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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
19 décembre 2018

Heroïnes françaises : Mme Baudhuin et le soldat Cruikshank

     Dans les précédent sujets, j'ai traité de 3 des 4 héroïnes présentes sur cette photo de l'agence Rol que Gallica à mis en ligne récemment, Mme Belmont-Gobert et sa fille Angèle, Mme Cardon.

Londres

 

      De gauche à droite sur cette photo prise à Mansion House, résidence officielle du lord-maire de Londres le 8 avril 1927 :

Lord Burnham, propriétaire du Daily Telegraph,
Mme Marie-Louise Cardon, de Bertry,
Mme Angèle Lesur, de Bertry,
Patrick Fowler, au centre de cette histoire,
Mme Veuve Marie Belmont-Gobert, de Bertry, mère d'Angèle Lesur,
Sir Rowland Blades, lord-maire,
Mme Julie-Célestine Baudhuin, de Le Cateau-Cambrésis
M. de Fleuriau, ambassadeur de France,
L'épouse du lord-maire.

                              Elles étaient accompagnées de M. Bracq, maire de Bertry, et de M. Lebeau, maire de Le Cateau qui ne figurent pas sur la photo.

 Quoi de mieux en introduction que le témoignage du petit-fils du soldat britannique au cœur de ce sujet :

Le soldat David Waddell Cruickshank est mon grand-père paternel. Il est né à Glasgow en 1894.
Il a rejoint le 1er bataillon des Cameronians (The 1st Scottish Rifles) au début de 1914. Matricule 11132. Le régiment s'entraînait dans les Highlands, dans le Perthshire, lorsqu'ils ont été rappelés à la caserne Merryhill d’Hamilton.
Le régiment prit le train pour Southampton et débarqua au Havre. De là, il se rendit à Mons, où les Cameronians furent intégrés à une nouvelle division [19e Brigade de la 6e Division]. Le 19 Août 1914, ils furent placés sur la gauche du canal Mons-Condé.
Après la bataille de Mons, le 2e Corps fut le dernier à s'enfuir. Ils marchèrent nuit et jour dans la chaleur étouffante du mois d'août, sans eau ni nourriture, et furent impliqués en cours de route dans des escarmouches.

Finalement, atteignant Le Cateau, on ordonna au régiment de se rendre à la gare ou de se reposer sur la place de la ville. La bataille de Le Cateau a commencé le lendemain matin vers 6 h 30.
Mon grand-père et un autre soldat des Cameronians étaient pris au piège dans la ville, il a couru dans une rue, mais les Allemands venaient dans l'autre sens, il est entré par une porte où se trouvait une femme de la localité avec un seau d'eau. Un coup de feu a été tiré mais l’a manqué et a frappé le seau et la robe de la dame.
Il avait déjà été blessé avant la bataille. Il s'est donc couché dans la rue en feignant d'être mort. Comme il le disait dans une interview à Paris en 1927, la rue était pleine d'hommes et de chevaux morts. Je me suis donc allongé en espérant que l'ennemi me dépasserait, ce qu'ils firent.
Il a rampé dans une ruelle et a trouvé un jardin plein de fleurs et d'arbustes, il y est resté pendant des heures et il a dit qu'il pouvait entendre tirer l'artillerie britannique.
Puis il a rampé dans la cave d'une maison où Mme Baudhuin s’est occupé de lui.

Cette courageuse dame le garda plus de deux ans, jusqu'à sa capture en 1916. Il a été condamné à mort par un juge allemand et Mme Baudhuin a été condamnée à dix ans de prison en Allemagne.

La sentence de mort n’a pas été exécutée, sinon je n’écrirais pas ces lignes.

IWM Lives of the great war

     Ce n'est que le début de l'histoire, on la trouve largement détaillée sur des sites anglophones, par exemple celui de J. Anderson dont je traduis les extraits qui suivent, certains racontés par David Cruikshank lui-même :

Extraits du Journal de Marche du bataillon :

24 Août 1914. 2 heures. Avons reçu l'ordre de nous retirer immédiatement. Très heureux de sortir de cette position nous dûmes marcher 1 mile et demi le long du front de l'ennemi. Déplacement effectué avec succès à l'aube. La retraite nous amène à Jenlain. Les sous-officiers et les hommes ont les pieds endoloris et sont fatigués.

25 Août 1914. Arrivons sous les éclats d'obus pour la première fois. Nous replions sur Le Cateau, cantonnement à la gare de marchandises.

26 Août 1914. Nous nous remettons en route. Nourriture rare. Peu de temps après avoir quitté la ville la bataille a commencé.

 

Il y avait au moins un Cameronian qui n'avait pas quitté Le Cateau avec son bataillon : nous ne savons ni pourquoi ni quand David en a été séparé, mais ce garçon de 19 ans, avec une formation militaire de quelques mois, était seul face à l'armée allemande entrant dans Le Cateau lorsqu'il a rencontré Mme Baudhuin qui s'est trouvée en présence d'un garçon qu'elle qualifiera plus tard de "si petit".

Le mari et le fils aîné de Mme Julie Célestine Baudhuin étaient mobilisés, elle a donc offert un refuge à ce jeune garçon en pensant à eux, (argument qui sera repris lors du procès) ; comme elle le dira plus tard : "Je ne savais à quel saint me vouer", mais elle ne pouvait refuser un abri. Elle l'a donc conduit vers un hangar au fond du jardin qui est devenu sa cachette.

Les Allemands occupèrent Le Cateau avec ses environs et de nombreux foyers devinrent des cantonnements pour les soldats allemands. Bien qu'il n'y ait pas de soldat allemand vivant dans la maisonnée des Baudhuin, (Julie-Célestine vivait avec ses 2 autres enfants Léon et Marie) ils s'y parfois sont rendus à l'improviste alors qu'ils cherchaient de la nourriture ou des articles ménagers. Au début, David passait la majeure partie de son temps à l'abri de sa cachette mais, au fil du temps, il retrouva ses forces et passa de plus en plus de temps dans les locaux d'habitation de la famille. Un jour, les soldats allemands se sont présentés si rapidement que David n'a pas eu le temps de se rendre à sa cachette et Julie-Celestine l'a poussé dans le panier à linge, devant lequel elle se trouvait tout au long de la perquisition. Pendant son séjour dans la maison de la rue Louis Carlier, il a dû se cacher dans le panier à linge à plusieurs reprises.

Au bout de trois mois, le jeune soldat s'était plus ou moins complètement remis de ses blessures et avait commencé à faire des plans qui impliquaient davantage que de rester confinés à la maison ou à la remise. La première tentative de Julie-Célestine de dissimuler "Avid" comme elle l'appelait maintenant consistait à teindre en noir son uniforme kaki qu'il portait en sortant la nuit avec Leon.

Cependant, David n'était pas satisfait de ces circonstances et peu de temps après, une rencontre providentielle lui permit de tirer un tour mémorable contre les Allemands et d'avoir un impact énorme sur le reste de sa vie.

Il a rencontré Aimée Olivier qui vivait à proximité et qui était dans la confidence. Aimée a souvent rendu visite à David, lui apportant parfois du tabac et ils sont devenus de solides amis. On ne sait pas qui est à l'origine de l'idée, mais un plan a été élaboré pour que David soit déguisé en femme. À seulement 19 ans et de son propre aveu, dans une interview de 1919, il déclara qu'il était "au visage frais et sans pilosité faciale à proprement parler".

Un neveu de Julie-Celestine était un coiffeur et avec son aide, ils ont obtenu une perruque. Le reste de la tenue féminine de David était assez facile à obtenir auprès d'amis proches et de la famille à qui on avait confié le secret. Aimée a passé beaucoup de temps avec David et l'a aidé à acquérir une apparence plus féminine à la fois dans ses manières et ses mouvements.

Une difficulté était la longueur de sa foulée, beaucoup trop longue pour une Mademoiselle française. David, vêtu de son déguisement de femme a défilé devant la famille et, même s'ils sont convenus qu'il avait l'air d'une femme, il se déplaçait comme un jeune homme. Aimée a aidé à le préparer en posture et, à un moment donné, on lui a suggéré d'attacher une longueur de ficelle à ses chevilles pour raccourcir sa foulée. Cela a été fait et après beaucoup de pratique, David a pu se déplacer comme une femme. Prenant confiance en lui il a enfin pu quitter la maison des Baudhuin pendant la journée. Passant pour une cousine de la famille, Mademoiselle Louise est née.

Ce déguisement permit à David de se fondre dans la communauté et se trouva plusieurs fois en présence de soldats allemands. "Je leur faisais un sourire enchanteur, ils étaient ravis qu'une jeune femme française ait l'air si amicale avec eux."

David et Aimée se rapprochèrent alors qu'ils passaient du temps à perfectionner son nouveau personnage. Connaissant les peines terrifiantes qui leur seraient infligées, lui ainsi que la famille Baudhuin si David était pris ou trahi, il n'est peut-être pas surprenant qu'ils soient tombés amoureux et se soient secrètement mis d'accord pour se marier une fois cette terrible guerre terminée.

C'était sous l'apparence de Melle Louise que David se fondait dans la vie quotidienne de la ville occupée, mais un jour il s'est approché d'une dame que nous connaissons seulement comme Madame D. Celle-ci est venue voir David et lui a dit qu'elle savait qu'il était un soldat britannique. D'après le récit de David en 1919, il s'en souvenait : "Le jour de la bataille de Le Cateau, je m'étais réfugié dans une porte où se trouvait une dame avec un seau. Une balle qui m'était destinée est passée à travers le seau et a frôlé la jambe de la femme. Un instant, nous nous sommes regardés et mon visage a dû être gravé dans sa mémoire."

C'est lors d'une de ces rencontres peu fréquentes et non désirées avec Mme D. que celle-ci a commencé à manifester son intention de nouer des relations avec lui ; mais David était amoureux d'Aimée et a rejeté ses avances. À un moment donné, Mme D. lui a dit qu'il regretterait ces refus et a presque menacé de le dénoncer auprès des forces d'occupation. David était troublé, mais il ne pouvait qu'espérer qu'elle ne réaliserait pas sa menace.

Julie-Celestine a raconté la nuit du 10 septembre lors d'une interview en 1927;

"Le 10 septembre 1916, vers minuit, un certain nombre de soldats allemands se sont présentés et ont demandé à entrer. David, ayant abandonné sa cachette, était endormi et partageait un lit avec Léon. Il n'y avait pas de temps pour cacher David dans son ancienne cachette. Dès qu'ils sont entrés dans la maison, les Allemands sont allés directement au lit dans lequel les deux hommes étaient couchés. J'étais terrifiée à l'idée de savoir ce qui se passerait si David était découvert.
Pointant vers Léon, ils ont demandé :
"Qui est-ce" ? "Mon fils Léon" ai-je répondu. Je tremblais et pouvais voir qu'ils avaient compris. David était caché sous les draps, mais les Boches étaient évidemment bien informés, ils ont tiré les draps et ont dit : "Et qui est-ce?!" "Un cousin," leur ai-je dit, sachant qu'ils savaient avoir trouvé leur soldat britannique."

Les Allemands ont arrêté non seulement David, mais aussi Julie-Célestine et son fils Léon. Madame Baudhuin a tenté de toucher leurs cœurs en les suppliant de ne pas éloigner une mère de sa jeune fille, sans personne pour prendre soin d'elle, mais son appel a été vain et tous les trois ont été emmenés en captivité.

Ils ont été maintenus dans de très mauvaises conditions jusqu'au 16 octobre 1916, date à laquelle ils ont été traduits devant un tribunal militaire allemand. Julie-Célestine a été condamnée à 10 ans de prison, Léon à des travaux forcés dans un camp de travail et David fut condamné à être fusillé. Il semblait que son destin était scellé.

C'est à présent que Julie-Célestine, dans ce qui devait être l'un des actes les plus émouvants et les plus passionnants de la Grande Guerre, a demandé à la Cour une grâce au bénéfice du soldat britannique. Rassemblant pleinement toute la chaleur de son grand cœur maternel, elle a parlé avec éloquence de sa jeunesse, puis avec une émotion incontrôlée, elle a parlé de la perte de son fils Jules sur le champ de bataille et de l'adoption du jeune soldat.

"Cette guerre a pris mon fils ; Dieu m'a envoyé un autre à sa place."

Les officiers en jugement doivent avoir été émus par le plaidoyer de cette courageuse femme française et mère merveilleuse car, miraculeusement, la peine de mort de David a été commuée et il a été condamné à une peine de vingt ans d'emprisonnement.

David et Julie-Célestine ont passé le reste de la guerre en prison, Léon dans un camp de travail. Tous trois ont beaucoup souffert des mains de leurs ravisseurs. Marie a dû se débrouiller seule et Aimée a attendu son Cameronian.

Dans une interview de 1922, David se souvint : "Enfin, l'armistice est arrivé et j'ai été libéré de prison le 2 décembre 1918."

David a ensuite montré à quel point il était homme de parole, car après avoir rejoint le domicile de son père en Écosse depuis Cologne, il a réussi à obtenir l'autorisation de retourner au Cateau et le 12 février 1919, moins de deux mois après sa libération de prison, lui et Aimée étaient mariés.

Aimée    David


Baudhuin Julie-Célestine, son fils Léon et son mari ont été réunis et se sont installés pour reconstruire leur vie dans la ville ravagée par la guerre, leur maison détruite. Tous avaient souffert. Marie avait bénéficié de l'aide des braves gens de Le Cateau et avait également survécu à la guerre, mais sa santé fut altérée.

Madame D. a été arrêtée pour collaboration et condamnée à mort ; la peine n'a pas été exécutée.

 


Comme toujours en cas de disparition, les parents de David se sont adressés à la Croix-Rouge :

CICR 01

Il semble qu'ils n'apprendront qu'en 1916 qu'il est en vie. On retrouve David dans les registres du CICR, à Soltau en 1918, venant de Cottbus :

Soltau

 


 

Julia Célestine FARCAGE est née à Le Cateau le 28 février 1867, elle y épouse Jules BAUDHUIN (né dans la même ville le 2 août 1873) le 31/10/1896.

Julie celestine Baudhuin

Elle porte à coté du ruban de rappel qui pourrait être celui de la médaille commémorative,
TASM_the Allied Subjects' Medal de bronze décernée par les Britanniques récompensant ainsi ceux qui sont venus en aide aux soldats du Commonwealth derrière les lignes ennemies pendant la guerre.

Seules 134 médailles ont été décernées en argent et 574 en bronze, la moitié des bénéficiaires étaient des femmes.

Ils ont 3 enfants Jules Arthur, né le 12/11/1893 ; Léon, né le 05/01/1897 ; Marie Antoinette née le 29 avril 1902, tous trois à Le Cateau.

Le père, qui avait effectué son service militaire au 84e RI est mobilisé (à 41 ans) au 4e régiment d'infanterie territoriale le 14/08/1914. Affecté à la défense de la place-forte de Maubeuge, il sera fait prisonnier à la reddition de celle-ci le 7 septembre 1914 et emmené à Friedrischfeld, dont il sera rapatrié le 18/12/1918.

Le fils Jules Arthur est incorporé au 60e régiment d'artillerie le 27/11/1913 ; il est sous les drapeaux à la déclaration de guerre. Il est tué le 6 septembre 1914 à Haraucourt (Meurthe & Moselle).
Il y aura 3 morts et 25 blessés au 60e RA pour la seule journée du 6.

MDH Baudhuin J

Il est inhumé dans la Nécropole Nationale de Courbesseaux (Meurthe & Moselle) tombe 558.

Julie Célestine Baudhuin décède en 1936, Aimée Cruikshank-Olivier en 1964, David, qui travaillait à l'entretien des cimetières pour la CWGC, en 1973, ils ont eu deux fils, un petit-fils qui a commencé ce récit.

Le document, remis par le maire de Londres à Mme Baudhuin, publié sur twitter

testimonial

 Mmes Belmont, Lesur et Cardon ont reçu le même

 

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L
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