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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
14 janvier 2011

Abbé DELBECQUE

L'EXÉCUTION DE L'ABBÉ DELBECQUE

CURÉ DE MAING

(17 Septembre 1914)

 

La terreur a succédé à la tranquillité de ces derniers jours, les ordres se sont succédés de plus en plus sévères et abb_D nombre de personnes sont molestées sans aucune cause. Mais nous eûmes ce matin du 17 septembre un triste réveil. L'abbé Delbecque, curé de Maing, ardent patriote, était allé à Dunkerque pour y chercher des renseignements relatifs aux hommes mobilisables, restés en pays occupés. Mais, à son retour le 16 au soir, à Saint-Amand, ses amis voulurent le dissuader de continuer sa route. L'abbé ne tint pas compte de ces avertissements, et ceux qui l'ont connu ne s'en étonneront pas, car le danger ne l'effraya jamais.

Il franchissait le dernier poste difficile du passage à niveau du Poirier vers 9 heures du soir, quand il eut la malheureuse idée de revenir sur ses pas pour parler à la sentinelle qui venait de le laisser passer ? Il fut malheureusement arrêté et conduit à la gare, où on le fouilla, et l'on trouva, dans ses bottines, un document sur le rappel des classes.

Le tribunal, composé de cinq officiers se réunit immédiatement, et le prêtre allemand fut présent à l'interrogatoire.

L'abbé Delbecque fut condamné à mort, on lui laissa deux heures pour écrire à sa mère et à ses paroissiens, ce qu'il fit avec courage et un patriotisme remarquable.

Le commandant lui refusa de voir Mgr Capliez, Doyen de Saint-Nicolas, mais l'aumônier allemand le confessa et lui apporta la Sainte-Communion. Puis, à 6 heures du matin, on le conduisit contre le mur d'une maison en construction du faubourg de Paris, près de la colonne Dampierre.

Des femmes qui assistaient à l'exécution, pleuraient et criaient.
Courageusement, il se mit à genoux, leva les bras au ciel, et les six soldats tirèrent. 

ex_cutionabb_D
(Coll. pers.)

Il fut aussi brave devant la mort que devant le danger, et tomba la face contre terre, mourant en héros pour la France.

Très sommairement, il fut mis sur place en terre, et pendant toute la journée, ce ne fut qu'un défilé d'amis qui voulaient l'exhumer. Une démarche fut faite pour qu'il fût permis de procéder à une inhumation décente.

Cette exécution sommaire, à peine terminée, le commandant Kintzel faisait afficher sur les murs de la ville, l'avis suivant:

1° J'ai infligé hier à une commune de l'arrondissement de Valenciennes, une contribution de guerre de 20.000 fr. parce que les patrouilles allemandes ont trouvé sur la voie du chemin de fer et en haut des fils télégraphiques, sur un parcours de quelques kilomètres, un fil gris en soie, presque invisible (1).

2° Cette nuit, un conseil de guerre, composé de cinq officiers supérieurs, appartenant à l'armée allemande, s'est réuni selon mes ordres pour juger un prêtre français, curé d'une paroisse des environs de Valenciennes.

Ce curé a été pris vers minuit, filant en vélo et sans permission le long du chemin de fer, revenant de la côte du Nord. Il était porteur des ordres du gouvernement français, que l'on a trouvés sur son corps, cachés un peu partout (2).

Le Conseil l'a condamné unanimement à la peine capitale.

J'ai affirmé ce jugement et la mise à mort a été exécutée ce jeudi à l'aube.

 

Delbecque

 

Le lieutenant Kintzel fut premier commandant de place de Valenciennes , il s'installa le 25 août 1914. Lorsqu'il prit possession de la Mairie, il se dit, lors d'une première réunion, l'ami de la France, ce qui ne l'empêcha pas d'être très sévère, de condamner à mort l'abbé Delbecque, et d'imposer à la Ville une amende de 1.500.000 francs pour un pamphlet sur le kaiser, antérieur à la guerre.
D'une grande activité, il circulait jour et nuit pour installer les différents services. Toujours la badine à la main dans ses promenades, il ne savait se contenir, et toujours sa colère le dominait : type accompli du " soudard " allemand.

Vendredi 18 septembre. -Ayant obtenu de la Commandature, l'autorisation d'exhumer le corps de l'abbé Delbecque, à 3 heures de l'après-midi, le doyen de Saint-Nicolas, Mgr Capliez et le supérieur du collège Notre-Dame, procédèrent à la mise en bière.

Personne n'avait été prévenu, et cependant trois à quatre cents personnes étaient présentes. Quelques-unes seulement furent autorisées à accompagner le corps jusqu'à Maing, la population sans convocation aucune, s'était réunie dans l'église où l'absoute fut donnée. La mère de l'abbé Delbecque, malgré ses 80 ans, reçut courageusement le corps de son fils, dont elle embrassa le cercueil. Cette cérémonie fut très impressionnante, le curé de Maing étant très aimé, et estimé de ses paroissiens. Mgr Cappliez prononça quelques mots, et le cercueil fut inhumé dans le caveau provisoire de la commune.

Après l'armistice, le Gouvernement de la République honora sa mémoire, en lui décernant le titre de la Croix de Commandeur de la Légion d'honneur, avec la citation suivante:

" S'étant rendu à Dunkerque, au péril de sa vie, pour prendre des renseignements relatifs aux hommes mobilisables, restés en pays occupés, a été fusillé par les Allemands. A ainsi donné un bel exemple de courage et de dévouement. A été cité. "

 

(1) L'amende s'appliquait à Onnaing où M. le curé, MM. Clerquin et Leroux avalent déjà été pris comme otages et conduits à Valenciennes.
M. Edmond Brabant réussit à trouver cette somme et ils furent libérés.

 

(2) Voir la lettre qu'il écrivit avant son exécution dans la brochure que publia l'abbé Génie, sur la vie et la mort de l'abbé Delbecque.


 

 Le 12 novembre 1914, selon son état des services militaires, il eut été totalement dégagé des obligations militaires, bien que dispensé du service en tant que séminariste, il avait été versé dans la réserve en 1892.

 

En novembre 1923, un comité se forma afin d'élever un monument à ce héros mort pour la France. La souscription fut ouverte, et le 17 septembre 1924, jour de l'anniversaire de sa mort, un obit solennel fut célébré à l'église Saint-Géry, par les chanoines Lefebvre, archiprêtre, et Ch. Thellier de Poncheville. Le monument œuvre émouvante du sculpteur Terroir, érigé sur le terre-plein de l'église du Sacré-Cœur, avenue Dampierre, fut inauguré le dimanche 7 décembre 1924, par M. le Vicaire général Jansoone, remplaçant Mgr Chollet, archevêque de Cambrai.

M. Paul Dupont, en qualité de Président, rappela dans son discours la mort héroïque de cette victime de la guerre, puis

M. Jean Saint-Quentin, au nom de la ville de Valenciennes, Marcel Barlès, au nom de la Jeunesse catholique, Lebacqz, au nom des démobilisés, déposèrent des fleurs au pied du monument.

La cérémonie officielle terminée, la foule entra dans l'église du Sacré-Cœur, où eut lieu la cérémonie religieuse. L'abbé Lengrand, supérieur du collège Notre-Dame, fit un magnifique discours montrant à son auditoire ému à quel point l'abbé Delbecque a droit à notre souvenir, à notre respect et à nos prières.

 

Cette première partie est extraite du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933


 

  • Il est à noter que l'acte de décès de l'abbé Delbecque a seulement été dressé le 3 novembre 1914 dans le registre d'état-civil des décès de l'année. Il est visible page 193 sur le site des Archives Départementales du Nord, et porte la mention "fusillé par les troupes allemandes"


Le texte qui suit est tiré d'une brochure éditée par le Collège Notre-Dame à Valenciennes, intitulée " Nos Héros", Livre d'Or des professeurs et anciens élèves éditée en 1921, qui nous éclaire un peu plus sur les circonstances et la personnalité de l'abbé.

 

L'abbé DELBECQUE Augustin,
né à Lillers en 1868, an­cien professeur,
curé de Maing depuis 1910,
fusillé par les Allemands le 17 septembre 1914.

 

     L'abbé Delbecque avait le souci d'être en même temps qu'un bon prêtre, un citoyen actif et dévoué. Dans la paroisse, il propageait les bonnes brochures, s'occupait d'œuvres sociales. Il discutait volontiers de politique, avec ardeur, mais aveccure_delbecque_b courtoisie, loyauté et compétence. On ne peut servir deux maîtres, dit l'Evangile, mais servir la France et l'Eglise, estimait l'abbé Delbecque, ce n'est pas servir deux maîtres : c'est servir sous ses deux formes la même autorité divine. On juge de sa douleur quand il voit l'invasion prussienne s'étendre sur le pays comme une lèpre. Volontiers, il saisirait un fusil pour faire le coup de feu, mais il a déjà donné sa vie à une cause plus grande! Exempt d'obligations militaires, gardien d'une paroisse, il lui est interdit de chercher à s'engager: il doit rester près de ses ouailles à son poste périlleux. L'abbé Delbecque reste, et il lui coûte de rester comme à d'autres de partir... Comme il souffre Cependant! Au début de l'occupation ennemie, on le voit, plus d'une fois, accourir à Valenciennes, avide de renseignements, tout frémissant d'indignation et d'impatience. Il peut, du moins, rendre à sa patrie, les services compatibles avec son ministère de prêtre. A leur premier passage, 1es troupes allemandes ayant saisi l'uniforme d'un soldat français, s'en servent comme d'un jouet et le pendent à un arbre sur la route. L'abbé Delbecque, intrépide, s'en va, sans hésiter, trouver un officier et, par ses protestations, obtient qu'on cesse ces insultes. 

Quelques jours se passent. On est au milieu de septembre: depuis trois semaines l'ennemi, est entré chez nous; le passage, pourtant, reste ouvert vers la France libre. Un certain nombre d'hommes de la région envahie sont partis vers Lille, pour se mettre à la disposition des autorités militaires, mais beaucoup, mal renseignés, sont revenus aussitôt. Dès lors, tous les timides, tous les hésitants, tous ceux qui, trop confiant, espèrent voir l'ennemi refoulé aussitôt, en profitent pour ne plus rien tenter. L'opinion publique est complètement dérou1ée: ceux qui sont partis, le peuple, avec une nuance de dédain, les appelle des fuyards.

L'abbé Delbecque n'y tient plus: il ne comprend pas cette inertie. Comment se fait-il qu'un ordre confidentiel, mais bien net, ne vienne pas indiquer à tous ces hommes leur devoir? La France n'a donc plus besoin de soldats ? Il prévoit œ qui va bientôt arriver: l'établissement d'une ligne infranchissable. On peut faire maintenant aisément ce que plus tard les braves ne feront qu'en risquant leur vie: on peut rejoindre, et on ne bouge pas! 

Le curé de Maing exhorte ses jeunes gens à partir: on lui répond évasivement et on reste. Ce n'est pas au curé, c'est aux militaires de parler! ... L'abbé Delbecque décide alors d'aller lui-même chercher l'ordre qui ne vient pas: il ne reviendra, qu'avec une réponse nette. 

Le 15 septembre, à bicyclette, il se met en route pour Dunkerque, où se trouve le commandement le plus rapproché. Il n'a pas perdu de temps : il a fallu, sans doute, faire antichambre dans les bureaux, et l'étape est longue! Pourtant, le 16 au soir, le vaillant abbé est déjà de retour. A Saint-Amand, un ami veut le retenir jusqu'au lendemain, craignant que la rentrée du curé de Maing, à cette heure tardive, n'éveille les soupçons; mais l'abbé Delbecque, qui n'a peur de rien, a peur d'inquiéter sa mère qui l'attend en tremblant. Il repart à bonne allure. 

 Vers 9 heures, à sa sortie de Valenciennes, au pont du Poirier, il est arrêté par une sentinelle qui le questionne, le fouille sommairement et le laisse aller. L'abbé fait quelques mètres, puis, se ravisant, il retourne réclamer sa carte qu'on lui avait retenue... On a prononcé le mot d'imprudence... [à Roncevaux] Roland a été imprudent, mais il a été héroïque! Nisus a été imprudent, mais il a été héroïque! Une telle imprudence n'est pas à la portée de tous !... 

Le geste de l'abbé Delbecque, en tout cas, ne manquait pas de crânerie. Il devait lui être fatal. Le soldat, pris de soupçons, l’arrête et le mène au commandant de place, à la gare de Valenciennes. On fouille l'abbé Delbecque et on trouve sur lui un papier, que lui avait remis le gouverneur de Dunkerque. Un conseil de guerre fut convoqué d'urgence, sous la présidence du commandant Kintzel, et bientôt le curé de Maing connut la sentence: c'était la mort.. On lui refusa toute communication avec le dehors, même avec son doyen, Monseigneur Cappliez. L'abbé Delbecque dut recourir au ministère d'un allemand, Georges Arnkens, vicaire à Hambourg.

Le jugement prononcé dans la nuit devait être exécuté à l'aurore. L'abbé Delbecque passa ses dernières heures à la gare en compagnie de l'aumônier allemand. Devant la mort si inattendue et si certaine, à heure fixe, il garda un courage héroïque. 11 eut la force d'écrire une longue lettre testamentaire, où les adieux les plus émus se mêlent aux recommandations les plus précises. Rien n'est plus impressionnant que ces pages, écrites sous la menace de la mort, d'une écriture ferme, énergique, avec une élévation de sentiments admirable, avec une lucidité, qui règle en détail, les affaires de la famille et de la paroisse. L'abbé Delbecque n'oublie rien, ni personne

 

Valenciennes, jeudi 17 septembre, 2 h 10 du matin. 

Ma bien chère maman, mon bien cher frère et ma bien chère Blanche, et mes chers Marguerite, Edouard et Maurice, chère Hermance aussi. 

 Une aventure terrible m'arrive. Ayant pris de simples renseignements pour Maing, au point de vue militaire et ces renseignements m'ayant été mis sur papier par un chef militaire de la place de Dunkerque, j'ai été arrêté par une sentinelle à mon retour, au pont avant le Poirier, vers 9 heures, et l'on m'a conduit à la place de Valenciennes, où l'on m'a fouillé et où on m'a pris ce papier. Aussitôt on m'a menacé de mort et un jugement militaire a été constitué dans la salle du grand buffet. 

J'ai expliqué que cela n'avait pas l'allure d'un ordre à faire passer à tous. Mais on a considéré cela comme un acte d 'hostilité contre l'autorité allemande. On m'a dit qu'on pouvait m'infliger ou 10 ans de prison ou la mort, et l'on m'a infligé la mort. 

Mes bien chers parents, chère maman, et cher Henri, je vous demande bien pardon pour toute la peine que j'ai pu vous faire en ma vie, comme je demande pardon à tous ceux que j'aurais pu offenser... 

Que ma chère paroisse de Maing veuille bien prier pour son pasteur, qui tombe à son service et qui regrette de n'avoir pu faire davantage pour elle. Qu'elle revienne davantage au Bon Dieu. Il est tout, et ce qui importe, ce n'est pas une longue vie, mais une bonne vie chrétienne par-dessus tout. Je meurs à {16 ans: c'est court, mais puisque la Providence le veut, c'est Elle qui conduit tout, c'est assez. 

Nous sommes ici-bas pour aller au Ciel: le Ciel, la possession du Bon Dieu et l'union avec la Très-Sainte Vierge Marie, tous ces saints si bons, si beaux, c'est bien le tout de 1'homme, tout ce qu'il faut ambitionner. C'est le vrai bonheur... 

J'ai grande douleur, certes, de vous quitter tous, grande douleur, car je voulais 'me dévouer pour vous davantage. Le Bon Dieu ne le veut pas... Que je vais bien prier pour vous! Que je vais bien prier aussi pour la chère paroisse de Maing, pour la chère paroisse d'Esquermes, aussi, où les paroissiens se sont toujours montrés si bons pour moi. 

Chers paroissiens de Maing, n'insultez plus jamais les prêtres; aimez-les, au contraire; écoutez-les: ils sont de bons serviteurs. 

Les chefs allemands qui m'ont jugé ont estimé que la note que je rapportais, et dont le commandant de la place de Dunkerque pourra reconstituer les termes, était de nature à rendre à la chère France, en tout le pays investi, un grand service (je crois bien que cela est exagéré), que cela desservait leur cause. Eh bien! puisque le juge­ment est tel et que je meurs pour cela, je suis heureux de mourir pour ma chère patrie. Beaucoup d'autres paient de leur vie, sur le champ de bataille, leur amour pour la chère France. N'ayant pas été militaire à cause de l'ancienne loi, je n'avais pas à courir de danger... Mais on juge que j'ai servi la patrie, et je tombe pour elle: ce sera le sang d'un nouveau prêtre versé! Que Dieu daigne l'agréer pour l'expiation des fautes nationales, et par suite son succès final... 

 

Parlant de sa sépulture, l'abbé Delbecque montre un désintéressement admirable. Il pose lucidement la question, comme s'il s'agissait d'un autre, comme si ce n'était pas lui que les brutes meurtrières attendent : 

Ensevelissez mon corps où vous voulez. J'aimerais bien, Guiscard, pour être avec les chers miens, mais, vu mon genre de mort, ne vaudrait-il pas mieux l'une de mes deux paroisses, Maing ou Esquermes ? Les habitants d'Esquermes y trouveraient un réconfort. Je suis aussi convaincu que Maing honorerait son pasteur. Voyez, ma chère maman, mes chers parents...

 Il demande des messes pour son âme. Il règle l'honoraire du prêtre. Il recommande quelques bonnes œuvres. Et puis, au milieu de ces précisions, l'émotion le ressaisit: 

 Que dirai-je encore ? Vous comprenez: j'en ai plein le cœur! Ma bonne, ma bien-aimée maman, à votre âge, recevoir un tel coup! Allons, je dois cesser: j'écrirais jusqu'à demain.

 Il s'épancherait volontiers plus longtemps, mais il faut un dernier sacrifice: le temps passe; il faut interrompre ces effusions et régler en détail les affaires paroissiales : 

 Enfin, il faudra faire pour le mieux... sans moi. 

La sentence est irrévocable! Elle est vraiment disproportionnée! Mais je n'ai pu arriver à la changer, je ne comptais jamais qu'elle eût pu être telle. 

Rien n'arrivant sans la permission de la Providence, inclinons-­nous tous devant elle, regardant le ciel, offrant notre sacrifice pour nos chères âmes, mes chères paroisses de Maing, d'Esquermes, pour le cher Guiscard, aussi, et pour la France, notre bien-aimée patrie. 

Adieu, ma chère France! Adieu, mes bien chers confrères du doyenné et mon cher doyen de Saint-Nicolas. Adieu, ma chère paroisse d'Esquermes, où les paroissiens furent si encourageants et si bons pour moi. 

Adieu, mes vieux collèges de Notre-Dame à Valenciennes, de Notre­-Dame des Dunes à Dunkerque, de Saint-Joseph à Lille; faites-moi aussi chers collègues, l'aumône de quelques bonnes prières, et redites bien, chers Supérieurs, à vos enfants que ce qui importe, Ce n'est pas de vivre longuement, mais de bien vivre... 

Adieu, à tous mes bons amis. Je vous bénis comme prêtre du fond de mon âme. Je bénis ma chère patrie, que je vous demande de bien aimer, et je vous donne rendez-vous au Ciel, auprès du Bon Dieu et de la Très-Sainte Vierge Marie. 

Mon Dieu, ayez pitié de moi. Sainte Mère du Ciel, priez pour moi. 

Laudetur Jesus Christus ! 

 A l'aurore du même jour, 17 septembre, un feu de peloton mit en émoi les habitants de Valenciennes. Obscurément, l'abbé Delbecque accomplissait pour la France son dernier sacrifice. 

Le bruit courut bientôt qu'un prêtre avait été fusillé à quelque distance de la gare. On ne connut toute la vérité que lorsque le commandant Kintzel se présenta au Collège pour charger M. le chanoine Petitprez, supérieur, d'avertir la famille du curé de Maing. Un peu confus, le commandant expliqua, pour justifier la sentence, que l'accusé s'était montré insolent. Ce mot, comme on put le savoir par l'aumônier allemand qui avait assisté au jugement, signifiait simplement l'attitude fière et crâne que l'abbé Delbecque avait conservée, jusqu'au bout en face de l'ennemi, alors qu'on aurait voulu le voir humilié et suppliant. 

Le 18 septembre, l'autorisation fut accordée d'exhumer en secret le corps de l'abbé Delbecque et de le transférer à Maing. C'est là qu'il repose aujourd'hui, victime de son dévouement pour la Patrie. 

La Croix de la Légion d'honneur vient d'être attribuée, à titre posthume, à M. l'abbé Augustin Delbecque, curé de Maing.

 

  • Voici la copie du décret lui attribuant la Légion d'Honneur (source: base Léonore)

leonore_01

 

 

  • Le monument œuvre émouvante du sculpteur Terroir, érigé sur le terre-plein de l'église du Sacré-Cœur, avenue Dampierre à Valenciennes :

monument_02

monument_03(
photos ADC)

 Le gisant de bronze est percé de plusieurs trous, souvenirs de Valenciennes sous les bombes en Mai 1940.

  • Lors de la seconde occupation, la statue sera déplacée :

6 Juillet 1940
Le Commandant [Allemand] vient me prendre à la Mairie.
De là nous allons droit à l'église du Sacré-Cœur, avenue Dampierre.
Après l'examen du lieu fortement touché par la mitraille, le Commandant veut savoir pourquoi on a placé la statue de l'abbé Delbecque - représenté dans la position où il était tombé sous les balles allemandes - devant l'église, en bordure de route . "Des soldats peuvent passer, Ce monument est bon à entretenir la haine dans les cœurs. Il faudra l'enlever aujourd'hui même ". Ne m'étant pas empressé d'obéir , je reçois le soir même un rappel à l'ordre énergique.
La statue enlevée
est conduite dans le sous-sol du Musée. Le Commandant la réclame quelques jours plus tard et la fait placer dans la cour de la Commandanture *.

* installée à l'angle du Boulevard Watteau et de la rue David-Desvachez

in : Abel Posière " Heures Vécues du 18 Mai 1940 au 18 Novembre 1941".

 

  • Une des rues de Valenciennes, non loin du monument, porte le nom de l'abbé Delbecque.
  • Les plaques sur sa tombe au Cimetière de Maing, tombe commune aux curés de Maing.

    plaque_maing

    P1360467

  •  Le 15 Septembre 2014, lors du passage du Tour St-Cordon et de l'entrée de la statue de Notre-Dame à l'église du Sacré-Coeur, un hommage lui a été rendu et une gerbe déposée. La messe du 17/09/2014 y sera célébrée à son intention, et l'office du tourisme lui consacrera une mini-visite de 30 minutes ( payante ... !)
    (Mais pourquoi faut-il attendre 100 ans ? !)

    P1030617 P1030620 P1030626

  • En 2015, la municipalité a fait poser devant l'église, au dessus de la statue, une plaque en remplacement de celle posée en 1924 et qui avait disparu, reprenant les noms des soldats de la paroisse morts durant la guerre :

    plaque 2015

  •  Ébauche de la statue de Terroir exposé à l'Hôtel de Ville de Valenciennes, lors des journées du patrimoine 2014 :

    Ebauche

 


 

     La fin tragique de l'abbé Delbecque est évoqué dans un livre de l'abbé Eugène GRISELLE, paru en 1915 : "Le martyre du clergé français" et disponible sur Gallica. La raison du voyage de l'abbé à Dunkerque, et la nature des documents qu'il transportait diffèrent un peu dans cette version qui relève probablement plus de la propagande :

 


cliquer pour accéder au site

     De même, le "Journal de la Meurthe", paru le 26 septembre, retrace succinctement les faits, les rendant au passage moins acceptables encore, mais montrant que la nouvelle avait atteint la France libre.

19140926 Le Journal de la Meurthe

 

    Il en est de même pour l'article paru dans "Le Grand Hebdomadaire Illustré du Nord de la France" du 27/09/1914 :

GHIRN 19140927

    C'est le seul article (à ce jour) à évoquer un déplacement vers Dunkerque pour raison personnelle (et non de questionnement de l'autorité militaire). (Peut-être un (pieux) mensonge pour éviter de dire qu'il transportait des informations.

    Dans son édition du 25/09/1914, "La Croix de Roubaix-Tourcoing" relate la célébration d'un obit solennel le jeudi 24. Si la région de Lille a su que l'envahisseur passait non loin à l'est en direction de Paris, elle ne sait pas encore qu'il reflue et que la ville sera encerclée le 6 octobre, et proprement assiégée les 11 et 12, date à laquelle la ville capitulera.

La Croix de Roubaix-T 19140925 p2


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11 janvier 2011

MOHR Jules & GRESSIER Emile



M. MOHR, SON ARRESTATION, SON EXÉCUTION

MOHRJulesp_re

M. Mohr Jules, inspecteur d'Assurances, né le 6 décembre 1858, était par conséquent âgé de 57 ans, lors de son arrestation par les Boches, le 11 octobre 1915.

Marié et père de sept enfants, dont l'un était décédé en bas âge, il lui restait donc à la déclaration de guerre : trois garçons et trois filles : deux des fils en service actif au 4° Tirailleurs Algériens à Bizerte (Tunisie), l'un comme adjudant et l'autre comme sergent. Le troisième, âgé de 15 ans, donc trop jeune pour être incorporé, est resté en pays occupé.

L'adjudant au 4° Tirailleurs, médaille militaire et croix de Guerre, fut tué en juillet 1916 à Villers-Bretonneux. Celui qui était sergent à la mobilisation est revenu comme adjudant, décoré de la Médaille Militaire, Croix de guerre avec palmes et citations, après avoir été blessé cinq fois.

Depuis longtemps M. Mohr faisait de l'espionnage : renseignements, plans, etc... lorsqu'il fut arrêté. Il transmettait sa correspondance à Flessingue (Hollande) par un courrier, et malgré son âge, traversa une rivière à la nage pour sauver les renseignements qu'il portait.

Peu avant son arrestation, il fut suivi par un Allemand en civil qui se disait belge résolu à rendre service à sa patrie, il demandait à entrer dans la combinaison de M. Mohr comme agent, et se recommandait d'un personnage affilié à Flessingue, tout en citant les noms de quelques personnes faisant déjà partie de ladite combinaison: ceci, bien entendu, pour inspirer confiance à M. Mohr, qui, ayant flairé la supercherie ne se laissa jamais aller à aucune confidence. Il se défendit au contraire de faire quoi que ce soit contre les Allemands, invoquant surtout qu'il était père de six enfants, qu'il ne pouvait dans ces conditions risquer sa vie, et qu'ayant trois fils et un beau-fils à la guerre, il jugeait le sacrifice suffisant.

Plusieurs fois, il fut relancé par le même individu, tant dans la rue que chez lui, ce qu'il cherchait c'était une preuve convaincante et irréfutable.

L'arrestation eut tout de même lieu quelques jours après: sorti l'après-midi en ville, il fut arrêté vers sept heures du soir.

Mme Mohr ne vit plus jamais son mari, et n'eut jamais plus de nouvelles, si ce n'est une lettre écrite in-extremis. Le soir de l'arrestation. on s'inquiétait dans sa famille, quand vers huit heures quarante-cinq, la porte d'entrée de la maison s'ouvrit, les enfants se précipitèrent vers l'entrée, croyant à l'arrivée de leur père, mais ils se trouvèrent en face des agents boches qui avaient ouvert la porte au moyen de la clef prise sur M. Mohr, et qui perquisitionnèrent de la cave au grenier sans rien découvrir.

Il resta dix-sept jours au secret de la caserne Vincent, rue de Lille, et fut dirigé ensuite sur Bruxelles, ou il occupa à la prison Saint-Gilles, la cellule 86. Le flagrant délit n'ayant pas été constaté, l'instruction dura six mois.

La condamnation à mort fut prononcée le 12 avril 1916, et l'exécution eut lieu le 19 du même mois au Tir National de Schaerbeek près Bruxelles, où son nom figure sur la plaque commémorative de tous les suppliciés, plaque inaugurée par le Roi et la Reine, le 10 avril 1921; toutes les familles étaient représentées à cette inauguration.

La lettre d'adieu qu'il écrivit à sa famille pendant la journée qui précéda son exécution était d'une grande élévation d'âme, faisant le sacrifice de sa vie, il disait notamment:

" L'on vient de m'informer que mon recours en grâce a été rejeté. Nous serons donc fusillés demain matin, 19 avril 1916.

" J'ai demandé à Monsieur l'aumônier que l'on prenne la précaution de ne pas vous annoncer cette malheureuse nouvelle trop durement, et il m'a promis de faire en sorte que vous soyez prévenus avec précaution par Monsieur l'aumônier de Valenciennes.

" Quand il faut dire que depuis plus de six mois que je vous ai quittés, 11 octobre 1915, je ne vous ai plus vus, ni même reçu un mot de vous, et que maintenant je ne peux espérer vous revoir que dans un autre monde, c'est terrible. Seul en cellule depuis si longtemps, c'est horrible! horrible!

" Les paroles ne peuvent pas exprimer ce que l'on ressent, mais nous nous reverrons, et du haut du ciel je ne pourrai que vous aimer davantage.

" 18 avril, minuit. -Dans ma dernière prière, ce jour, après avoir prié pour vous tous, je vous envoie ma dernière bénédiction, et j'espère vous revoir dans un lieu plus clément.

" Adieu! Adieu! Adieu!

" Votre malheureux mari et père.

J. MOHR.

" Un dernier mot qui devra vous consoler, c'est que je meurs en brave et pour la Patrie. "

 

Loin d'annoncer avec ménagement cette terrible nouvelle. à sa famille, la Commandanture fit placarder en face de la maison de M. Mohr, le matin même, une grande affiche rouge annonçant son exécution.

affiche

 

Comme on peut s'en rendre compte par sa lettre, M. Mohr fut énergique jusqu'à la mort. Il le prouva en refusant d'être attaché à la chaise d'exécution et d'avoir les yeux bandés.

Après sa mort, il fut enterré au Tir National, à proximité de Miss Cavell et fut transféré en France, en même temps que M. Gressier de Saint-Amand, en juillet 1919 après une cérémonie aussi grandiose que solennelle à Bruxelles et devant une foule considérable.

Il fut décoré à titre posthume des Croix de Guerre, Croix de la Légion d'Honneur , Croix Anglaise.

Mme Mohr ne se consola jamais de cette si brusque séparation, elle mourut subitement le 10 décembre 1923.

 

 

Ces informations sont extraites du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

  •      Mohr et Gressier appartenaient au service de Renseignements "Hernalsteen" du GQG Français pour la région de Bruxelles, groupe de Valenciennes-St. Amand. les régions de Lille, Douai, Maubeuge, Avesnes, Douai, Cambrai et St Quentin étaient représentées par Dalhuin, Doucedame, Delnatte et Mme VanDamme. (source : archives royales de Belgique)

  •      Fait Chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume par décret du 11 janvier 1921.

 

  •      La plaque nominative dans l'Enclos des Fusillés, anciennement "Tir national" à Bruxelles (B)

plaqueEFB(photo ADC)

 

  • Une vue actuelle ( juillet 2010) de l'Enclos des Fusillés à Schaerbeek ; bien que les tombes de la première guerre aient disparu, remplacées par d'autres de la guerre suivante,  la vue de ce ilot de verdure au pied de la tour de radio et télévision n'est pas sans rappeler le cimetière originel où l'on peut voir non loin de la tombe d'Edith CAVELL, celle de Jules MOHR, prénommé EMIL, confusion avec le prénom d' Emile Gressier de St Amand les Eaux fusillé le même jour et qui porte le prénom de Jules ; initialement les croix de bois ne portaient que des numéros.

EdF (photo ADC)

 tombesTN19(collec. pers.)

tombe gressier(collec. pers.)

   voir pour ce cimetière la liste des fusillés des deux guerres sur le site BEL-MEMORIAL

 

  • Son nom figure également sur la stèle de la prison de St Gilles, toujours sur le site BEL-MEMORIAL

 st gilles

Plan de la prison de St-Gilles
où fut également internée Miss Edith Cavell,
fusillée au Tir National le 12 octobre 1915.

  • Jules MOHR est né à Ham (Somme) le 7 décembre 1858 à 9h du matin, de MOHR Hyacinthe et LOMBARD Lucie ; il épouse à Douilly le 17 avril 1883 Marie Valérine BAQUET. Parmi leurs sept enfants (Marie-Pauline 1889-1968, Lucienne, René , Yvette 18976-1966, Raphaël, Paul, André) naît le 6 juillet 1885 MOHR Jules Arthur, (source: Archives Départementales de la Somme) adjudant au 4° Régiment de Marche des Tirailleurs Algériens, qui sera tué le 26 juin 1916 à Villers-Bretonneux (Somme) voir la page du fils sur ce blog :

     
  • Le père, son épouse, une fille et le fils sont enterrés au cimetière St ROCH de Valenciennes, tombe 83, section I1 3° droite.

 

FAMILLE
MOHR - BACQUET
JULES 1858 - 1916
FUSILLE PAR LES ALLEMANDS
VALERIE 1859- 1923
RAPHAEL 1885 - 1916
MORT POUR LA PATRIE
YVETTE 1897 - 1966

StRoch

Le fils Mort pour la France porte le prénom de Raphaël,
comme le précise l'état signalétique "Jules Arthur dit Raphaël",
le prénom de Mme MOHR est devenu Valérie
sur une pierre tombale relativement récente..

 

  • Une rue de Valenciennes raccourcie depuis la création du terrain de sports, porte le nom de Jules MOHR.
  • Le récit de René Delame mentionne plus loin la famille MOHR à l'occasion des bombardements de 1918

Le 23 Août (....)

Les premières bombes étaient tombées à l'entrée de la rue Famars, entre les n°s 6 et 8. Au n° 11, les meubles avaient été déchiquetés.

Au n° 9, chez M. Williams, et au n° 6, chez M. Lesieur, les maisons étaient effondrées. .

Le n° 10 était habité par la famille Mohr, dont le père avait été fusillé pour avoir fait passer des documents. Les trois jeunes filles, pour la première fois étaient descendues dans leur cave, la bombe avait traversé le plafond, et leurs lits; leur mère était encore sous le coup de la première impression.

(....)

Le 29 Août

Un autre [obus] tomba au milieu de l'Esplanade, près de laquelle stationnait un train de la Croix-Rouge. Toutes les vitres du quartier volèrent en éclats.

Cette pauvre famille Mohr qui, quelques jours auparavant avait eu sa maison détruite par une bombe, était venue s'installer rue d'Anzin, où une autre bombe vint casser toutes les vitres de sa nouvelle demeure.

 

  •  Jules MOHR, ainsi que bien d'autres, dont Emile GRESSIER, Edith CAVELL, Gabrielle PETIT ont été jugés dans une salle actuellement celle du Sénat de Belgique (voir sur le site BEL-MEMORIAL) où de chaque coté de la tribune une plaque rappelle dans les deux langues les noms et les jugements de ceux qui ont été :

"Fusillés pour crime de fidélité à leur patrie"

12_S_foto_Plaat F   13_S_foto_Plaat N
(merci à Danny D. du site Bel-Memorial)

  •  Le 29 juillet 1919, le Journal Officiel publie sa citation à l'ordre de l'armée, ainsi que celle d'Emile Gressier :

 citation MOHR

 

citation GRESSIER
Ce dernier sera également cité dans le JO du 14/07/19 dans la rubrique "Le Gouvernement porte à la connaissance du pays la belle conduite de :"

GRESSIER_BC

 Il est fait chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume par décret du 21 septembre 1983.

  •  Par décret présidentiel paru au JO du 5 avril 1930, la médaille de la Reconnaissance française de 1ère classe (vermeil) est attribuée à Jules MOHR :

    MRFJM



  •  Tombe commune primitive au cimetière de Bruxelles :

 

Tombe Commmune

 

  •  "La Presse"  (éditée à Paris) du 29 juillet 1919  lui rend hommage, ainsi qu'à Emile Gressier.

    La Presse 19190729

  •  Photo du Tir National prise en décembre 1918 par l'ECPAD :

    Tombes ECPAD



  • Retour des corps le 19 juillet 1919.
    L'annonce parait dans "le Grand Echo du Nord de la France en date du 22/07/1919 :

    GENF

 


 

N'hésitez pas à m'apporter compléments, rectifications, remarques. : Contactez l'auteur

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