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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
24 décembre 2018

SAUVAGE Albert

 

Né le 21 mars 1896 à Vieux-Condé (Nord) de Albert et JEGAT Marie Rose, Albert Jean-Baptiste SAUVAGE apparaît dans la rubrique officielle du Journal Officiel du 13 mars 1923 :
Attribution de la Médaille de la Reconnaissance Française de 1ère classe (vermeil) :

Feu M. Sauvage (Albert Jean-Baptiste), à Condé-sur-Escaut (Nord) : a été tué par des soldats allemands après avoir fait preuve du plus pur patriotisme et du plus grand courage.

La citation n'est pas très détaillée, aussi faut-il aller rechercher son dossier d'attribution de la Légion d'honneur pour trouver la date de l'action et les circonstances :
Décret du 25 mars 1924, a été nommé chevalier de la Légion d'honneur (JO du 06/04/1924)

"A l'arrivée des Allemands à Condé, le 24 Août 1914, le jeune SAUVAGE Albert, âgé alors de 18 ans, s'est armé d'un fusil de guerre et a tiré sur les Allemands, leur tuant plus de 10 hommes ainsi que le sous-officier allemand qui s'était saisi de sa personne et qui voulait le désarmer.
Poursuivi par un cavalier allemand, il fut tué à coups de lance à la sortie de Condé, près de la gare, sur le territoire de Fresnes.

Avis favorable.
Lille le 29 décembre 1923.
Le préfet du Nord."

   L'acte de décès établi à Fresnes-sur-Escaut confirme la date et précise le lieu : "Les bateaux flamands" ; l'endroit a été largement modifié par la construction du canal à grand gabarit.
LBFtExtrait du cadastre napoléonien visible aux archives du département. Cliquer pour l'emplacement actuel du fort Franquet

En confirmation, l'acte de décès précédent est celui du sous-officier allemand :

sousoff

Seul le nom "SAUVAGE" figure sur le monument aux morts de Condé-sur-l'Escaut.

     Si les faits sont avérés tels que décrits dans le dossier de la Légion d'honneur, au delà du plus pur patriotisme et du plus grand courage, il y a l'important risque de représailles encourues par la population quand un civil - qualifié de franc-tireur - tue des Allemands. Je n'ai pas (encore ?) d'information à ce sujet.

 

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19 décembre 2018

Heroïnes françaises : Mme Baudhuin et le soldat Cruikshank

     Dans les précédent sujets, j'ai traité de 3 des 4 héroïnes présentes sur cette photo de l'agence Rol que Gallica à mis en ligne récemment, Mme Belmont-Gobert et sa fille Angèle, Mme Cardon.

Londres

 

      De gauche à droite sur cette photo prise à Mansion House, résidence officielle du lord-maire de Londres le 8 avril 1927 :

Lord Burnham, propriétaire du Daily Telegraph,
Mme Marie-Louise Cardon, de Bertry,
Mme Angèle Lesur, de Bertry,
Patrick Fowler, au centre de cette histoire,
Mme Veuve Marie Belmont-Gobert, de Bertry, mère d'Angèle Lesur,
Sir Rowland Blades, lord-maire,
Mme Julie-Célestine Baudhuin, de Le Cateau-Cambrésis
M. de Fleuriau, ambassadeur de France,
L'épouse du lord-maire.

                              Elles étaient accompagnées de M. Bracq, maire de Bertry, et de M. Lebeau, maire de Le Cateau qui ne figurent pas sur la photo.

 Quoi de mieux en introduction que le témoignage du petit-fils du soldat britannique au cœur de ce sujet :

Le soldat David Waddell Cruickshank est mon grand-père paternel. Il est né à Glasgow en 1894.
Il a rejoint le 1er bataillon des Cameronians (The 1st Scottish Rifles) au début de 1914. Matricule 11132. Le régiment s'entraînait dans les Highlands, dans le Perthshire, lorsqu'ils ont été rappelés à la caserne Merryhill d’Hamilton.
Le régiment prit le train pour Southampton et débarqua au Havre. De là, il se rendit à Mons, où les Cameronians furent intégrés à une nouvelle division [19e Brigade de la 6e Division]. Le 19 Août 1914, ils furent placés sur la gauche du canal Mons-Condé.
Après la bataille de Mons, le 2e Corps fut le dernier à s'enfuir. Ils marchèrent nuit et jour dans la chaleur étouffante du mois d'août, sans eau ni nourriture, et furent impliqués en cours de route dans des escarmouches.

Finalement, atteignant Le Cateau, on ordonna au régiment de se rendre à la gare ou de se reposer sur la place de la ville. La bataille de Le Cateau a commencé le lendemain matin vers 6 h 30.
Mon grand-père et un autre soldat des Cameronians étaient pris au piège dans la ville, il a couru dans une rue, mais les Allemands venaient dans l'autre sens, il est entré par une porte où se trouvait une femme de la localité avec un seau d'eau. Un coup de feu a été tiré mais l’a manqué et a frappé le seau et la robe de la dame.
Il avait déjà été blessé avant la bataille. Il s'est donc couché dans la rue en feignant d'être mort. Comme il le disait dans une interview à Paris en 1927, la rue était pleine d'hommes et de chevaux morts. Je me suis donc allongé en espérant que l'ennemi me dépasserait, ce qu'ils firent.
Il a rampé dans une ruelle et a trouvé un jardin plein de fleurs et d'arbustes, il y est resté pendant des heures et il a dit qu'il pouvait entendre tirer l'artillerie britannique.
Puis il a rampé dans la cave d'une maison où Mme Baudhuin s’est occupé de lui.

Cette courageuse dame le garda plus de deux ans, jusqu'à sa capture en 1916. Il a été condamné à mort par un juge allemand et Mme Baudhuin a été condamnée à dix ans de prison en Allemagne.

La sentence de mort n’a pas été exécutée, sinon je n’écrirais pas ces lignes.

IWM Lives of the great war

     Ce n'est que le début de l'histoire, on la trouve largement détaillée sur des sites anglophones, par exemple celui de J. Anderson dont je traduis les extraits qui suivent, certains racontés par David Cruikshank lui-même :

Extraits du Journal de Marche du bataillon :

24 Août 1914. 2 heures. Avons reçu l'ordre de nous retirer immédiatement. Très heureux de sortir de cette position nous dûmes marcher 1 mile et demi le long du front de l'ennemi. Déplacement effectué avec succès à l'aube. La retraite nous amène à Jenlain. Les sous-officiers et les hommes ont les pieds endoloris et sont fatigués.

25 Août 1914. Arrivons sous les éclats d'obus pour la première fois. Nous replions sur Le Cateau, cantonnement à la gare de marchandises.

26 Août 1914. Nous nous remettons en route. Nourriture rare. Peu de temps après avoir quitté la ville la bataille a commencé.

 

Il y avait au moins un Cameronian qui n'avait pas quitté Le Cateau avec son bataillon : nous ne savons ni pourquoi ni quand David en a été séparé, mais ce garçon de 19 ans, avec une formation militaire de quelques mois, était seul face à l'armée allemande entrant dans Le Cateau lorsqu'il a rencontré Mme Baudhuin qui s'est trouvée en présence d'un garçon qu'elle qualifiera plus tard de "si petit".

Le mari et le fils aîné de Mme Julie Célestine Baudhuin étaient mobilisés, elle a donc offert un refuge à ce jeune garçon en pensant à eux, (argument qui sera repris lors du procès) ; comme elle le dira plus tard : "Je ne savais à quel saint me vouer", mais elle ne pouvait refuser un abri. Elle l'a donc conduit vers un hangar au fond du jardin qui est devenu sa cachette.

Les Allemands occupèrent Le Cateau avec ses environs et de nombreux foyers devinrent des cantonnements pour les soldats allemands. Bien qu'il n'y ait pas de soldat allemand vivant dans la maisonnée des Baudhuin, (Julie-Célestine vivait avec ses 2 autres enfants Léon et Marie) ils s'y parfois sont rendus à l'improviste alors qu'ils cherchaient de la nourriture ou des articles ménagers. Au début, David passait la majeure partie de son temps à l'abri de sa cachette mais, au fil du temps, il retrouva ses forces et passa de plus en plus de temps dans les locaux d'habitation de la famille. Un jour, les soldats allemands se sont présentés si rapidement que David n'a pas eu le temps de se rendre à sa cachette et Julie-Celestine l'a poussé dans le panier à linge, devant lequel elle se trouvait tout au long de la perquisition. Pendant son séjour dans la maison de la rue Louis Carlier, il a dû se cacher dans le panier à linge à plusieurs reprises.

Au bout de trois mois, le jeune soldat s'était plus ou moins complètement remis de ses blessures et avait commencé à faire des plans qui impliquaient davantage que de rester confinés à la maison ou à la remise. La première tentative de Julie-Célestine de dissimuler "Avid" comme elle l'appelait maintenant consistait à teindre en noir son uniforme kaki qu'il portait en sortant la nuit avec Leon.

Cependant, David n'était pas satisfait de ces circonstances et peu de temps après, une rencontre providentielle lui permit de tirer un tour mémorable contre les Allemands et d'avoir un impact énorme sur le reste de sa vie.

Il a rencontré Aimée Olivier qui vivait à proximité et qui était dans la confidence. Aimée a souvent rendu visite à David, lui apportant parfois du tabac et ils sont devenus de solides amis. On ne sait pas qui est à l'origine de l'idée, mais un plan a été élaboré pour que David soit déguisé en femme. À seulement 19 ans et de son propre aveu, dans une interview de 1919, il déclara qu'il était "au visage frais et sans pilosité faciale à proprement parler".

Un neveu de Julie-Celestine était un coiffeur et avec son aide, ils ont obtenu une perruque. Le reste de la tenue féminine de David était assez facile à obtenir auprès d'amis proches et de la famille à qui on avait confié le secret. Aimée a passé beaucoup de temps avec David et l'a aidé à acquérir une apparence plus féminine à la fois dans ses manières et ses mouvements.

Une difficulté était la longueur de sa foulée, beaucoup trop longue pour une Mademoiselle française. David, vêtu de son déguisement de femme a défilé devant la famille et, même s'ils sont convenus qu'il avait l'air d'une femme, il se déplaçait comme un jeune homme. Aimée a aidé à le préparer en posture et, à un moment donné, on lui a suggéré d'attacher une longueur de ficelle à ses chevilles pour raccourcir sa foulée. Cela a été fait et après beaucoup de pratique, David a pu se déplacer comme une femme. Prenant confiance en lui il a enfin pu quitter la maison des Baudhuin pendant la journée. Passant pour une cousine de la famille, Mademoiselle Louise est née.

Ce déguisement permit à David de se fondre dans la communauté et se trouva plusieurs fois en présence de soldats allemands. "Je leur faisais un sourire enchanteur, ils étaient ravis qu'une jeune femme française ait l'air si amicale avec eux."

David et Aimée se rapprochèrent alors qu'ils passaient du temps à perfectionner son nouveau personnage. Connaissant les peines terrifiantes qui leur seraient infligées, lui ainsi que la famille Baudhuin si David était pris ou trahi, il n'est peut-être pas surprenant qu'ils soient tombés amoureux et se soient secrètement mis d'accord pour se marier une fois cette terrible guerre terminée.

C'était sous l'apparence de Melle Louise que David se fondait dans la vie quotidienne de la ville occupée, mais un jour il s'est approché d'une dame que nous connaissons seulement comme Madame D. Celle-ci est venue voir David et lui a dit qu'elle savait qu'il était un soldat britannique. D'après le récit de David en 1919, il s'en souvenait : "Le jour de la bataille de Le Cateau, je m'étais réfugié dans une porte où se trouvait une dame avec un seau. Une balle qui m'était destinée est passée à travers le seau et a frôlé la jambe de la femme. Un instant, nous nous sommes regardés et mon visage a dû être gravé dans sa mémoire."

C'est lors d'une de ces rencontres peu fréquentes et non désirées avec Mme D. que celle-ci a commencé à manifester son intention de nouer des relations avec lui ; mais David était amoureux d'Aimée et a rejeté ses avances. À un moment donné, Mme D. lui a dit qu'il regretterait ces refus et a presque menacé de le dénoncer auprès des forces d'occupation. David était troublé, mais il ne pouvait qu'espérer qu'elle ne réaliserait pas sa menace.

Julie-Celestine a raconté la nuit du 10 septembre lors d'une interview en 1927;

"Le 10 septembre 1916, vers minuit, un certain nombre de soldats allemands se sont présentés et ont demandé à entrer. David, ayant abandonné sa cachette, était endormi et partageait un lit avec Léon. Il n'y avait pas de temps pour cacher David dans son ancienne cachette. Dès qu'ils sont entrés dans la maison, les Allemands sont allés directement au lit dans lequel les deux hommes étaient couchés. J'étais terrifiée à l'idée de savoir ce qui se passerait si David était découvert.
Pointant vers Léon, ils ont demandé :
"Qui est-ce" ? "Mon fils Léon" ai-je répondu. Je tremblais et pouvais voir qu'ils avaient compris. David était caché sous les draps, mais les Boches étaient évidemment bien informés, ils ont tiré les draps et ont dit : "Et qui est-ce?!" "Un cousin," leur ai-je dit, sachant qu'ils savaient avoir trouvé leur soldat britannique."

Les Allemands ont arrêté non seulement David, mais aussi Julie-Célestine et son fils Léon. Madame Baudhuin a tenté de toucher leurs cœurs en les suppliant de ne pas éloigner une mère de sa jeune fille, sans personne pour prendre soin d'elle, mais son appel a été vain et tous les trois ont été emmenés en captivité.

Ils ont été maintenus dans de très mauvaises conditions jusqu'au 16 octobre 1916, date à laquelle ils ont été traduits devant un tribunal militaire allemand. Julie-Célestine a été condamnée à 10 ans de prison, Léon à des travaux forcés dans un camp de travail et David fut condamné à être fusillé. Il semblait que son destin était scellé.

C'est à présent que Julie-Célestine, dans ce qui devait être l'un des actes les plus émouvants et les plus passionnants de la Grande Guerre, a demandé à la Cour une grâce au bénéfice du soldat britannique. Rassemblant pleinement toute la chaleur de son grand cœur maternel, elle a parlé avec éloquence de sa jeunesse, puis avec une émotion incontrôlée, elle a parlé de la perte de son fils Jules sur le champ de bataille et de l'adoption du jeune soldat.

"Cette guerre a pris mon fils ; Dieu m'a envoyé un autre à sa place."

Les officiers en jugement doivent avoir été émus par le plaidoyer de cette courageuse femme française et mère merveilleuse car, miraculeusement, la peine de mort de David a été commuée et il a été condamné à une peine de vingt ans d'emprisonnement.

David et Julie-Célestine ont passé le reste de la guerre en prison, Léon dans un camp de travail. Tous trois ont beaucoup souffert des mains de leurs ravisseurs. Marie a dû se débrouiller seule et Aimée a attendu son Cameronian.

Dans une interview de 1922, David se souvint : "Enfin, l'armistice est arrivé et j'ai été libéré de prison le 2 décembre 1918."

David a ensuite montré à quel point il était homme de parole, car après avoir rejoint le domicile de son père en Écosse depuis Cologne, il a réussi à obtenir l'autorisation de retourner au Cateau et le 12 février 1919, moins de deux mois après sa libération de prison, lui et Aimée étaient mariés.

Aimée    David


Baudhuin Julie-Célestine, son fils Léon et son mari ont été réunis et se sont installés pour reconstruire leur vie dans la ville ravagée par la guerre, leur maison détruite. Tous avaient souffert. Marie avait bénéficié de l'aide des braves gens de Le Cateau et avait également survécu à la guerre, mais sa santé fut altérée.

Madame D. a été arrêtée pour collaboration et condamnée à mort ; la peine n'a pas été exécutée.

 


Comme toujours en cas de disparition, les parents de David se sont adressés à la Croix-Rouge :

CICR 01

Il semble qu'ils n'apprendront qu'en 1916 qu'il est en vie. On retrouve David dans les registres du CICR, à Soltau en 1918, venant de Cottbus :

Soltau

 


 

Julia Célestine FARCAGE est née à Le Cateau le 28 février 1867, elle y épouse Jules BAUDHUIN (né dans la même ville le 2 août 1873) le 31/10/1896.

Julie celestine Baudhuin

Elle porte à coté du ruban de rappel qui pourrait être celui de la médaille commémorative,
TASM_the Allied Subjects' Medal de bronze décernée par les Britanniques récompensant ainsi ceux qui sont venus en aide aux soldats du Commonwealth derrière les lignes ennemies pendant la guerre.

Seules 134 médailles ont été décernées en argent et 574 en bronze, la moitié des bénéficiaires étaient des femmes.

Ils ont 3 enfants Jules Arthur, né le 12/11/1893 ; Léon, né le 05/01/1897 ; Marie Antoinette née le 29 avril 1902, tous trois à Le Cateau.

Le père, qui avait effectué son service militaire au 84e RI est mobilisé (à 41 ans) au 4e régiment d'infanterie territoriale le 14/08/1914. Affecté à la défense de la place-forte de Maubeuge, il sera fait prisonnier à la reddition de celle-ci le 7 septembre 1914 et emmené à Friedrischfeld, dont il sera rapatrié le 18/12/1918.

Le fils Jules Arthur est incorporé au 60e régiment d'artillerie le 27/11/1913 ; il est sous les drapeaux à la déclaration de guerre. Il est tué le 6 septembre 1914 à Haraucourt (Meurthe & Moselle).
Il y aura 3 morts et 25 blessés au 60e RA pour la seule journée du 6.

MDH Baudhuin J

Il est inhumé dans la Nécropole Nationale de Courbesseaux (Meurthe & Moselle) tombe 558.

Julie Célestine Baudhuin décède en 1936, Aimée Cruikshank-Olivier en 1964, David, qui travaillait à l'entretien des cimetières pour la CWGC, en 1973, ils ont eu deux fils, un petit-fils qui a commencé ce récit.

Le document, remis par le maire de Londres à Mme Baudhuin, publié sur twitter

testimonial

 Mmes Belmont, Lesur et Cardon ont reçu le même

 

17 décembre 2018

Héroïnes civiles : Mme Cardon et le caporal Hull.

Suite : Mme Baudhuin et le soldat Cruikshank

     Dans le précédent sujet, j'ai traité de deux des 4 héroïnes présentes sur cette photo de l'agence Rol que Gallica à mis en ligne récemment, Mme Belmont-Gobert et sa fille Angèle..

Londres

      De gauche à droite sur cette photo prise à Mansion House, résidence officielle du lord-maire de Londres le 8 avril 1927 :

Lord Burnham, propriétaire du Daily Telegraph,
Mme Marie-Louise Cardon, de Bertry,
Mme Angèle Lesur, de Bertry,
Patrick Fowler, au centre de cette histoire,
Mme Veuve Marie Belmont-Gobert, de Bertry, mère d'Angèle Lesur,
Sir Rowland Blades, lord-maire,
Mme Julie-Célestine Baudhuin, de Le Cateau-Cambrésis
M. de Fleuriau, ambassadeur de France,
L'épouse du lord-maire.

                              Elles étaient accompagnées de M.  Bracq, maire de Bertry, et de M. Lebeau, maire de Le Cateau qui ne figurent pas sur la photo.

Il est probable qu'elles aient en main document remis par le lord-maire (voir ceux conservés de Mmes Bauduin et Belmont)

   Je reprends donc le récit fait en annexe de "Liaison, 1914. A narrative of the great retreat" du brigadier-général E.L. Spears disponible en anglais sur archive.org

 

HISTOIRE DE SOLDATS ANGLAIS RESTES EN ARRIÈRE DES LIGNES ALLEMANDES PENDANT LA RETRAITE


(J'avais l'intention de comprendre le récit suivant dans le corps de mon ouvrage, j'ai décidé de le rejeter dans un appendice pour des raisons qui apparaîtront au cours de la lecture.)

Le soldat Patrick Fowler et deux autres hommes virent leur retraite coupée après la bataille de Le Cateau et errèrent à cheval au hasard, complètement perdus. Il leur parut évident qu'ils se trouvaient en arrière des lignes allemandes, car ils aperçurent de l'artillerie ennemie en position. Les routes étaient couvertes de convois allemands, les villages pleins de troupes allemandes et, comme leurs chevaux les mettaient dans l'impossibilité de se cacher, ils les abandonnèrent dans une ferme. Le fermier leur donna des vivres et les trois hommes se séparèrent pour que chacun courût sa chance et s'efforçât de regagner les lignes anglaises.

(.... voir ici l'histoire de Patrick Fowler .....)

Fowler vint à savoir qu'un autre homme de son régiment vivait aussi caché à Bertry. C'était le caporal Hull, qui était caché dans la maison de M. et Mme Cardon. Fowler et Hull se virent un soir et combinèrent de gagner la Hollande, mais ce projet ne devait jamais se réaliser. L'histoire du caporal Hull eut une fin beaucoup plus tragique.

La femme qui le livra, Irma Ferlicot (moins on en parlera, mieux cela vaudra) était connue dans toute la région comme « la mauvaise Française » Le dédain qu'on lui manifestait pendant l'invasion se mua en accusation dès la retraite allemande. Désignée par la voix publique, elle fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité par un Conseil de guerre français et mourut en prison il y a peu de temps. Ce châtiment était mérité, car sa trahison envers Hull coûta la vie à ce dernier et fut cause de malheurs sans nombre pour les Cardon, qui l'avaient caché.

Par une nuit de septembre 1915, sur les indications fournies par la traîtresse, des policiers allemands se rendirent à la maison de Cardon et allèrent droit à la cachette de Hull. Cardon, voyant que tout était perdu, jeta par terre l'Allemand le plus proche et réussit à s'échapper. La rapidité de son action lui sauva la vie pour le moment, mais une agonie interminable, pire que la mort, l'attendait. Jusqu'à la fin de la guerre il resta caché dans les bois. Il errait çà et là, glanant quelques aliments reçus de gens qui n'osaient pas lui offrir l'hospitalité. Une ou deux fois il put trouver du travail, mais il dut toujours l'abandonner et gagner les bois de crainte d'être arrêté. Jamais il ne reçut de nouvelles de sa famille, sa santé fut ruinée, sa raison fut atteinte. Il ne cessait de répéter les noms de sa femme, de ses enfants et de Albert Hull. A la fin de la guerre ce n'était plus qu'une épave humaine, incapable de faire vivre sa famille, il est mort il y a sept ans.

Cardon a laissé un document curieux, le récit de ses aventures. En dépit de ses malheurs, en dépit des souffrances de sa famille, il n'a jamais regretté d'avoir pris chez lui le soldat anglais qu'il avait relevé, épuisé, sur le champ de bataille du Cateau. Il écrivit comment «obéissant à la voix de sa conscience, en pleine conscience des risques qu'il courait, il porta Hull jusqu'à sa chaumière, et lui aménagea adroitement une cachette dans un petit grenier au-dessus de son charbonnier ; la trappe qui le fermait était dissimulée par un morceau de toile blanchie pour imiter le plafond.

Lorsque Cardon disparut dans la nuit, les Allemands qui étaient venus l'arrêter avec son protégé pensèrent que l'on prendrait facilement le Français le lendemain, et emmenèrent Mme Cardon et Hull. Ces derniers furent transférés à Caudry et, d'après Mme Cardon, à leurs tortures morales s'ajoutèrent les souffrances physiques dues à la brutalité allemande. Hull, en particulier, fut traité d'une manière abominable. A moitié affamé, il fut emprisonné dans un trou humide et nauséabond. Leur sort à tous les deux était si lamentable que les paysans essayèrent de leur faire passer quelques aliments, courant ainsi de gros risques.

Au bout de huit jours, la paysanne française et le caporal anglais furent traduits devant un Conseil de guerre allemand. Ils n'avaient personne pour les défendre. Tous deux furent condamnés à mort mais la peine prononcée contre Mme Cardon fut commuée, par la suite, en vingt ans de travaux forcés en Allemagne.
Après le procès, on les enferma dans des cellules voisines, Hull était enchaîné, on ne lui déliait les mains que pour manger.

Les prisonniers pouvaient de temps à autre communiquer par une fente de la muraille, et la noble femme fit tout ce qu'elle pouvait pour maintenir le moral de Hull. Il n'avait aucun espoir. Mme Cardon essaya de lui faire comprendre, à l'aide des mots qu'il connaissait, qu'après tout sa sentence pouvait être adoucie, mais il ne conservait aucune illusion. Sa grande préoccupation était la crainte que ses parents ne connussent jamais son sort. Il fit promettre à Mme Cardon qu'elle les en instruirait... après. Il n'avait pas le droit d'écrire et il était des plus difficiles de faire apprendre à Mme Cardon l'adresse de sa famille. Il fallut à cette dernière de grands efforts pour retenir ces mots anglais d'apparence barbare, pour apprendre l'adresse que le hussard dans sa détresse, ne cessait de lui murmurer à voix basse par la fente de la cloison. Il ne servait de rien d'épeler, les lettres prononcées en anglais n'avaient aucun sens pour elle, ils durent s'en tenir au son des mots.

Mais elle se souvint. Elle se souvint de la nuit du 21 octobre quand elle entendit les Allemands entrer dans la cellule de Hull et l'emmener. Elle se souvint de la journée du lendemain quand elle apprit qu'il avait été fusillé et était mort en soldat. Elle s'en souvint encore dans la prison d'Aix-la-Chapelle, où elle fut incarcérée, elle n'oublia pas davantage dans les prisons de Delitzsch et de Siegburg, où on l'envoya plus tard. La tragique vision du soldat anglais ne cessa de la hanter : son souvenir se mêlait de manière inextricable à ceux de son mari, Gustave, et de ses petits enfants, Marie-Jeanne [née en 1909], Gustave [né en 1910], de son bébé, Gabrielle [née en 1912].

En 1927, Mme Cardon était veuve et vivait misérablement dans une cabane au Cateau. Elle travaillait à l'usine avec sa petite Gabrielle, âgée maintenant de quatorze ans, pendant de longues heures pour ne pas mourir de faim. Les deux autres enfants ont été aidés par des amis et sont en mesure de gagner leur vie. Les parents du caporal Hull voulurent adopter un des enfants Cardon, mais cette mère, que rien ne pouvait abattre, décida que tant qu'elle en aurait la force, elle élèverait sa famille et tout en se montrant très reconnaissante, elle déclina cette offre.



Le journal Néo-Zélandais "Otago Daily Times du 13 juillet 1928" donne quelques détails supplémentaires sur la capture et les détentions :

Un jour, Hull s’aventura dans le jardin et fut aperçu par un voisin. Les Allemands soupçonnaient que des fugitifs se cachaient dans le village et le voisin qui avait fait cette découverte était en bons termes avec un espion à la solde de l'Allemagne. Sous la pression de l'espion, le voisin a vendu le secret pour 400 francs. Cardon raconte qu'il parlait à Hull dans sa cachette quand, le 22 septembre au soir, sa maison fut soudainement encerclée par des soldats allemands. Ils se sont dirigés directement vers les dépendances et, ne trouvant pas la trappe, ils ont déchiré son toit, laissant apparaître Cardon et Hull ensemble. Le Français savait que sa vie était perdue. Il est passé à travers la trappe et a été confronté à deux Allemands. Sentant qu'il importait peu qu'on lui ait tiré dessus à ce moment-là ou plus tard, il prit ses ravisseurs au dépourvu et, frappant l'un d'eux au nez, les dépassa dans la pénombre et se sauva. Sa position était terrible, car il ne pouvait pas rejoindre sa femme, qui était restée seule avec les enfants.

Madame Cardon et Hull ont été emmenés sous escorte dans une ville voisine où, avec à peine de quoi se nourrir, ils sont restés huit jours jusqu'à leur cour martiale. Ils n'ont pas eu droit à un avocat et ils ont tous deux été condamnés à mort. La peine de Madame Cardon a été commuée en une peine de vingt ans d’emprisonnement avec travaux forcés et une amende de 2000 marks. A défaut de paiement, la peine devait être augmentée d’un jour par 15 marks, une alternative qui ne provoqua rien d’autre que le rire de la victime.

Pendant plusieurs jours, Mme Cardon et Hull ont occupé des cellules adjacentes et ils ont pu converser occasionnellement par une ouverture dans le mur de séparation. Dans la nuit du 21 octobre, à 10 heures, ils ont entendu un véhicule s’arrêter sous le mur de la prison. Il y eut un piétinement dans la cellule suivante et, à travers le trou, Mme Cardon vit Hull s'éloigner entre des soldats baïonnette au canon. Elle n'a pas eu besoin d'être informée de son exécution le lendemain.

De janvier 1916 au 21 novembre 1918, Mme Cardon a été traitée comme criminelle de droit commun dans les geôles allemandes, connue par un numéro et non par un nom, et punie par une réduction de la ration pour la moindre faute.

Le sort de son mari était encore pire. Dès la nuit de son évasion, il a été traqué dans le nord de la France et en Belgique comme une bête sauvage. Quelques personnes courageuses se liaient parfois avec lui, mais le risque qu'elles couraient était trop grand pour qu'il l'imposât longtemps. Deux ou trois fois, il faillit atteindre la Hollande, mais il échoua au dernier moment. La plupart du temps, il dormait sous des haies ou dans un abri possible. Seul l'armistice mit fin à sa souffrance. Sa santé était tellement affectée par les difficultés que M. Cardon est mort en 1924.

 

    Herbert S Hull est né à Mile End, London, UK en 1882. Matricule 6389, il appartenait au 11e régiment de Hussards (Prince Albert's Own).

Hull

Son exécution le 21 octobre 1915 a eu lieu au stand de tir de Caudry, la ville où avait été jugé et détenu. L'endroit n'existe plus en tant que tel, il figure sur les cartes anglaises de l'époque (dans le carré 17) et l'on peut pouvait encore l'apercevoir sur cette photo aérienne de l'IGN de 1947.

caudry   Rifle range_t

    Le caporal H.S. Hull est inhumé dans le carré britannique du cimetière communal de Caudry, dont les pierres tombales sont inhabituellement couchées, tombe B.7. en compagnie de 138 autres soldats du Commonwealth dont 40 sont inconnus.

CaudryBC
(photo CWGC)

    La pierre tombale du caporal Hull porte l'écusson de son régiment adopté avec le nom en 1840. Y est écrite la devise "Treu und Fest" : Force et Loyauté ; c'est celle du prince Albert, époux de la reine Victoria. L'écusson était porté en "cap badge" sur la casquette des soldats.

gravestone Hull 11th_hussars_cap_badge


    Coïncidence de l'Histoire, ce même régiment, alors 11e Dragons Légers, participait en juin-juillet 1793 au siège de Valenciennes, puis à celui de Landrecies l'année suivante, ces deux villes ayant capitulé dans cette autre campagne de Flandres...
 
 
Marie-Louise MATON est née le 13 mai 1887 à Le Cateau, elle est décédée le 15 décembre 1971 à Fâche Thumesnil (59), elle épouse à Le Cateau le 20/04/1908 Gustave Arsène CARDON né le 4 décembre 1881 à Maurois (59) et décédé en 1924.
Ils ont eu 3 enfants : Marie-Jeanne née à Le Cateau le 24/03/1909, Gustave né le 20/07/1910 à Le Cateau (décédé en 1946) et Gabrielle, née le 02/04/1912 à Le Cateau, et qui sera adoptée par la Nation en 1928, suite au décès de son père.
 
Tous deux ont reçu la Médaille d'argent de la Reconnaissance Française (JORF du 11/03/1923)

JORF Cardon

On remarque que M. Cardon avait été condamné à la même peine de 20 ans de travaux forcés que son épouse en dépit de son absence.

 

 
 
14 décembre 2018

Héroïnes françaises : Mme Belmont et le soldat Fowler.

 Suite : Mme Cardon et le caporal Hull

 

     Lorsque le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France a mis en ligne cette image de 1927 de l'agence Rol numérisée, il n'y avait aucune autre information que : "Les héroïnes françaises de guerre reçues par le lord-maire de Londres".

     Aucun des personnages n'était nommé, hormis le lord-maire que l'on pouvait reconnaître. Mais le plus curieux était cet homme qui semblait sortir de l'armoire en arrière-plan ... Un raté d'instantané ? La présence de ces Françaises à Londres en 1927 me rappelait une histoire lue dans "Liaison, 1914. A narrative of the great retreat" du brigadier-général E.L. Spears disponible en anglais sur archive.org , l'auteur réserve l'une des annexes à une histoire singulière à propos de "British soldiers cut off behind the german lines".

Londres

Après recherches, les identités se sont dévoilées :

      De gauche à droite sur cette photo prise à Mansion House, résidence officielle du lord-maire de Londres le 8 avril 1927 :

Lord Burnham, propriétaire du Daily Telegraph,
Mme Marie-Louise Cardon, de Bertry,
Mme Angèle Lesur, de Bertry,
Patrick Fowler, au centre de cette histoire,
Mme Veuve Marie Belmont-Gobert, de Bertry, mère d'Angèle Lesur,
Sir Rowland Blades, lord-maire,
Mme Julie-Célestine Baudhuin, de Le Cateau-Cambrésis
M. de Fleuriau, ambassadeur de France,
L'épouse du lord-maire.

                              Elles étaient accompagnées de M. Bracq, maire de Bertry, et de M. Lebeau, maire de Le Cateau qui ne figurent pas sur la photo.

Note : L'ensemble des documents rencontrés parlent de
Mme Belmont-Gobert, mais pour l'état-civil,
son mari est né Belmant, orthographe qui
figure également sur leur acte de mariage.

Il est probable qu'elles aient en main le document remis par le lord-maire (voir en bas de cette page)

     Il existe du livre une traduction en français "En liaison 1914" auquel j'emprunte la relation de cette histoire. L'auteur (E.L. Spears) parle à la première personne :

HISTOIRE DE SOLDATS ANGLAIS RESTES EN ARRIÈRE DES LIGNES ALLEMANDES PENDANT LA RETRAITE


(J'avais l'intention de comprendre le récit suivant dans le corps de mon ouvrage, j'ai décidé de le rejeter dans un appendice pour des raisons qui apparaîtront au cours de la lecture.)

L'étrange histoire du soldat Fowler du 11° Hussards.

Le soldat Patrick Fowler et deux autres hommes virent leur retraite coupée après la bataille de Le Cateau et errèrent à cheval au hasard, complètement perdus. Il leur parut évident qu'ils se trouvaient en arrière des lignes allemandes, car ils aperçurent de l'artillerie ennemie en position. Les routes étaient couvertes de convois allemands, les villages pleins de troupes allemandes et, comme leurs chevaux les mettaient dans l'impossibilité de se cacher, ils les abandonnèrent dans une ferme. Le fermier leur donna des vivres et les trois hommes se séparèrent pour que chacun courût sa chance et s'efforçât de regagner les lignes anglaises. Fowler gagna les bois, ce sera toujours un mystère de savoir comment il y vécut jusque dans le cœur de l'hiver. Complètement perdu, ignorant la langue du pays, sachant à peine où il était, redoutait toute rencontre, il resta caché dans les bois jusque dans le courant de janvier 1915. Il eut un jour la chance d'être découvert par un homme vraiment admirable, Louis Basquin, qui le cacha dans une meule de foin et lui porta de quoi manger. Basquin habitait une maison toute petite, trop petite pour y cacher quelqu'un, dans le petit village de Bertry, sur le champ de bataille du Cateau-Cambrésis. Il ne pouvait héberger personne, cependant l'Anglais serait certainement mort s'il était resté dans les bois, exposé à toutes les rigueurs de la saison. Basquin consulta sa belle-mère, Mme Belmont-Gobert, qui habitait le même village avec sa fille, Angèle. Son autre fille, Euphémie, était dans les lignes françaises et complètement séparée des siens.

Angèle et sa mère étaient très pauvres, car elles vivaient uniquement de ce que la jeune fille gagnait en brodant. Mises au courant par Basquin, elles se trouvèrent en face d'un problème terrible. Un soldat inconnu, un étranger, vivait dans une cachette en plein air ; elles étaient parmi les plus pauvres du village, la nourriture était rare, chère et très strictement rationnée ; recéler un soldat allié c'était, en cas de découverte, risquer leur vie. Pourquoi se mêler de cette affaire ? C'est pourtant ce qu'elles firent. Bien qu'il ne sût pas un mot de français, ce soldat s'était battu pour la France. Si elles se refusaient à le recevoir c'était la mort pour lui, elles risquèrent délibérément leur vie pour sauver la sienne. C'était, en vérité, une décision héroïque. Au cours des années longues et lugubres pendant lesquelles elles devaient l'abriter, jamais elles n'eurent une défaillance, jamais elles ne regrettèrent ce qu'elles avaient fait, leur résolution ne fit que s'affermir avec le temps.

Et pendant quatre années, leur existence ne fut que l'interminable martyre de l'attente, en risquant chaque jour leur vie pour sauver celle d'un autre. A tout autre, les difficultés matérielles auraient paru insurmontables. Il y avait dans leur chaumière quatre pièces, et ce jour-là vingt soldats allemands occupaient les deux pièces de l'unique étage. Cependant on envoya Basquin chercher Fowler dès la tombée de la nuit. Il revint avec un être qui avait à peine une apparence humaine, personne n'aurait pu s'imaginer qu'il appartenait à un des régiments les plus chics de l'armée anglaise. La barbe inculte, dans un état de saleté incroyable, le hussard portait un uniforme crasseux et déchiré. Il avait la figure et les mains couturées de cicatrices encore couvertes de croûtes, traces d'égratignures et de coupures innombrables. Tout effaré, tout ahuri, ne comprenant rien aux paroles chuchotées à la hâte, on le poussa tout droit dans ce qui devait être sa cachette pendant quatre ans.

Les deux femmes lui avaient préparé une espèce de niche dans la grande armoire de la salle commune. Ce meuble carré avait environ 1,75m de hauteur, autant de largeur et près de 50cm de profondeur. Il était divisé en deux parties, dans celle de droite il y avait des rayons, dans celle de gauche on cacha Fowler.

Dans sa prison de 85cm sur 50cm l'Anglais endura des alarmes et des anxiétés probablement moins cruelles que celles ressenties par les deux femmes qui le cachaient, car elles avaient à redouter des dangers dont il n'avait pas la moindre notion dans l'obscurité de son armoire. Il ne voyait pas la main d'un soldat se poser sur la clef de sa porte ; il ne savait pas comment Angèle et sa mère détourneraient l'attention de cet Allemand. Il ne pouvait comprendre les lourdes plaisanteries du Feldwebel lorsqu'il disait à Mme Belmont-Gobert qu'elle avait à coup sûr des provisions cachées dans son armoire et que Fritz les rechercherait dès qu'elle aurait le dos tourné. Il ne voyait pas le chien du voisin flairer l'armoire où il était caché.

Dans les moments les plus périlleux Mme Belmont-Gobert avait recours à un stratagème qui réussit toujours. Quand on fouillait la maison, ce qui était fréquent, lorsqu'on avait minutieusement inspecté le moindre recoin, la plus petite fissure, qu'on avait enfoncé les baïonnettes dans la literie, dans les sacs et les habits pendus au porte-manteau dans un coin de la pièce, quand enfin un Allemand marchait droit à l'armoire, Mme Belmont-Gobert jouait sa dernière carte. Elle attirait l'attention des soldats sur une photographie de sa seconde fille, Euphémie. Euphémie était jolie, en outre elle était en sûreté à Marseille, cette carte était bonne. Les Allemands oubliaient l'armoire et se pressaient autour de la photographie, demandant avec curiosité où ils pourraient voir cette jeune personne. Mme Belmont-Gobert leur laissait croire que sa fille reviendrait bientôt et la porte de l'armoire restait close, sauf une fois où une patrouille allemande se présenta à l'improviste Fowler était assis dans la chambre : les deux femmes eurent une inspiration admirable, elles le poussèrent vers le lit, loin de l'armoire et le cachèrent dans le bois même du lit, sous le matelas. Les Allemands allèrent droit à l'armoire et l'ouvrirent à deux battants. Ils enfoncèrent ensuite leurs baïonnettes dans le lit, grâce au ciel Fowler ne fut pas atteint.

En dépit de cette aventure, on ne perdit pas confiance dans l'armoire, au fond de laquelle Fowler passait la plus grande partie de son temps. Un trou pratiqué dans la cloison qui la séparait en deux lui permettait de respirer, c'est encore par là qu'on lui passait à manger, souvent même pendant que les soldats Allemands étaient assis dans la pièce. Ce qui contribua surtout au succès du stratagème employé, c'est que Mme Belmont-Gobert laissait toujours ouverte la partie de l'armoire divisée en rayons et en sortait fréquemment des objets en présence des Allemands. Quiconque l'observait supposait naturellement que les rayons se prolongeaient dans toute la largeur de l'armoire et, dans ce cas, on n'aurait rien pu y cacher de plus gros qu'un chat.

Les nuits étaient pour Fowler une épreuve très pénible. Il n'était pas question de sommeil pour lui, car les Allemands qui dormaient à l'étage ne se faisaient point faute de se glisser en bas pour voler des pommes de terre sur le haut de l'armoire. Un jour les Belmont-Gobert reçurent l'ordre de vider les lieux et d'emménager dans une maison plus petite. Nullement effrayés, Basquin et les deux femmes déménagèrent les meubles dans leur nouvelle habitation, Fowler y fut conduit de nuit et la même vie, si l'on peut appeler cela une vie, reprit son cours. Même dans cette petite maison on logeait des Allemands au grenier.

Cette existence misérable ne tarda pas à produire ses effets. Fowler qui ne pouvait dormir que le jour dans l'armoire, eut de fréquentes indispositions. Le pharmacien de la localité, M. Baudet, un homme remarquable, fut mis dans la confidence et fournit des médicaments. Puis ce fut le tour de Mme Belmont-Gobert d'être victime de cette tension perpétuelle. Elle se refusait à avouer qu'elle avait peur, mais elle commença à avoir des crises nerveuses inquiétantes. Un jour terrible, elle eut une crise alors que les Allemands étaient dans la maison même, à l'étage, et Fowler la soigna avec la frénésie du désespoir. Après cela on ne la laissa jamais seule à la maison. Quelques voisins étaient dans le secret. Ils venaient à l'aide, donnaient à l'occasion une ou deux pommes de terre, un peu de lait. Il y avait des jours où la faim se faisait vivement sentir. Les Gobert avaient deux poules et devaient donner aux Allemands un œuf par jour. S'ils ne le fournissaient pas, ils avaient un mark d'amende, et dans ce cas, Angèle avait à travailler la moitié de la nuit pour gagner ce mark.

Fowler vint à savoir qu'un autre homme de son régiment vivait aussi caché à Bertry. C'était le caporal Hull, qui était caché dans la maison de M. et Mme Cardon. Fowler et Hull se virent un soir et combinèrent de gagner la Hollande, mais ce projet ne devait jamais se réaliser. Hull fut trahi par une femme qui le livra aux Allemands, ses protecteurs et lui furent voués à la même tragédie. Fowler et les Belmont-Gobert échappèrent à un sort semblable ; leur discrétion, leur esprit toujours en éveil et par-dessus tout la chance les favorisèrent jusqu'à la fin de la guerre.

En 1918, les premières troupes alliées qui firent leur entrée à Bertry, virent venir au-devant d'elles un individu courbé en deux, qui poussait des cris délirants et ne purent jamais croire qu'il était comme il le disait, un soldat anglais. Elles l'arrêtèrent comme espion et le renvoyèrent à l'arrière sous escorte. Heureusement pour lui, le premier officier anglais qu'il rencontra fut le commandant Drake, sous les ordres duquel il avait servi en 1914. Fowler fut mis en liberté, et la même nuit le colonel Anderson, commandant le 11e hussards, le fit chercher, car le régiment avançait sur le même terrain qu'il avait parcouru au cours de sa retraite après Mons.



J'avais eu à m'occuper de l'affaire de Mme Belmont-Gobert aussitôt après la fin de la guerre, car mon régiment, très ému par son dévouement, me demanda de m'occuper d'elle. Les officiers et les soldats lui offrirent, par souscription un plat d'argent, pour lequel je composai une inscription. Puis, apprenant qu'elle était dans la misère, je soumis son cas au War Office. Cette démarche fut l'occasion de longues cogitations et, à Londres, on se gratta la tête. Ce n'était pas la bonne volonté qui manquait, mais elle était malheureusement entravée par la bureaucratie. La réponse finale fut la suivante : il n'y avait pas de précédent au cas de Mme Belmont-Gobert, aucun règlement ne le prévoyait, en conséquence on ne pouvait lui allouer aucune somme. D'autre part, on pouvait admettre que, dans des circonstances à vrai dire assez irrégulières, Fowler pouvait être considéré comme cantonné chez elle pendant quatre ans. A Bertry, pendant la guerre, la seule autorité constituée était l'autorité allemande, en dépit de cette fâcheuse anomalie et bien que les pièces nécessaires n'eussent pas été fournies en temps utile, on interpréta très largement le règlement et on décida que Madame Belmont-Gobert avait droit à l'indemnité supplémentaire de vivres de Fowler, à raison de deux pence par jour et qu'on se passerait des formalités réglementaires. On lui envoya deux mille quarante-quatre francs cinquante centimes. Il n'est que juste d'ajouter que le War Office appela l'attention du roi sur son héroïsme et qu'elle reçut la Croix d'officier de l'Empire britannique.

On apprit peu après que la somme payée par le War Office avait été consacrée à payer aux voisins des dettes contractées pour assurer l'existence de Fowler et pour subvenir aux frais occasionnés par sa maladie. Dès qu'ils furent mis au courant, les officiers du 11° hussards souscrivirent une autre somme qui, toutefois, ne dura pas longtemps. Ces deux femmes, étaient pauvres, sans grande instruction, c'étaient de laborieuses paysannes caractéristiques du type campagnard. Elles pouvaient paraître dures, parcimonieuses, d'idées étroites, mais elles avaient des cœurs d'or. Ce n'était que de simples paysannes de France, il y en a des milliers comme celles-là qui, soumises à la même épreuve, auraient agi de même.

Des actes d'héroïsme de ce genre ont dû être fréquents car l'attitude des provinces envahies fut magnifique pendant toute la guerre. Chaque fois que l'occasion s'offrait de montrer son dévouement pour la cause alliée, on ne manquait pas de la saisir. Sans la publication accidentelle de cet ouvrage, ces récits seraient probablement demeurés longtemps dans l'oubli. Le paysan français travaille trop durement, il est trop proche de la terre pour parler beaucoup du passé. Après tout, ces épisodes ne sont que des incidents de guerre, chacun faisait ce qu'il pouvait, tout le monde souffrait, pourquoi s'arrêter sur un fait plutôt que sur un autre ?

Je me souvenais du magnifique dévouement de la famille Belmont-Gobert et je désirais faire ressortir leur héroïsme dans mon récit, je fis quelques démarches pour vérifier les faits. J'appris alors que ces femmes menaient une existence besogneuse et misérable, avec des santés ébranlées, c'était là le résultat immédiat de leur sacrifice volontaire pour des soldats anglais. Je décidai de mettre au courant de ces récits Lord Burnham qui les fit vérifier et les publia dans le Daily Telegraph. Grâce à ses efforts justice leur a été rendue et la souscription recueillie a été suffisante pour permettre aux deux Françaises de vivre à l'abri du besoin. On les fit venir à Londres, le Roi et la Reine leur offrirent une réception magnifique ainsi que le Lord-Maire et le grand public anglais, montrant ainsi à la nation française toute entière, que l'Angleterre sait reconnaitre et honorer l'héroïsme et l'esprit de sacrifice.

Il reste encore quelque chose à faire. J'espère que si on n'élève pas, quelque part en Angleterre, une statue, on posera au moins une plaque commémorative pour rappeler ces actes d'héroïsme. Cet honneur est dû à ces femmes ; il le faut pour elles comme pour nous.

Garder leur souvenir intact, c'est perpétuer l'un des traits les plus nobles de la nature humaine.
  • Le soldat Hull dont il est question dans ce récit, caché par Mme Cardon, a été dénoncé et fusillé.
  • Mme Baudhuin a caché le soldat David Cruickshank ; finalement dénoncé, elle le sauvera de la peine capitale.
    Ils feront l'objet d'un autre récit.

 

    Le seul dont je n'ai pas encore parlé est le buffet qui a servi de cache au soldat Patrick Fowler. Acheté à Mme Belmont par Sir Charles Wakefield, exposé pour les besoins de la photo, il a été cédé à l'Imperial War museum qui actuellement le prête au King's Royal Hussars Museum à Winchester, Hampshire. Adroitement mis en scène il y a reçu dernièrement la visite du petit-fils de Patrick Fowler (voir sur le site en date du 10/07/2018, la photo ci-dessous en provient)

buffet

    Ce type de buffet (ou bahut) haut, de style Louis-Philippe en chêne massif, ne se démontait pas. Tout au plus peut-on en enlever les portes. La rigidité de celui-ci est assurée par le montant central, inamovible. Hormis la taille réduite de l'espace destiné à Fowler, c'est la cachette idéale, dont le poids respectable assurait la stabilité. Comme un bon magicien, Mme Belmont-Gobert réussissait à faire croire que la partie gauche (qui faisait initialement penderie) était à l'identique de la droite, remplie de vivres. L'IWM en détient un croquis :

amoire

Sur le cliché suivant (Référence IWM Q 61741) on voit Mme Belmont-Gobert et sa fille Angèle, devant le bahut, présentant le plateau en argent et son inscription (tel que le décrit E.L. Spears) :

"Offert
à Mme Belment-Gobert
à Melle Angèle Mme Belment-Gobert
à Melle Euphèmie Mme Belment-Gobert
et à M. Louis Basquin
par le Colonel et les officiers du 11e Hussards Britanniques
en témoignage de gratitude et d'admiration
pour la bravoure constante qu'ils montrèrent
en cachant chez eux au péril de leurs vies
pendant près de 4 ans d'occupation allemande,
le cavalier Patrick Fowler du 11e Hussards
15 janvier 1915-10 octobre 1918
"

Silver plate

Cette photo a été prise dans leur intérieur, sur le meuble on peut apercevoir une horloge, qui avec le cadre en argent de Fowler sur la table est un cadeau des soldats et sous-officiers portant l'inscription "Avec l'admiration la plus cordiale des soldats du 11e Hussards Britanniques ".

IWMr

Chacune avait reçu la médaille de l'ordre de l'Empire britannique (Most Excellent Order of the British Empire) dans la version dédiée aux dames, qu'elles portent sur la photo faite à Mansion House :

Médaille

Selon l'IWM elles furent nommées "Honorary Officers of the Civil Division of the Order of the British Empire" le 4 mars 1919. Officiers honoraires, titre réservé aux non-britanniques, ce qui explique peut-être que je n'ai pas retrouvé leur nomination dans la London Gazette.

Je n'ai pas beaucoup d'information à leurs sujets, l'IWM dispose d'une photo (reference Q 64300) prise en août 1938 de Mme Belmont-Gobert.

Mme Belmont-Gobert IWMr

Angèle Marie Gobert est née à Elincourt le 5/01/1872, elle est décédée en 1948 et inhumée au cimetière de Bertry. Sa tombe porte le nom de Belmant-Gobert, le patronyme de son mari Léon Augustin, épousé à Elincourt en 1891, s'écrivant effectivement avec un "a" . Sa mère et sa fille Angèle sont inhumées avec elle. La tombe porte fièrement la reproduction de la médaille reçue par les deux femmes.

Tombe Belmant

Veuve depuis le 8/3/1904, elle avait eut 3 filles :
Julie, née à Elincourt rue Gabry le 24/11/1892 qui avait épousé en 1912 Louis Basquin le bûcheron (décédé en 1937) qui découvrit Fowler ; Julie est décédée à Bertry en 1976.
Angèle, née à Elincourt le 16/04/1894 (devenue Mme Lesur en 1921)
Euphémie, née le 10/03/1896 à Elincourt. Cette dernière fit partie d'un convoi d'évacuation pour la France libre via la Suisse le 13 novembre 1916. L'occupant procédait ainsi envers ceux et celles qu'il qualifiait de bouches inutiles. Les archives des rapatriés la situent à Lyon en janvier 1917.
Selon le journal l'Egalité de Roubaix-Tourcoing du 27 juillet 1938, elle put faire connaître à Mme Fowler l'étrange aventure de son mari que les autorités militaires considéraient comme décédé, n'ayant aucune preuve d'une détention en camp de prisonniers. Elle deviendra Mme Lepilliez en 1921.

Il y avait effectivement eu concernant Fowler une recherche infructueuse auprès du CICR qui détient une fiche à son nom.

fiche

 

 

PATRICK_FOWLER

Patrick Fowler est né à Dublin en Irlande en 1877, il s'est enrôlé à 19 ans le 30/06/1896 dans le 5e Royal Dublin Fusiliers, matricule #4219. Lorsque la guerre s'est déclarée il avait déjà servi en Inde et en Egypte, et fut intégré au 11e régiment de Hussards (Prince Albert's Own).

Le régiment a quitté la caserne d'Aldershot le 15 août 1914 et rejoint le Corps Expéditionnaire Britannique dans sa retraite au niveau de Le Cateau.
Arrivés sous les ordres du Lieutenant Frederik Drake, Fowler et Hull ont été séparés des autres le 26 août 1914 et ont choisi d'attendre, se cachant dans les bois, volant et récupérant de la nourriture, la suite est racontée ci-dessus.

 

La veille de Noël 1915, le War office apprit à sa femme et ses deux filles que le soldat Fowler était considéré comme mort, le formulaire de l'armée "B" 2090C en attestait. Quelques mois plus tard un officier dont Patrick avait été l'ordonnance lui a déclaré que le cavalier Fowler avait été tué en août 1914 à quatre milles au sud de Cambrai.

Au début de 1918, sa peau était presque translucide, ses yeux étaient enfoncés et il était dangereusement mince. Ses cheveux étaient devenus blancs, affaibli physiquement et mentalement il était loin de la forme de cavalerie requise.
Lorsque Bertry fut finalement libéré par les troupes alliées le 9 octobre 1918, il se précipita hors de sa cachette. Un officier sud-africain a d'abord pensé qu'il s'agissait d'un espion et a ordonné qu'il soit emmené et abattu.
De l'autre côté de la route, un groupe d'officiers discutait. Parmi eux, Fowler a reconnu un visage. Frederick Drake (à présent commandant) qui s'est porté garant de son compatriote.

Revétu d'un nouvel uniforme, accueilli à la gare de Devizes, Wiltshire, il a été autorisé à passer un mois avec sa famille avant de rejoindre le CEB en France où il a été affecté au mess des officiers.
Lorsqu'il a finalement été autorisé à mettre fin à ses 23 années de service et à quitter l'armée, l'honorable Robert Bruce, ancien commandant du 11e Hussards leur a donné une maison dans son domaine de Morayshire où Patrick est devenu garde forestier. Son 3e enfant, une fille, sera prénommée Angèle.

Ses médailles, présentées par son petit-fils lors de sa visite au musée du 11e Hussards (voir ci-dessus) :

medailles

De gauche à droite :

  • The 1914 Star avec barette "5th Aug.-22nd Nov. 1914" et deux rosettes argentées.
        attribuée le 11/04/1927
        en-dessous le badge "Old contemptibles Mons 1914 British Isles"
  • British War Medal George V
  • Médaille interalliée, version britannique, revers.
  • Long Service & Good Conduct Medal George V.


Patrick Fowler est décédés à Forres, Morayshire UK en 1964

 

On a vu que le gouvernement et le peuple britannique avaient montré leur reconnaissance à la famille Belmont-Gobert, non seulement par des cadeaux (et l'horloge n'était pas des moindres, car il est notoire que nombre d'entr'elles ont disparu du fait des occupants) mais également par des souscriptions qui n'ont pas fait d'elles des gens fortunés. Reste la France :

 J'avais déjà signalé en 2015 que par décret paru au journal officiel du 26/04/1921, "Le Gouvernement porte à la connaissance du pays la belle conduite de"

     Mme veuve Belmont-Gobert, à Bertry (Nord) : a logé et nourri, pendant toute la durée de l'occupation un soldat anglais blessé. A ainsi couru les plus sérieux dangers.

Elle aurait également reçu la Médaille d'Honneur du Ministère des Affaires Etrangères. Mais ce n'est qu'en 1927, lors des réceptions à Londres, que la presse française a largement diffusé leur histoire.

     Lors de la réception par le Lord-Maire de Londres, chacune des héroïnes recevra un document personnalisé comme celui ci-dessous en témoignage de gratitude :

testimonial

 

This Testimonial
was presented to
Madame BELMONT-GOBERT
by the Lord Mayor of London
at the Mansion House, on April 8, 1927

on behalf of a large number of readers of
The Daily Telegraph
who, deeply stirred by the story of the superb courage with which she succoured a British soldier at the risk of her own life in the Great War, subscribes for the purchase of an annuity as a token of the honour due from the British people to a brave Frenchwoman.


Disdaining danger Madame Belmont Gobert provided food and shelter for nearly four years to a soldier cut off in the enemy lines, even though the invaders were continuously billeted in her house.


Wherever the wonderful story has been told it has excited le deepest and purest emotion and the subscribers of the annuity have been spontaneously moved to offer with their thanks and their admiration this testimonial of their earnest desire for her well-being and of their pride at being able to shew their appreciation of her rare magnanimity, her unflinching bravery during the years that the invader remained on her hearth, and her womanly loving-kindness to one whom her devotion saved.
Ce témoignage
a été offert à
Madame BELMONT-GOBERT
par le maire de Londres
à Mansion House, le 8 avril 1927

au nom d'un grand nombre de lecteurs du
Daily Telegraph
qui, profondément émus par l'histoire du  magnifique courage avec lequel elle a secouru un soldat britannique au risque de sa propre vie durant la Grande Guerre, ont souscrit au paiement d'une rente en témoignage de l'hommage dû par le peuple britannique à une courageuse femme française.

Dédaignant le danger Madame Belmont Gobert a fourni nourriture et abri pendant près de quatre ans à un soldat coupé des siens dans les lignes ennemies, bien que les envahisseurs aient été logés en permanence dans sa propre maison.

Partout où la merveilleuse histoire a été racontée, elle a suscité l’émotion la plus profonde et la plus pure et les souscripteurs de la rente ont été spontanément disposés à offrir, avec leurs remerciements et leur admiration, ce témoignage de leur sincère désir de son bien-être et la fierté d'être capable de montrer leur estime pour sa rare grandeur d'âme et sa bravoure sans faille au cours des années où l'envahisseur est resté dans son foyer ainsi que sa féminine bonté envers celui que son dévouement à sauvé.

 

Toujours est-il que Paul Painlevé, ministre de la Guerre de novembre 1925 à octobre 1929, a demandé que le gouvernement britannique ne verse plus d'argent à Mme Belmont-Gobert, car il lui allouait désormais une pension. Il n'y eut plus guère de trace de l'histoire dans la presse, sauf pour la venue du roi George VI en 1938 à Paris, que Mme Belmont tenait à voir, mais, trop fatiguée, ne put se déplacer.

 

     Les britanniques ne semblent pas avoir la mémoire courte : le 4 novembre 2018, un spectacle musical intitulé "Wardrobe" (la garde-robe) a été présenté à Londres, mettant en scène Fowler, Hull, Angèle, Mme Belmont et Edith Fowler.

wardrobe


     A l'occasion du 11 novembre 2019 une cérémonie a eu lieu au cimetière de Bertry où une plaque en l'honneur de Mme Belmant a été apposée :

plaque

     Une exposition s'est tenue également à Bertry retraçant l'épopée de Mme Belmant-Gobert et du Soldat Fowler. On pouvait y voir les diplômes remis à Londres, le plateau d'argent offert par les camarades de Fowler. Y participaient les descendantes de Mme Belmant  : son arrière-petite-fille et 2 arrière-arrière-petite-filles, ainsi que l'auteur John Anderson et son épouse :

11112019
De g à d : Mrs Anderson, Brigitte Halut (arrière, arrière petite fille de Mme Belmant-Gobert), John Anderson,
Anaïs Forrierre (arrière, arrière petite fille) et Claudine Forrierre (arrière petite fille)

 


 

 

    L'épisode de la libération du soldat Fowler est retracé dans le livre de Ben Macintyre : "A foreign Field", qui relate l'histoire (vraie) entre le soldat Robert DIGBY, fusillé à Le Catelet (Aisne) le 30 mai 1916 "pour espionnage", bien qu'il se fût rendu aux autorités allemandes, après avoir été caché par une habitante de Villeret et sa fille avec laquelle il aura un enfant.

Voici la traduction de l'extrait :

    Le 9 octobre [1918], un "homme maigre aux cheveux gris, vêtu de vêtements civils en loques" a subitement échappé aux deux fantassins sud-africains qui l'escortaient sur la voie romaine à une quinzaine de kilomètres de Villeret, et a couru vers un cavalier qui passait. Sautillant devant le major Francis Drake du 11e Hussards survenu par hasard, le petit homme malingre ne cessait de crier : "C'est mon officier". Après quatre ans de clandestinité, la plupart du temps dans un buffet en chêne de la taille d'un cercueil, Patrick Fowler était enfin libre, mais aussitôt arrêté par son propre camp. Une demi-heure plus tôt, une frêle apparition, "gesticulant frénétiquement" et racontant une incroyable histoire de survie, s'était précipitée vers les troupes sud-africaines qui entraient dans Bertry. Il avait été immédiatement arrêté comme espion et renvoyé vers l'arrière sous escorte. Drake était "l'un des rares hommes en France qui pouvait le reconnaître" et sans leur rencontre fortuite sur cette voie romaine, Fowler aurait pu partager un sort identique à celui de Digby.

 

 

 

 

Suite : Mme Cardon et le caporal Hull

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