le Commandant de place prévenu du décès à tenu à compléter le piquet d'honneur par une section de musiciens. Il se range d'office en tête du cortège aux côtés du Maire, du président de la Croix-Rouge, M. Paul Dupont et de ses vices-présidents, MM. Achille Lajoie et Henri Mabille de Poncheville.
(....)
Après les trois salves habituelles au bord de la tombe, l'aumônier allemand prononce une allocution empreinte de charité chrétienne.

 
Au bas de la page  de son exemplaire personnel, mon père a indiqué :
J'ai assisté comme  enfant de chœur au Faubourg de Paris à un nombre important de funérailles de soldats de toutes nationalités . (Nous ramassions les douilles)

 

064a Dorizon
     Comme on peut le constater, il avait 6 enfants. Après la guerre son épouse (née Marie GALLET le 3/05/1880 à Issy-les-Moulineaux ; le mariage a lieu le 19/11/1902 à Arcueil) recevra la médaille de bronze de la famille française

JORF 19230811
(Journal Officiel du 11/08/1923)

 

  • Sa fiche sur le site Mémoire des Hommes :

DORISONMDH

        La ville de naissance de DORISON Marcel est CHALLES (Sarthe) authentifiée par le registre d'état-civil de naisssance et les parents le 25 Septembre 1880, alors que l'acte de décès Valenciennois et la transcription du jugement s'obstinent à le déclarer né à Chatte en Isère !

EC ESS

 

    Matricule 399 classe 1900, il effectue un service militaire d'un an (dispensé article 21 comme ainé de 8 enfants) en 1901-02 au 115e RI, puis 1 période d'exercices en 1907, et une autre au 27e RIT en 1911

Il est rappelé au 27e RIT le 4 août 1914.

Il apparaît comme "mort de maladie" sur la fiche MdH, alors qu'il s'agit des suites de ses blessures reçues le 25 Août 1914, le jour même où les Allemands pénétraient à Valenciennes.
L'hopital auxiliaire n°2 où il est décédé était situé dans le collège de jeunes filles, Boulevard Pater, actuel Lycée Watteau.

Il a été déclaré Mort pour la France.

MPLF DORISON Marcel

  •  Comme toujours en pareil cas, la famille qui est en zone libre demande des informations auprès de la Croix-Rouge. Il existe deux fiches renvoyant au même registre, l'une rendant compte en détail de l'enquête réalisée : la famille ne sera avertie qu'en juillet 1917 !

    Fiche

    Les pages 7008 et 7009 du registre de décès, très semblables, n'apportent pas d'information supplémentaire, hormis le n° de la tombe individuelle (et donc du cercueil) :

    7008

    7009

  • Sa tombe au cimetière St Roch de Valenciennes : l'occupant avait créé à l'extrémité du terrain, dans une partie encore non exploitée le long du mur jouxtant les dernières maisons de Valenciennes avant St Saulve, un cimetière militaire, (Ehrenfriedhof, cimetière d'honneur) où furent enterrés soldats Allemands et Alliés décédés à Valenciennes. Sa tombe est la première, on distingue au fond à droite de la photo le monument aux soldats allemands.

    Dorizon tombe



  • Sa tombe actuelle, toujours au Cimetière St-Roch :

        La date initialement inscrite n'était pas celle de son décès, mais la date à laquelle il avait été blessé. La même date figurait sur le site Sépultures de Guerre auprès duquel une demande de rectification a été déposée et effectuée.

      Les modifications ont été réalisées en 2014 et voici la nouvelle plaque, un grand merci au Pôle des sépultures de guerre de la Somme :

DMSTROCH2b

 

  •  La même erreur de lieu de naissance (qu'on ne pourra rectifier) est reprise par le Livre d'Or du Ministère des Pensions :

    LO YlM

  •  Son nom figure au monument aux morts d'Issy-le-Moulineaux (Hauts-de-Seine), son dernier domicile :

    MaM IlM
    Source photo : Thierry Dehesdin

    et sur le monument commémoratif au cimetière de Tresson (Sarthe) où il résidait à son recrutement.

    MaM Tresson
    Contribution photo: Patrick BOUJU 15/07/2016
    Cette photographie est sous licence d'usage CC BY-NC-SA 2.0

 

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