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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
13 mars 2019

Réception des héroïnes françaises à Londres

J'ai traité séparément les histoires de :

En 1927 elles furent reçues à Londres en hommage à leur courage. Le journal "Le Grand Écho du Nord", né en 1890, interrompu durant la grande guerre et dont les presses réquisitionnées par l'occupant serviront à imprimer la "Liller Kriegszeintung" jusqu'en septembre 1918, reprend ses publications après l'armistice :
il rend compte de la réception des 3 héroïnes françaises.

  • La Une du numéro du 6 avril 1927 détaille
    • ce qui est prévu lors du séjour :
      • Mercredi 6 avril au soir : arrivée à la gare de Victoria (Londres) ; diner à l'hôtel.
      • Jeudi 7 : Excursions en auto dans les quartiers pittoresques de Londres.
        Dîner à l'Association France-Grande-Bretagne.
      • Vendredi 8 : A midi, à Mansion House, lunch offert par le Lord-maire.
        Thé et dîner à l'hôtel.
      • Samedi 9 : Lunch à l'hôtel ;
        thé offert par le "Anglo-French Luncheon Club" à 16 heures.
      • Dimanche 10 : Lunch à Hall Barn, chez le vicomte et la vicomtesse Burnham ;
        excursion en auto à Windsor et Hampton-Court : dîner à l'hôtel.
      • Lundi 11 : Départ de Victoria Station à 11 heures.
       
    • ainsi que la liste des 12 invités :
      • M. Sylvère Lebeau, maire de Le Cateau ; Mme Lebeau; Melle Jeanne-Marie Lebeau, 14 ans et René Lebeau, 13 ans.
      • M. Gaston Bracq, maire de Bertry ; Mme Bracq.
      • Mme Belmont-Gobert, de Bertry ; Mme Lesur (Angèle Belmont-Gobert) de St-Quentin.
      • Mme Marie-Louise Cardon de Le Cateau; Melle Gabrielle Cardon, 14 ans.
      • Mme Julie-Célestine Baudhuin, de Le Cateau ; M. Jules Baudhuin.
         
  • Mercredi 6 avril : le  trajet 
    M. Walton, journaliste du "Daily Telegraph", qui accompagne les invités dans leur déplacement à Londres est venu en auto chercher les invités de Bertry et les a conduits à Busigny où les y attendaient le reste des invités ; tous ont pris place à 9h dans un train express se dirigeant vers Calais via Lille où, arrivés à 11h15, ils prirent place dans le Varsovie-Calais. Le temps est maussade et l'état de la mer inquiète les voyageuses.

    19270407

    Comme le fait remarquer le reporter Jean-Serge Debus de l'Écho du Nord qui les accompagne, avec lui ils ne seront plus 13 !

    Le trajet jusqu'à la cote est accompli dans un wagon réservé, avec déjeuner au wagon-restaurant. Le groupe embarque ensuite sur le paquebot "Empress" pour Douvres. La mer se révèle houleuse et la traversée sera délicate pour les estomacs.
    Empress t

    Accueillis sur le quai par un délégation du 11e hussards
    [régiment du soldat Fowler], les invités gagnent, en wagon Pullman et par un temps magnifique, la gare de Victoria où ils sont accueillis par le colonel Lawson du Daily Telegraph.
    Mme Belmont-Gobert retrouve là sa sœur, Mme Georges, qui habite Londres avec son mari, ancien tommy.

    C'est en autocar via le Westend qu'ils gagnent ensuite le First Avenue Hôtel non loin de la City où leurs chambres sont réservées.
    1st ave Hotel
    source Historic England Archives

    L'hôtel situé au coin de Browtown Street et High Holborn a été détruit par les bombardements du blitz en 1940 ; il est maintenant remplacé par l'immeuble "First Avenue House"
     
  • Déroulement de la journée du Jeudi 7 :
    Après le copieux breakfast matinal, la fatigue de la veille oubliée, les volumineux journaux sur lesquels s'étalaient les photos passent de main en main.

    19270409

    Lady Malcolm, présidente du Comité de réception de l'Association France-Grande-Bretagne, emmena ensuite tout le monde dans des autos pour visiter la ville. C'est sous une pluie mélangée de brume que l'on a fait voir à nos concitoyennes la fameuse Tour de Londres, sa magnifique collection d'armures et de gardes en costumes du moyen-âge. On leur a montré, jalousement surveillés par les «guards» aux bonnets à poils, les inestimables joyaux de la Couronne britannique.
    Puis, dans Belgravia Square, le faubourg Saint-Germain de Londres, Lady Malcolm leur a offert un lunch intime dans son appartement. Sir Malcolm me déclarait : «Cette réception, voyez-vous, c'est un symbole. Ces quatre femmes ont eu une conduite superbe ; d'autres Françaises ont fait aussi plus que leur devoir, mais on ne peut récompenser tout le monde. Notre accueil, je vous l'assure, est un symbole.»
    On visita ensuite la Chambre des Communes et celle des Lords, où M. Wilson, surintendant du Parlement, restitua au maire de Bertry une pipe ancienne trouvée pendant la guerre et présumée appartenir au musée de Cambrai, puis, sous la conduite du doyen, le révérend Panon Foxiez, l'abbaye de Westminster, le Panthéon britannique, où reposent les rois et les grands hommes, et où dorment, sous une simple dalle, les guerriers inconnus.

    Une réception à Thelsen Hospital, équivalant les Invalides, ménagea une surprise à Mme Belmont. Après le thé offert par le vieux général et lady Lyttleton, en visitant l'édifice, elle reconnut un officier du 6e dragons, le major Mac Daierson, qui logea chez elle pendant six jours.

    Le soir, Mme Belmont-Gobert et sa fille Angèle trouvèrent, à l'hôtel en rentrant, un petit homme maigre et rasé : l'ancien hussard Patrick Fowler, qu'elles tinrent caché pendant 45 mois dans la grande armoire à linge. Mme Belmont embrassa en pleurant le soldat du placard. Patrick est en ce moment bûcheron en Ecosse et il sera demain à Mansion House, à la réception du lord-maire.
    La fin de la soirée est relatée dans le journal du lendemain (liaison par téléphone)

    « Elle avait son cœur dans sa gorge. ». ["with her heart in her throat"] C'est l'expression bien anglaise qui convient le mieux pour décrire l'émotion profonde de Mme Belmont-Gobert, lorsqu'elle s'est trouvée en présence de Patrick Fowler, qu'elle n'avait pas revu depuis plus de huit ans. La rencontre était véritablement émouvante, Patrick ne comprend pas le français ; il comprend le patois du Cambrésis. Des larmes lui montèrent aux yeux quand il me raconta, lentement, le martyre de sa détention dans les ténèbres de l'armoire ; ses craintes continuelles entre les quatre planches ; le travail opiniâtre de la fille de Mme Belmont pour nourrir la maisonnée ; ses ruses pour manger et pour sortir de l'armoire, la nuit, quand les Allemands dormaient. Tout nôtre monde veilla assez tard à l'hôtel. On évita de parler de la guerre. On y pensa intensément.
     
  • Vendredi 8 avril : réception officielle
    Les journaux du matin contiennent de longs récits de l'héroïque, attitude des quatre femmes. On raconte l'histoire stupéfiante de ce hussard qui eut, pendant quatre ans, l'armoire pour tout logement. On raconte aussi comment un autre Écossais, caché chez Mme Bauduin, découvert et condamné à mort, échappa à l'exécution parce que sa bienfaitrice s'écria devant la Cour martiale où les Allemands le traînaient : « Mon fils vient d'être tué sur le front, Dieu m'envoie celui-ci pour prendre sa place ».

    Puis, c'est le récit de la douloureuse tragédie au milieu de laquelle fut jetée Marie- Louise Cardon. La malheureuse femme vit succomber le caporal Hull, qu'elle avait abrité. Son mari, usé par les privations, mourut, et elle-même, après avoir été d'abord condamnée à mort, fut, incarcérée en Allemagne.

    MansionHouse


    C'est à Mansion-House, résidence du lord-maire [Sir Rowland Blades], que les quatre vaillantes Françaises, leurs décorations anglaises épinglées au corsage, furent conduites ce matin. Réception grandiose et émouvante. Tout près de l'armoire fameuse de Mme Belmont, le lord-maire, en costume d'apparat, toge rouge brodée de fourrure et lourd de chaînes d'or, était entouré de ses adjoints et du Maréchal de la Cité, tout chamarré. Deux assistants, en perruque blonde bouclée, portaient à ses côtés d'énormes « masses » d'or et des glaives ciselés.

    Seule photographie de l'agence Rol disponible sur Gallica

    Dans le hall égyptien, un millier d'invités, debout, applaudirent à tout rompre chacune des héroïnes présentées sur l'estrade.

    egyptian Hall

    Un enthousiasme indescriptible interrompit fréquemment le speech du lord-maire qui, en rappelant les sublimes exploits, souligna la valeur et le courage montrés de diverses manières pendant la guerre par des milliers de femmes de France.
    Après l'intervention de l'ambassadeur de France, M. de Fleuriau, l'ancien colonel du 11e hussards, puis un chef d'état-major qui eut son quartier général au Cateau, le maréchal Robertson, magnifièrent les grandes qualités de cœur et la conduite héroïque des femmes françaises, en affirmant que notre bonne amitié restera aussi forte dans la paix que dans la guerre. Par-dessus les bravos crépitants éclate la « Marseillaise ».

    C'était l'heure du lunch. Le lord-maire convia ses hôtes français à sa table richement servie. C'est alors que le père du caporal Hull, brave homme de 60 ans, qui perdit sa femme la semaine dernière, se trouva tout à coup face à face avec Mme Cardon.

    Sans mot dire, il lui prit la main, inclina le buste, et resta, plusieurs secondes, immobile dans cette attitude. Puis, se mettant à genoux, baisa l'un après l'autre les souliers de celle qui essaya en vain d'arracher son fils à la mort. La ferveur et le respect de cette prosternation sont intraduisibles. Il n'y eut personne dont les yeux restèrent secs...

    On vit encore des larmes sourdre à la fin du repas lorsque le sympathique maire du Cateau, M. Lebeau, retraça les épisodes de la lamentable odyssée des héroïnes, en montrant que les femmes courageuses et maltraitées par l'envahisseur furent légion et se fit l'interprète de ses concitoyennes pour dire leur reconnaissance après l'inoubliable cérémonie.
    « Des gestes semblables feront plus pour la fraternité des peuples qu'une série de conférences diplomatiques ». Et ce furent toujours les mêmes chaleureux applaudissements qui accueillirent le dernier discours, celui de M. Bracq, maire de Bertry, après que la lord-mayoresse eut levé son verre à la santé des admirables femmes de chez nous.


    Après les émotions de la journée on conduisit les héroïnes dans un des plus grands music-halls de Londres, le Coliseum. Il n'est point nécessaire de comprendre l'anglais pour s'intéresser aux évolutions des girls et des danseurs.

    La gracieuse artiste Florence Smithson eut une attention charmante en jetant du plateau à la loge d'avant-scène, occupée par nos concitoyennes, le gros bouquet de violette qu'elle portait à sa ceinture. Et c'est une ovation qui s'ensuivit.
    LondonColiseumt

  • Samedi 9 avril : une journée de repos et d'agréments

    Un brouillard épais, sale, s'insinuait dans les rues. Les horloges marquaient midi et c'était un crépuscule. Les lampes électriques, une à une, s'allumaient... Les Londoniens en ont depuis longtemps pris leur parti. Si vous parliez de ce brouillard, on vous répondrait que la véritable « soupe aux pois», jaune et opaque, est encore bien plus désagréable...
    Les hôtes du « Daily Telegraph » au confortable « First Avenue Hôtel », ont gardé une impression profonde de la cérémonie qui s'est déroulée à la Mansion House. Elle est d'ailleurs inoubliable. La reconnaissance de la région du Nord tout entière ira au grand quotidien britannique et au vicomte Burnham, son propriétaire, pour le beau mouvement d'opinion déclanché en faveur des quatre humbles femmes qui risquèrent leur vie pour en sauver d'autres...

    Le geste du peuple anglais est significatif. Il a rappelé qu'il y eut, dans notre Nord, plus et mieux que l'alliance des armes, celle de nos deux pays : il y eut le dévouement toujours obscur, souvent sublime, des femmes françaises. Les Tommies s'en souviennent.

    Ce matin, le petit groupe s'est rendu au jardin d'acclimation. Puis à « Five O'clock », le thé fut offert par un Club anglo-français, dans les salons du Princes Restaurant, à Piccadilly.

    princes arcade

    Mmes Belmont, Lesur, Cardon et Baudhuin et les maires du Cateau et de Bertry se déclarent enchantés d'avoir visité les principaux quartiers de la vaste capitale et, surtout, très touchées de l'accueil qui leur fut fait.
  • Dimanche 10 avril : L'hommage suprême de l'Angleterre

    Par une journée éclatante « glorieuse», comme disent les Anglais, nos héroïques compatriotes partirent ce matin, accompagnées par , M. Lebeau, maire du Câteau, et par M. Bracq, maire de Bertry, pour se rendre à l'invitation de lord et de lady Burnham, qui les recevaient dans leur magnifique château de Hall-Barn, à Beaconsfield, dans le comté de Buckinghamshire, à 25 milles de Londres.
    Hallbarn

    C'est une propriété dans le goût anglais du dernier siècle, une de ces nobles demeures au parc niché dans le feuillage, avec de calmes prairies, des troupeaux et un ciel tendre
    à la Constable.

    Au déjeuner, où assistaient l'ambassadeur de France, M. de Fleuriau, et une vingtaine d'intimes, l'ambassadeur prit la parole ainsi que M. Lebeau et M. Bracq. Une fois de plus, avec l'éloquente simplicité des émotions sincères, ils exprimèrent leurs remerciements pour la chaleureuse réception que l'Angleterre a réservée à nos héroïnes.

    Que l'on ne parle plus de la froideur britannique ! Aucune foule méridionale n'eût plus ardemment témoigné sa ferveur et son enthousiasme que ne le fit le peuple de Londres.

    Et que dire de la délicatesse généreuse de lord Burnham ! Il ne faut donc point être en peiné de l'avenir de l'Entente, tant que vivra en Angleterre et en France le souvenir héroïque des humbles dévouements de Mme Belmont-Gobert, de Mme Lesur, de Mme Bauduin et de Mme Cardon : elles ont mené vaillamment elles aussi la « guerre des femmes » comme Edith Cavell et comme Louise de Bettignies.

    Vers quatre heures du soir, les automobiles amenèrent le petit groupe franco-britannique au château de Windsor, résidence des souverains depuis plusieurs semaines. Sous la conduite du lord grand chambellan, on visita les appartements publics et privés. Que ces vieilles pierres sont lourdes de symbole, chargées de souvenirs ! Dans la tour Ronde, dans celle de la Jarretière, dans la tour du Diable, au pied de laquelle le grand Shakespeare fit jadis danser ses « joyeuses commères », vit encore le souvenir d'Edouard III et Elisabeth.

    Aux sons de cloche sur la longue terrasse, d'où l'on contemple un des paysages les plus beaux de la vieille Angleterre, les quatre héroïnes se promenèrent longuement. Elles admirèrent ensuite les appartements royaux. Dans tel salon, resplendissent des Rubens et d'incomparables Van Dyck ; dans tel autre, brille en un cadre unique, le pur regard de
    Martin Luther.

    Dans les appartements privés des souverains, le thé fut offert. Puis le grand chambellan, précédé de l'huissier de service, vint chercher les Français pour les mener près des souverains.
    19270411
    Avec cette simplicité charmante, apanage des grandes âmes, qui a conquis tout Londres, nos héroïnes ont paru en présence du roi et de la reine. Le prince de Galles, le prince Henri, étaient présents, eux qui ont fait aussi la guerre en Flandre.

    Une note charmante s'ajoutait à ce tableau : deux petits enfants auxquels leurs grands-parents voulaient donner une leçon de courage et de vertu ; l'honorable Lascelles, fils de la princesse Marie, et la petite princesse Elisabeth, fille de la duchesse d'York. L'un a quatre ans, et l'autre deux ans à peine.
    Elizabeth_II_1929
    La future Elisabeth II
    photographiée en 1929
    (source wikimedia)
    Et pourtant, c'est avec un sérieux émouvant qu'ils ont assisté à cette scène.

    Le roi et la reine, avec une familiarité affectueuse, ont serré la main de nos vaillantes Françaises et du hussard Fowler qui les accompagnait. Puis, pendant quelques minutes, ils ont parlé avec eux des temps douloureux révolus depuis bientôt dix ans déjà. A la fin de l'audience, les souverains ont remis à chacune de leurs interlocutrices et à Fowler, leur portrait enrichi des autographes royaux.

    Le retour s'est fait au crépuscule à travers cette campagne anglaise qui ressemble à un parc ombrageux aux arbres magnifiques.

    Demain nos héroïnes rentrent en France. Elles rentrent, le cœur gonflé de cette joie pure que connaissent les braves gens, les gens braves, qui, après avoir fait tout leur devoir, connaissent les douceurs de la reconnaissance.
  •  Lundi 11 avril : Le retour

    _Le train qui les amena mercredi soir les a reprises lundi matin à 11 heures à la gare de Victoria. A leur léger bagage s'ajoutaient les cadres qui sertissent les diplômes enluminés offert par le lord-maire de la cité.
    Sur le quai de la gare on fit les adieux. Les quatre femmes embrassèrent le hussard Fowler qui les a conduites au train. On remercia encore le « Daily Telegraph » pour sa généreuse inspiration. La gratitude de tous fut exprimée au colonel Lawson, administrateur du grand quotidien britannique et M. Walton, son envoyé spécial. De nombreux membres des Associations anglo-françaises, Ladies Malcolm, Burnham, Lyttleton, etc. étaient présents et offrirent des fleurs aux héroïnes. Puis, tandis que fuyait sous leurs yeux la campagne verte inondée par instants de soleil, nos amis prirent le lunch dans le wagon-salon où le dévoué interprète, M. Thomas Hunt Martin les accompagnait. La fatigue ne se sentait pas, et c'est même sans appréhension du mal de mer qu'ils allaient reprendre le bateau.

    19270412

    La traversée à bord de l' « Isle of Thanet » s'effectua dans de bonnes conditions.

    IoT

    On touchait Calais à deux heures dix bien exactement.
    En route pour Le Cateau et Bertry !

    _Un arrêt de trois quarts d'heure était prévu en gare de Lille pour attendre la correspondance du Dijonnais [train express Lille-Dijon]. Désireux de manifester tout son admiration à l'égard de nos courageuses compatriotes la direction du « Grand Écho » avait, à l'arrivée à Calais, invité le petit groupe à se rendre dans le hall du journal pendant l'arrêt à Lille. Le service d'ordre que M. Carré, commissaire central, avait, sur notre prière, bien voulu faire assurer par ses agents, évitait toute perte de temps, et dans la rue de Tournai attendaient les autos, cinq taxis verts à bande blanche que le distingué directeur de la Compagnie des Taxis-Transports de Lambersart, M. Magont, était venu lui-même mettre gracieusement à notre disposition. La petite caravane monta en voiture, saluée par un nombreux public.
    Avec diligence, les chauffeurs déposaient tout le monde, quelques minutes après, sur la Grande-Place devant notre journal. Dans le hall décoré de palmiers, très obligeamment prêtés par la maison Delesalle, rue Nationale, près d'une table où s'alignaient les coupes de Champagne, MM. Emile Ferré et Jean Dubar, directeurs du « Grand Écho du Nord », Dubuisson, administrateur, et Georges Ferré, attaché à la direction, entourés du personnel de la rédaction, accueillirent les invités.

    _Après que de grosses gerbes de fleurs furent offertes aux héroïnes, M. Emile Ferré au nom de la direction du journal, leur exprima ses souhaits de cordiale bienvenue et, en une brève allocution, s'associa à l'hommage qui leur fut rendu en Angleterre.
    Tout le monde remonta en autos et à cinq heures 20, dix minutes avant le départ du train qui devait les reconduire au Cateau et à Bertry, nos voyageurs s'installaient commodément dans les compartiments qui leur avaient été réservés, et où le « Grand Écho » qui les avait accompagnés dans leur beau voyage, leur dit un dernier adieu.

    _Tout Le Cateau est sur le quai de la gare pour recevoir les héroïnes : les familles, la section des Mutilés, les Démobilisés et les veuves de guerre, les affligés, les délégations avec des gerbes nouées de rubans tricolores ; M. Scailleux-Banse et les conseillers municipaux ; M. Loison, chef de gare et des groupes de cheminots, etc., etc.
    A l'arrivée du train, l'Harmonie municipale exécute la « Marseillaise ». Les héroïnes descendent. Elles sont acclamées. Elles quittent la gare avec difficulté, le service d'ordre est rendu impossible tellement il y a du monde. Un cortège se forme, composé des sapeurs-pompiers, des adjoints, du Conseil municipal, du groupe des héroïnes et des personnes les accompagnant, de toutes les sociétés locales, et prend le chemin de la Grande-Place, au milieu d'une haie compacte de curieux.

    _rrivées sur la place, les héroïnes défilent devant les sociétés ; la municipalité monte à l'Hôtel de Ville ; l'Harmonie Municipale exécute la « Marseillaise », et le maire, du haut du balcon, harangue ainsi la foule :

    Mes chers Concitoyens,
    Au nom des quatre héroïnes, Je vous apporte le tribut de gratitude de la nation anglaise, en souvenir de la manifestation dont nous avons été l'objet. Nous avons reçu un accueil inoubliable ; nous avons vécu un véritable conte de fées. A chaque pas, le public applaudissait la France. Les personnalités officielles anglaises m'ont recommandé de bien dire en France : « C'est plus que de l'amour que nous avons, c'est un véritable culte pour la Nation française. Notre amitié restera à jamais indissoluble. »

    _Les héroïnes sont très émues aussi, ce soir, de la réception de leurs compatriotes qui, pour la plupart, ont été témoins de leurs souffrances. En leur nom, je vous adresse à tous un chaleureux merci.
    Les applaudissements éclatent formidables. Les héroïnes rentrent ensuite dans le salon de l'Hôtel de Ville où M. Scailleux leur souhaite la bienvenue et leur dit combien Le Cateau est fier d'elles.

    _M. Bracq, maire de Bertry, remercie du plus profond du cœur de la réception faite à des femmes du peuple.
    Il était utile, dit-il, que ce soit la capitale du Cambrésis qui les reçoive et les magnifie. Les Anglais sont froids, disiez-vous naguère, c'est que vous ne connaissiez pas leur cœur et nous proclamons aujourd'hui que l'Entente cordiale n'est pas un vain mot. Les Anglais nous aiment pour notre dévouement. Il rappelle alors l'émotion, des assistants de Mansion House lorsque le père du soldat Herbert Hull s'agenouilla pour baiser les pieds de Mme Cardon, geste qui fit jaillir les larmes de toute l'assistance.
    « Au nom des héroïnes, dit encore le maire de Bertry, je vous adresse tous mes remerciements.
    Que cette manifestation serve à faire fleurir cette fleur sublime : la Paix. »

    _M. Lebeau, maire du Cateau, remercie également les sociétés locales et le Conseil municipal. « On sent ici, dit-il, dans cette réception chaleureuse, vibrer l'âme catésienne. Je ne puis vous décrire les réceptions qui nous ont été faites par leur caractère grandiose ; nous allions de ravissement en ravissement, tant au point de vue officiel que du peuple lui-même. Et la réception de Mansion House et du château de Windsor par le roi et la reine. Pour ceux qui connaissent la rareté de ces réceptions, ils en savent le prix. J'ai été touché par, l'amitié du peuple anglais. Partout, au Coliseum, où des fleurs nous ont été jetées et où le cri de « Vive la France » a été poussé par 10.000 personnes, alors que le groupe des officiers français de rugby faisait son entrée dans la salle et que l'orchestre jouait la « Marseillaise ». J'ai entendu beaucoup de Français de la colonie de Londres dire que c'est un véritable culte que le peuple anglais a pour la France. »

    Encore une fois, le maire du Cateau remercie toutes les personnes présentes il félicite les héroïnes, émues jusqu'aux larmes par cette chaleureuse réception de leur concitoyens.
    La foule se retire ensuite.

    _Aujourd'hui, les héroïnes regagneront leurs foyers paisibles, où, grâce à la générosité anglaise, elles sont assurées de couler désormais des jours heureux et exempts de soucis. Allons, tout est bien, et la vertu et le courage sont tout de même quelquefois récompensés.

     

 

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