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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
14 décembre 2018

Héroïnes françaises : Mme Belmont et le soldat Fowler.

 Suite : Mme Cardon et le caporal Hull

 

     Lorsque le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France a mis en ligne cette image de 1927 de l'agence Rol numérisée, il n'y avait aucune autre information que : "Les héroïnes françaises de guerre reçues par le lord-maire de Londres".

     Aucun des personnages n'était nommé, hormis le lord-maire que l'on pouvait reconnaître. Mais le plus curieux était cet homme qui semblait sortir de l'armoire en arrière-plan ... Un raté d'instantané ? La présence de ces Françaises à Londres en 1927 me rappelait une histoire lue dans "Liaison, 1914. A narrative of the great retreat" du brigadier-général E.L. Spears disponible en anglais sur archive.org , l'auteur réserve l'une des annexes à une histoire singulière à propos de "British soldiers cut off behind the german lines".

Londres

Après recherches, les identités se sont dévoilées :

      De gauche à droite sur cette photo prise à Mansion House, résidence officielle du lord-maire de Londres le 8 avril 1927 :

Lord Burnham, propriétaire du Daily Telegraph,
Mme Marie-Louise Cardon, de Bertry,
Mme Angèle Lesur, de Bertry,
Patrick Fowler, au centre de cette histoire,
Mme Veuve Marie Belmont-Gobert, de Bertry, mère d'Angèle Lesur,
Sir Rowland Blades, lord-maire,
Mme Julie-Célestine Baudhuin, de Le Cateau-Cambrésis
M. de Fleuriau, ambassadeur de France,
L'épouse du lord-maire.

                              Elles étaient accompagnées de M. Bracq, maire de Bertry, et de M. Lebeau, maire de Le Cateau qui ne figurent pas sur la photo.

Note : L'ensemble des documents rencontrés parlent de
Mme Belmont-Gobert, mais pour l'état-civil,
son mari est né Belmant, orthographe qui
figure également sur leur acte de mariage.

Il est probable qu'elles aient en main le document remis par le lord-maire (voir en bas de cette page)

     Il existe du livre une traduction en français "En liaison 1914" auquel j'emprunte la relation de cette histoire. L'auteur (E.L. Spears) parle à la première personne :

HISTOIRE DE SOLDATS ANGLAIS RESTES EN ARRIÈRE DES LIGNES ALLEMANDES PENDANT LA RETRAITE


(J'avais l'intention de comprendre le récit suivant dans le corps de mon ouvrage, j'ai décidé de le rejeter dans un appendice pour des raisons qui apparaîtront au cours de la lecture.)

L'étrange histoire du soldat Fowler du 11° Hussards.

Le soldat Patrick Fowler et deux autres hommes virent leur retraite coupée après la bataille de Le Cateau et errèrent à cheval au hasard, complètement perdus. Il leur parut évident qu'ils se trouvaient en arrière des lignes allemandes, car ils aperçurent de l'artillerie ennemie en position. Les routes étaient couvertes de convois allemands, les villages pleins de troupes allemandes et, comme leurs chevaux les mettaient dans l'impossibilité de se cacher, ils les abandonnèrent dans une ferme. Le fermier leur donna des vivres et les trois hommes se séparèrent pour que chacun courût sa chance et s'efforçât de regagner les lignes anglaises. Fowler gagna les bois, ce sera toujours un mystère de savoir comment il y vécut jusque dans le cœur de l'hiver. Complètement perdu, ignorant la langue du pays, sachant à peine où il était, redoutait toute rencontre, il resta caché dans les bois jusque dans le courant de janvier 1915. Il eut un jour la chance d'être découvert par un homme vraiment admirable, Louis Basquin, qui le cacha dans une meule de foin et lui porta de quoi manger. Basquin habitait une maison toute petite, trop petite pour y cacher quelqu'un, dans le petit village de Bertry, sur le champ de bataille du Cateau-Cambrésis. Il ne pouvait héberger personne, cependant l'Anglais serait certainement mort s'il était resté dans les bois, exposé à toutes les rigueurs de la saison. Basquin consulta sa belle-mère, Mme Belmont-Gobert, qui habitait le même village avec sa fille, Angèle. Son autre fille, Euphémie, était dans les lignes françaises et complètement séparée des siens.

Angèle et sa mère étaient très pauvres, car elles vivaient uniquement de ce que la jeune fille gagnait en brodant. Mises au courant par Basquin, elles se trouvèrent en face d'un problème terrible. Un soldat inconnu, un étranger, vivait dans une cachette en plein air ; elles étaient parmi les plus pauvres du village, la nourriture était rare, chère et très strictement rationnée ; recéler un soldat allié c'était, en cas de découverte, risquer leur vie. Pourquoi se mêler de cette affaire ? C'est pourtant ce qu'elles firent. Bien qu'il ne sût pas un mot de français, ce soldat s'était battu pour la France. Si elles se refusaient à le recevoir c'était la mort pour lui, elles risquèrent délibérément leur vie pour sauver la sienne. C'était, en vérité, une décision héroïque. Au cours des années longues et lugubres pendant lesquelles elles devaient l'abriter, jamais elles n'eurent une défaillance, jamais elles ne regrettèrent ce qu'elles avaient fait, leur résolution ne fit que s'affermir avec le temps.

Et pendant quatre années, leur existence ne fut que l'interminable martyre de l'attente, en risquant chaque jour leur vie pour sauver celle d'un autre. A tout autre, les difficultés matérielles auraient paru insurmontables. Il y avait dans leur chaumière quatre pièces, et ce jour-là vingt soldats allemands occupaient les deux pièces de l'unique étage. Cependant on envoya Basquin chercher Fowler dès la tombée de la nuit. Il revint avec un être qui avait à peine une apparence humaine, personne n'aurait pu s'imaginer qu'il appartenait à un des régiments les plus chics de l'armée anglaise. La barbe inculte, dans un état de saleté incroyable, le hussard portait un uniforme crasseux et déchiré. Il avait la figure et les mains couturées de cicatrices encore couvertes de croûtes, traces d'égratignures et de coupures innombrables. Tout effaré, tout ahuri, ne comprenant rien aux paroles chuchotées à la hâte, on le poussa tout droit dans ce qui devait être sa cachette pendant quatre ans.

Les deux femmes lui avaient préparé une espèce de niche dans la grande armoire de la salle commune. Ce meuble carré avait environ 1,75m de hauteur, autant de largeur et près de 50cm de profondeur. Il était divisé en deux parties, dans celle de droite il y avait des rayons, dans celle de gauche on cacha Fowler.

Dans sa prison de 85cm sur 50cm l'Anglais endura des alarmes et des anxiétés probablement moins cruelles que celles ressenties par les deux femmes qui le cachaient, car elles avaient à redouter des dangers dont il n'avait pas la moindre notion dans l'obscurité de son armoire. Il ne voyait pas la main d'un soldat se poser sur la clef de sa porte ; il ne savait pas comment Angèle et sa mère détourneraient l'attention de cet Allemand. Il ne pouvait comprendre les lourdes plaisanteries du Feldwebel lorsqu'il disait à Mme Belmont-Gobert qu'elle avait à coup sûr des provisions cachées dans son armoire et que Fritz les rechercherait dès qu'elle aurait le dos tourné. Il ne voyait pas le chien du voisin flairer l'armoire où il était caché.

Dans les moments les plus périlleux Mme Belmont-Gobert avait recours à un stratagème qui réussit toujours. Quand on fouillait la maison, ce qui était fréquent, lorsqu'on avait minutieusement inspecté le moindre recoin, la plus petite fissure, qu'on avait enfoncé les baïonnettes dans la literie, dans les sacs et les habits pendus au porte-manteau dans un coin de la pièce, quand enfin un Allemand marchait droit à l'armoire, Mme Belmont-Gobert jouait sa dernière carte. Elle attirait l'attention des soldats sur une photographie de sa seconde fille, Euphémie. Euphémie était jolie, en outre elle était en sûreté à Marseille, cette carte était bonne. Les Allemands oubliaient l'armoire et se pressaient autour de la photographie, demandant avec curiosité où ils pourraient voir cette jeune personne. Mme Belmont-Gobert leur laissait croire que sa fille reviendrait bientôt et la porte de l'armoire restait close, sauf une fois où une patrouille allemande se présenta à l'improviste Fowler était assis dans la chambre : les deux femmes eurent une inspiration admirable, elles le poussèrent vers le lit, loin de l'armoire et le cachèrent dans le bois même du lit, sous le matelas. Les Allemands allèrent droit à l'armoire et l'ouvrirent à deux battants. Ils enfoncèrent ensuite leurs baïonnettes dans le lit, grâce au ciel Fowler ne fut pas atteint.

En dépit de cette aventure, on ne perdit pas confiance dans l'armoire, au fond de laquelle Fowler passait la plus grande partie de son temps. Un trou pratiqué dans la cloison qui la séparait en deux lui permettait de respirer, c'est encore par là qu'on lui passait à manger, souvent même pendant que les soldats Allemands étaient assis dans la pièce. Ce qui contribua surtout au succès du stratagème employé, c'est que Mme Belmont-Gobert laissait toujours ouverte la partie de l'armoire divisée en rayons et en sortait fréquemment des objets en présence des Allemands. Quiconque l'observait supposait naturellement que les rayons se prolongeaient dans toute la largeur de l'armoire et, dans ce cas, on n'aurait rien pu y cacher de plus gros qu'un chat.

Les nuits étaient pour Fowler une épreuve très pénible. Il n'était pas question de sommeil pour lui, car les Allemands qui dormaient à l'étage ne se faisaient point faute de se glisser en bas pour voler des pommes de terre sur le haut de l'armoire. Un jour les Belmont-Gobert reçurent l'ordre de vider les lieux et d'emménager dans une maison plus petite. Nullement effrayés, Basquin et les deux femmes déménagèrent les meubles dans leur nouvelle habitation, Fowler y fut conduit de nuit et la même vie, si l'on peut appeler cela une vie, reprit son cours. Même dans cette petite maison on logeait des Allemands au grenier.

Cette existence misérable ne tarda pas à produire ses effets. Fowler qui ne pouvait dormir que le jour dans l'armoire, eut de fréquentes indispositions. Le pharmacien de la localité, M. Baudet, un homme remarquable, fut mis dans la confidence et fournit des médicaments. Puis ce fut le tour de Mme Belmont-Gobert d'être victime de cette tension perpétuelle. Elle se refusait à avouer qu'elle avait peur, mais elle commença à avoir des crises nerveuses inquiétantes. Un jour terrible, elle eut une crise alors que les Allemands étaient dans la maison même, à l'étage, et Fowler la soigna avec la frénésie du désespoir. Après cela on ne la laissa jamais seule à la maison. Quelques voisins étaient dans le secret. Ils venaient à l'aide, donnaient à l'occasion une ou deux pommes de terre, un peu de lait. Il y avait des jours où la faim se faisait vivement sentir. Les Gobert avaient deux poules et devaient donner aux Allemands un œuf par jour. S'ils ne le fournissaient pas, ils avaient un mark d'amende, et dans ce cas, Angèle avait à travailler la moitié de la nuit pour gagner ce mark.

Fowler vint à savoir qu'un autre homme de son régiment vivait aussi caché à Bertry. C'était le caporal Hull, qui était caché dans la maison de M. et Mme Cardon. Fowler et Hull se virent un soir et combinèrent de gagner la Hollande, mais ce projet ne devait jamais se réaliser. Hull fut trahi par une femme qui le livra aux Allemands, ses protecteurs et lui furent voués à la même tragédie. Fowler et les Belmont-Gobert échappèrent à un sort semblable ; leur discrétion, leur esprit toujours en éveil et par-dessus tout la chance les favorisèrent jusqu'à la fin de la guerre.

En 1918, les premières troupes alliées qui firent leur entrée à Bertry, virent venir au-devant d'elles un individu courbé en deux, qui poussait des cris délirants et ne purent jamais croire qu'il était comme il le disait, un soldat anglais. Elles l'arrêtèrent comme espion et le renvoyèrent à l'arrière sous escorte. Heureusement pour lui, le premier officier anglais qu'il rencontra fut le commandant Drake, sous les ordres duquel il avait servi en 1914. Fowler fut mis en liberté, et la même nuit le colonel Anderson, commandant le 11e hussards, le fit chercher, car le régiment avançait sur le même terrain qu'il avait parcouru au cours de sa retraite après Mons.



J'avais eu à m'occuper de l'affaire de Mme Belmont-Gobert aussitôt après la fin de la guerre, car mon régiment, très ému par son dévouement, me demanda de m'occuper d'elle. Les officiers et les soldats lui offrirent, par souscription un plat d'argent, pour lequel je composai une inscription. Puis, apprenant qu'elle était dans la misère, je soumis son cas au War Office. Cette démarche fut l'occasion de longues cogitations et, à Londres, on se gratta la tête. Ce n'était pas la bonne volonté qui manquait, mais elle était malheureusement entravée par la bureaucratie. La réponse finale fut la suivante : il n'y avait pas de précédent au cas de Mme Belmont-Gobert, aucun règlement ne le prévoyait, en conséquence on ne pouvait lui allouer aucune somme. D'autre part, on pouvait admettre que, dans des circonstances à vrai dire assez irrégulières, Fowler pouvait être considéré comme cantonné chez elle pendant quatre ans. A Bertry, pendant la guerre, la seule autorité constituée était l'autorité allemande, en dépit de cette fâcheuse anomalie et bien que les pièces nécessaires n'eussent pas été fournies en temps utile, on interpréta très largement le règlement et on décida que Madame Belmont-Gobert avait droit à l'indemnité supplémentaire de vivres de Fowler, à raison de deux pence par jour et qu'on se passerait des formalités réglementaires. On lui envoya deux mille quarante-quatre francs cinquante centimes. Il n'est que juste d'ajouter que le War Office appela l'attention du roi sur son héroïsme et qu'elle reçut la Croix d'officier de l'Empire britannique.

On apprit peu après que la somme payée par le War Office avait été consacrée à payer aux voisins des dettes contractées pour assurer l'existence de Fowler et pour subvenir aux frais occasionnés par sa maladie. Dès qu'ils furent mis au courant, les officiers du 11° hussards souscrivirent une autre somme qui, toutefois, ne dura pas longtemps. Ces deux femmes, étaient pauvres, sans grande instruction, c'étaient de laborieuses paysannes caractéristiques du type campagnard. Elles pouvaient paraître dures, parcimonieuses, d'idées étroites, mais elles avaient des cœurs d'or. Ce n'était que de simples paysannes de France, il y en a des milliers comme celles-là qui, soumises à la même épreuve, auraient agi de même.

Des actes d'héroïsme de ce genre ont dû être fréquents car l'attitude des provinces envahies fut magnifique pendant toute la guerre. Chaque fois que l'occasion s'offrait de montrer son dévouement pour la cause alliée, on ne manquait pas de la saisir. Sans la publication accidentelle de cet ouvrage, ces récits seraient probablement demeurés longtemps dans l'oubli. Le paysan français travaille trop durement, il est trop proche de la terre pour parler beaucoup du passé. Après tout, ces épisodes ne sont que des incidents de guerre, chacun faisait ce qu'il pouvait, tout le monde souffrait, pourquoi s'arrêter sur un fait plutôt que sur un autre ?

Je me souvenais du magnifique dévouement de la famille Belmont-Gobert et je désirais faire ressortir leur héroïsme dans mon récit, je fis quelques démarches pour vérifier les faits. J'appris alors que ces femmes menaient une existence besogneuse et misérable, avec des santés ébranlées, c'était là le résultat immédiat de leur sacrifice volontaire pour des soldats anglais. Je décidai de mettre au courant de ces récits Lord Burnham qui les fit vérifier et les publia dans le Daily Telegraph. Grâce à ses efforts justice leur a été rendue et la souscription recueillie a été suffisante pour permettre aux deux Françaises de vivre à l'abri du besoin. On les fit venir à Londres, le Roi et la Reine leur offrirent une réception magnifique ainsi que le Lord-Maire et le grand public anglais, montrant ainsi à la nation française toute entière, que l'Angleterre sait reconnaitre et honorer l'héroïsme et l'esprit de sacrifice.

Il reste encore quelque chose à faire. J'espère que si on n'élève pas, quelque part en Angleterre, une statue, on posera au moins une plaque commémorative pour rappeler ces actes d'héroïsme. Cet honneur est dû à ces femmes ; il le faut pour elles comme pour nous.

Garder leur souvenir intact, c'est perpétuer l'un des traits les plus nobles de la nature humaine.
  • Le soldat Hull dont il est question dans ce récit, caché par Mme Cardon, a été dénoncé et fusillé.
  • Mme Baudhuin a caché le soldat David Cruickshank ; finalement dénoncé, elle le sauvera de la peine capitale.
    Ils feront l'objet d'un autre récit.

 

    Le seul dont je n'ai pas encore parlé est le buffet qui a servi de cache au soldat Patrick Fowler. Acheté à Mme Belmont par Sir Charles Wakefield, exposé pour les besoins de la photo, il a été cédé à l'Imperial War museum qui actuellement le prête au King's Royal Hussars Museum à Winchester, Hampshire. Adroitement mis en scène il y a reçu dernièrement la visite du petit-fils de Patrick Fowler (voir sur le site en date du 10/07/2018, la photo ci-dessous en provient)

buffet

    Ce type de buffet (ou bahut) haut, de style Louis-Philippe en chêne massif, ne se démontait pas. Tout au plus peut-on en enlever les portes. La rigidité de celui-ci est assurée par le montant central, inamovible. Hormis la taille réduite de l'espace destiné à Fowler, c'est la cachette idéale, dont le poids respectable assurait la stabilité. Comme un bon magicien, Mme Belmont-Gobert réussissait à faire croire que la partie gauche (qui faisait initialement penderie) était à l'identique de la droite, remplie de vivres. L'IWM en détient un croquis :

amoire

Sur le cliché suivant (Référence IWM Q 61741) on voit Mme Belmont-Gobert et sa fille Angèle, devant le bahut, présentant le plateau en argent et son inscription (tel que le décrit E.L. Spears) :

"Offert
à Mme Belment-Gobert
à Melle Angèle Mme Belment-Gobert
à Melle Euphèmie Mme Belment-Gobert
et à M. Louis Basquin
par le Colonel et les officiers du 11e Hussards Britanniques
en témoignage de gratitude et d'admiration
pour la bravoure constante qu'ils montrèrent
en cachant chez eux au péril de leurs vies
pendant près de 4 ans d'occupation allemande,
le cavalier Patrick Fowler du 11e Hussards
15 janvier 1915-10 octobre 1918
"

Silver plate

Cette photo a été prise dans leur intérieur, sur le meuble on peut apercevoir une horloge, qui avec le cadre en argent de Fowler sur la table est un cadeau des soldats et sous-officiers portant l'inscription "Avec l'admiration la plus cordiale des soldats du 11e Hussards Britanniques ".

IWMr

Chacune avait reçu la médaille de l'ordre de l'Empire britannique (Most Excellent Order of the British Empire) dans la version dédiée aux dames, qu'elles portent sur la photo faite à Mansion House :

Médaille

Selon l'IWM elles furent nommées "Honorary Officers of the Civil Division of the Order of the British Empire" le 4 mars 1919. Officiers honoraires, titre réservé aux non-britanniques, ce qui explique peut-être que je n'ai pas retrouvé leur nomination dans la London Gazette.

Je n'ai pas beaucoup d'information à leurs sujets, l'IWM dispose d'une photo (reference Q 64300) prise en août 1938 de Mme Belmont-Gobert.

Mme Belmont-Gobert IWMr

Angèle Marie Gobert est née à Elincourt le 5/01/1872, elle est décédée en 1948 et inhumée au cimetière de Bertry. Sa tombe porte le nom de Belmant-Gobert, le patronyme de son mari Léon Augustin, épousé à Elincourt en 1891, s'écrivant effectivement avec un "a" . Sa mère et sa fille Angèle sont inhumées avec elle. La tombe porte fièrement la reproduction de la médaille reçue par les deux femmes.

Tombe Belmant

Veuve depuis le 8/3/1904, elle avait eut 3 filles :
Julie, née à Elincourt rue Gabry le 24/11/1892 qui avait épousé en 1912 Louis Basquin le bûcheron (décédé en 1937) qui découvrit Fowler ; Julie est décédée à Bertry en 1976.
Angèle, née à Elincourt le 16/04/1894 (devenue Mme Lesur en 1921)
Euphémie, née le 10/03/1896 à Elincourt. Cette dernière fit partie d'un convoi d'évacuation pour la France libre via la Suisse le 13 novembre 1916. L'occupant procédait ainsi envers ceux et celles qu'il qualifiait de bouches inutiles. Les archives des rapatriés la situent à Lyon en janvier 1917.
Selon le journal l'Egalité de Roubaix-Tourcoing du 27 juillet 1938, elle put faire connaître à Mme Fowler l'étrange aventure de son mari que les autorités militaires considéraient comme décédé, n'ayant aucune preuve d'une détention en camp de prisonniers. Elle deviendra Mme Lepilliez en 1921.

Il y avait effectivement eu concernant Fowler une recherche infructueuse auprès du CICR qui détient une fiche à son nom.

fiche

 

 

PATRICK_FOWLER

Patrick Fowler est né à Dublin en Irlande en 1877, il s'est enrôlé à 19 ans le 30/06/1896 dans le 5e Royal Dublin Fusiliers, matricule #4219. Lorsque la guerre s'est déclarée il avait déjà servi en Inde et en Egypte, et fut intégré au 11e régiment de Hussards (Prince Albert's Own).

Le régiment a quitté la caserne d'Aldershot le 15 août 1914 et rejoint le Corps Expéditionnaire Britannique dans sa retraite au niveau de Le Cateau.
Arrivés sous les ordres du Lieutenant Frederik Drake, Fowler et Hull ont été séparés des autres le 26 août 1914 et ont choisi d'attendre, se cachant dans les bois, volant et récupérant de la nourriture, la suite est racontée ci-dessus.

 

La veille de Noël 1915, le War office apprit à sa femme et ses deux filles que le soldat Fowler était considéré comme mort, le formulaire de l'armée "B" 2090C en attestait. Quelques mois plus tard un officier dont Patrick avait été l'ordonnance lui a déclaré que le cavalier Fowler avait été tué en août 1914 à quatre milles au sud de Cambrai.

Au début de 1918, sa peau était presque translucide, ses yeux étaient enfoncés et il était dangereusement mince. Ses cheveux étaient devenus blancs, affaibli physiquement et mentalement il était loin de la forme de cavalerie requise.
Lorsque Bertry fut finalement libéré par les troupes alliées le 9 octobre 1918, il se précipita hors de sa cachette. Un officier sud-africain a d'abord pensé qu'il s'agissait d'un espion et a ordonné qu'il soit emmené et abattu.
De l'autre côté de la route, un groupe d'officiers discutait. Parmi eux, Fowler a reconnu un visage. Frederick Drake (à présent commandant) qui s'est porté garant de son compatriote.

Revétu d'un nouvel uniforme, accueilli à la gare de Devizes, Wiltshire, il a été autorisé à passer un mois avec sa famille avant de rejoindre le CEB en France où il a été affecté au mess des officiers.
Lorsqu'il a finalement été autorisé à mettre fin à ses 23 années de service et à quitter l'armée, l'honorable Robert Bruce, ancien commandant du 11e Hussards leur a donné une maison dans son domaine de Morayshire où Patrick est devenu garde forestier. Son 3e enfant, une fille, sera prénommée Angèle.

Ses médailles, présentées par son petit-fils lors de sa visite au musée du 11e Hussards (voir ci-dessus) :

medailles

De gauche à droite :

  • The 1914 Star avec barette "5th Aug.-22nd Nov. 1914" et deux rosettes argentées.
        attribuée le 11/04/1927
        en-dessous le badge "Old contemptibles Mons 1914 British Isles"
  • British War Medal George V
  • Médaille interalliée, version britannique, revers.
  • Long Service & Good Conduct Medal George V.


Patrick Fowler est décédés à Forres, Morayshire UK en 1964

 

On a vu que le gouvernement et le peuple britannique avaient montré leur reconnaissance à la famille Belmont-Gobert, non seulement par des cadeaux (et l'horloge n'était pas des moindres, car il est notoire que nombre d'entr'elles ont disparu du fait des occupants) mais également par des souscriptions qui n'ont pas fait d'elles des gens fortunés. Reste la France :

 J'avais déjà signalé en 2015 que par décret paru au journal officiel du 26/04/1921, "Le Gouvernement porte à la connaissance du pays la belle conduite de"

     Mme veuve Belmont-Gobert, à Bertry (Nord) : a logé et nourri, pendant toute la durée de l'occupation un soldat anglais blessé. A ainsi couru les plus sérieux dangers.

Elle aurait également reçu la Médaille d'Honneur du Ministère des Affaires Etrangères. Mais ce n'est qu'en 1927, lors des réceptions à Londres, que la presse française a largement diffusé leur histoire.

     Lors de la réception par le Lord-Maire de Londres, chacune des héroïnes recevra un document personnalisé comme celui ci-dessous en témoignage de gratitude :

testimonial

 

This Testimonial
was presented to
Madame BELMONT-GOBERT
by the Lord Mayor of London
at the Mansion House, on April 8, 1927

on behalf of a large number of readers of
The Daily Telegraph
who, deeply stirred by the story of the superb courage with which she succoured a British soldier at the risk of her own life in the Great War, subscribes for the purchase of an annuity as a token of the honour due from the British people to a brave Frenchwoman.


Disdaining danger Madame Belmont Gobert provided food and shelter for nearly four years to a soldier cut off in the enemy lines, even though the invaders were continuously billeted in her house.


Wherever the wonderful story has been told it has excited le deepest and purest emotion and the subscribers of the annuity have been spontaneously moved to offer with their thanks and their admiration this testimonial of their earnest desire for her well-being and of their pride at being able to shew their appreciation of her rare magnanimity, her unflinching bravery during the years that the invader remained on her hearth, and her womanly loving-kindness to one whom her devotion saved.
Ce témoignage
a été offert à
Madame BELMONT-GOBERT
par le maire de Londres
à Mansion House, le 8 avril 1927

au nom d'un grand nombre de lecteurs du
Daily Telegraph
qui, profondément émus par l'histoire du  magnifique courage avec lequel elle a secouru un soldat britannique au risque de sa propre vie durant la Grande Guerre, ont souscrit au paiement d'une rente en témoignage de l'hommage dû par le peuple britannique à une courageuse femme française.

Dédaignant le danger Madame Belmont Gobert a fourni nourriture et abri pendant près de quatre ans à un soldat coupé des siens dans les lignes ennemies, bien que les envahisseurs aient été logés en permanence dans sa propre maison.

Partout où la merveilleuse histoire a été racontée, elle a suscité l’émotion la plus profonde et la plus pure et les souscripteurs de la rente ont été spontanément disposés à offrir, avec leurs remerciements et leur admiration, ce témoignage de leur sincère désir de son bien-être et la fierté d'être capable de montrer leur estime pour sa rare grandeur d'âme et sa bravoure sans faille au cours des années où l'envahisseur est resté dans son foyer ainsi que sa féminine bonté envers celui que son dévouement à sauvé.

 

Toujours est-il que Paul Painlevé, ministre de la Guerre de novembre 1925 à octobre 1929, a demandé que le gouvernement britannique ne verse plus d'argent à Mme Belmont-Gobert, car il lui allouait désormais une pension. Il n'y eut plus guère de trace de l'histoire dans la presse, sauf pour la venue du roi George VI en 1938 à Paris, que Mme Belmont tenait à voir, mais, trop fatiguée, ne put se déplacer.

 

     Les britanniques ne semblent pas avoir la mémoire courte : le 4 novembre 2018, un spectacle musical intitulé "Wardrobe" (la garde-robe) a été présenté à Londres, mettant en scène Fowler, Hull, Angèle, Mme Belmont et Edith Fowler.

wardrobe


     A l'occasion du 11 novembre 2019 une cérémonie a eu lieu au cimetière de Bertry où une plaque en l'honneur de Mme Belmant a été apposée :

plaque

     Une exposition s'est tenue également à Bertry retraçant l'épopée de Mme Belmant-Gobert et du Soldat Fowler. On pouvait y voir les diplômes remis à Londres, le plateau d'argent offert par les camarades de Fowler. Y participaient les descendantes de Mme Belmant  : son arrière-petite-fille et 2 arrière-arrière-petite-filles, ainsi que l'auteur John Anderson et son épouse :

11112019
De g à d : Mrs Anderson, Brigitte Halut (arrière, arrière petite fille de Mme Belmant-Gobert), John Anderson,
Anaïs Forrierre (arrière, arrière petite fille) et Claudine Forrierre (arrière petite fille)

 


 

 

    L'épisode de la libération du soldat Fowler est retracé dans le livre de Ben Macintyre : "A foreign Field", qui relate l'histoire (vraie) entre le soldat Robert DIGBY, fusillé à Le Catelet (Aisne) le 30 mai 1916 "pour espionnage", bien qu'il se fût rendu aux autorités allemandes, après avoir été caché par une habitante de Villeret et sa fille avec laquelle il aura un enfant.

Voici la traduction de l'extrait :

    Le 9 octobre [1918], un "homme maigre aux cheveux gris, vêtu de vêtements civils en loques" a subitement échappé aux deux fantassins sud-africains qui l'escortaient sur la voie romaine à une quinzaine de kilomètres de Villeret, et a couru vers un cavalier qui passait. Sautillant devant le major Francis Drake du 11e Hussards survenu par hasard, le petit homme malingre ne cessait de crier : "C'est mon officier". Après quatre ans de clandestinité, la plupart du temps dans un buffet en chêne de la taille d'un cercueil, Patrick Fowler était enfin libre, mais aussitôt arrêté par son propre camp. Une demi-heure plus tôt, une frêle apparition, "gesticulant frénétiquement" et racontant une incroyable histoire de survie, s'était précipitée vers les troupes sud-africaines qui entraient dans Bertry. Il avait été immédiatement arrêté comme espion et renvoyé vers l'arrière sous escorte. Drake était "l'un des rares hommes en France qui pouvait le reconnaître" et sans leur rencontre fortuite sur cette voie romaine, Fowler aurait pu partager un sort identique à celui de Digby.

 

 

 

 

Suite : Mme Cardon et le caporal Hull

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Commentaires
C
je suis émue à la lecture de cet article et touchée de savoir que des hommages ont été rendus à ces femmes admirables. Son arrière petite fille.
Répondre
L
Vu !!
Répondre
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