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Les civils du Valenciennois dans la Grande Guerre 1914-1918
16 septembre 2012

Ramassage des orties

ORTIES 



Les Allemands manquant de ficelles obligèrent la population à récolter les orties.

Avis concernant la récolte des Orties 

« 1° L'Administration de l'armée Allemande engage les populations indigènes à la récolte des orties qu'elles auront à lui livrer contre paiement.
« 2° On ne recueillera que les orties piquantes à tige élancée (urtica doïsa) il est inutile de recueillir le genre ressemblant à l'herbe, partagé en plusieurs branches de basse taille.
« 3° Les tiges récoltées doivent avoir une longueur d'au moins 50 centimètres, les moins longues n'ont aucune valeur.
« 4° Les tiges ne devront pas être déracinées, on aura soin de les couper au collet au ras du sol, la coupe Se fait le plus facilement au moyen d'un couteau, d'une faucille ou d'une faulx quand il s'agit de quantités plus importantes.
« 5° Pour se garantir contre les piqûres, on pourra mettre des gants d'une étoffe quelconque.
« Les plantes cessent de piquer peu de temps après avoir été coupées.
« 6° Lorsque les orties coupées ne peuvent être laissées sur place, on les liera en bottes pour les étendre par la suite en couches minces à des endroits convenables afin de les sécher.
« 7° On évitera surtout de broyer ou de casser les tiges, on y fera particulièrement attention lorsqu'on les liera en bottes ou en gerbes.
« 8° Le séchage est complet lorsque les feuilles s'enlèvent facilement.
« Le bon séchage des tiges est d'une grande importance, les tiges pourries n'ont aucune valeur.
« 9° Le séchage terminé, on enlèvera les feuilles, les branches que l'on aurait trouvées et les têtes des plantes, en faisant passer une poignée de tiges à travers des clous que l'on aura enfoncés dans une latte, de manière à former un peigne, il est utile de placer ces clous à une distance de 1 cm. 1/2 les uns des autres.
« La latte qui aura une longueur d'environ un demi-mètree, s'appliquera à une caisse ou à une poutre.
« 10° Les tiges effeuillées devront être soigneusement liées en bottes, ou en gerbes et livrées à la Mairie; dès qu'une certaine quantité s 'y trouvera (un chariot environ) les orties devront être transportées dans les magasins de la Commandanture de Valenciennes, où l'on procèdera à la constatation des poids.
« 11° Il sera payé pour les tiges effeuillées et soigneusement bottelées, par la caisse de la Commandanture, 6 cent. le kilo.
« 12° Les feuilles et têtes de plantes qui restent, constituent un excellent fourrage, et représentent la même valeur que le foin de bonne qualité.

« Etappen Inspektion, E.R.O., le 28 juillet 1916.»


Le Commandant de Place rappela à l'ordre les communes qui ne récoltaient pas les orties et leur adressa la lettre suivante 

« Valenciennes, le 17 août 1916,
« Monsieur le Maire de Valenciennes, 

« La Commune n'a pas encore livré ses orties, conformément ù l'ordre du 28 juillet 1916. On vous fait remarquer qu'on se sert des orties pour faire de la ficelle et de la corde à lier.
« Etant donné que la Commandanture ne dispose que de petites provisions de ficelle à lier, à l'avenir seulement, les communes recevront de la ficelle qui auront livré des orties.
« Des orties pourront être très facilement ramassées par les enfants, femmes, et par les personnes sans travail.

« Signé : PRIESS ».

 



A la réunion des Maires du 30 juin 1917, le lieutenant Rott distribua une nouvelle ordonnance relative à la récolte des orties qui devaient commencer dans une dizaine de jours, lorsque la tige aurait au moins 0 m. 60.

« Directions pour la récolte des orties 

« 1° Seulement l'ortie brûlante à longue tige (urtion dicica) est à récolter. L'ortie basse, herbacée et 'branchue n'est pas à récolter.
« 2° Les tiges cueillies des orties doivent avoir une longueur d'au moins 50 centimètres. Des tiges plus courtes ne sont pas à cueillir.
« 3° Le moment le plus favorable pour la récolte des orties est le temps après la floraison, c'est·à·dire à partir de la fin de juin. Des orties cueillies même plus tard sont utilisables.
« 4° Les tiges ne doivent pas être arrachées, mais sont à couper directement au-dessus du sol. On les coupe mieux avec un couteau ou une faucille, ou même avec une faux, s'il s'agit de grandes quantités.
« 5° Pour ne pas être brûlés, on recommande l'emploi de gants de n'importe quelle espèce. Peu de temps après la récolte, les plantes ne brûlent plus.
« 6° Il est, en tout cas, à éviter de déchirer ou de casser les tiges, surtout au moment où les tiges sont engerbées et mises en bottes.
«.7° Les orties coupées doivent être mises en bottes et étendues peu serrées à des places propres à sécher, si on ne peut pas les laisser sur le lieu où la récolte s'est faite.
« 8° Les tiges doivent être bien séchées; elles le sont aussitôt qu'elles se laissent effeuiller facilement.
« 9° Les feuilles des branches - s'il y en a - et les têtes sont à enlever quand les tiges sont sèches. Ce travail se fait le mieux en passant les tiges par poignées à travers des clous fixés en forme de râteau avec des écarts de 1 cm. 1/2 dans une petite planche d'environ 50 centimètres de long. Cette planche est à fixer préférablement sur une caisse ou une poutre.
« 10° Les tiges effeuillées sont à engerber ou à mettre en bottes après avoir été soigneusement rangées.
« 11° Les Commandantures de Place ou les Commandantures d'Etape, paieront 12 fr 50 pour 100 kilos de tiges effeuillées, soigneusement séchées et mises en bottes ou engerbées. Les tiges peuvent être remises contre reçu au Magasin de la Commandanture.
« Les reçus seront honorés par la Caisse de la Commandanture.
« 12° Les feuilles et les têtes d'orties qui restent, sont du fourrage précieux et ont la même valeur que du bon foin ».

 

C'est ainsi que la Municipalité reçut, le 28 juillet 1917, l'ordre d'envoyer 50 à 60 jeunes gens de plus de 14 ans, munis chacun d'une paire de gants et d'une faucille pour faire la récolte des orties. Conformément aux prescriptions contenues dans cet ordre, des professeurs ou jeunes gens (parmi lesquels dix élèves du Collège Notre·Dame) devaient répondre à cet appel.
Ils furent dirigés vers la Mairie de Saint-Saulve.
A la même heure, une autre colonne de réquisitionnés prenait le chemin de la fosse Dutemple pour le glanage d'un champ de seigle.
Ces travaux étaient surveillés par un sous-officier qui, placé sur un monticule et muni d'une jumelle, s'assurait que l'équipe sous ses ordres accomplissait un effort productif.
Les Allemands avaient également donné les ordres suivants, au sujet de la récolte: 

«Orties 
« Dès maintenant, il faut commencer à les couper, d'abord tout autour du Champ de Manoeuvres et sur la route de Marly à Saint-Saulve, car c'est de ce côté que vont les officiers de l'Inspection.
« L'usage de la faulx n'est pas recommandé, mais plutôt celui de la faucille, car il ne faut pas que les tiges soient cassées.
« Il faut désigner de suite un magasin où on les fera sécher, et que le lieutenant Rott ou le Commandant iront voir (peut-être une ou deux salles ou préaux d'écoles peuvent-ils convenir?) Il Y aurait donc lieu aussi de faire accompagner chaque colonne de vingt ouvriers ou grands élèves par une poussette qui rapporterait de suite les orties au magasin, car il est à craindre que les tiges ne soient cassées en les faisant sécher sur place. » 

 

Les Allemands ont trouvé que cela n'allait pas assez vite.
Une plainte a été déposée au Conseil du Guerre, par le Service de l'Agriculture sans doute, d'où un appel devant le juge au Conseil de Guerre.

Les explications de la Municipalité ont été résumées dans une note écrite ainsi libellée: 

« L'Administration Municipale au reçu de l'ordre qui lui a été donné relativement à la récolte des orties, a organisé immédiatement une équipe de huit ouvriers qui s'est mise au travail et a commencé à transporter les orties coupées.
« Lorsque les écoles furent fermées, nous avions engagé les enfants pour leur faire commencer ce travail, mais nous avons reçu le même jour l'ordre d'envoyer les enfants à d'autres travaux.
« Nous avons dû prendre d'autres mesures et nous avons formé une autre équipe de 15 à 20 jeunes gens et jeunes filles qui suspendent pendant quelques jours un autre travail moins pressé.
« Déjà à ce jour, dix à douze voitures à bras ont été transportées dans le local à ce destiné.
« Pour ne pas laisser traîner les orties, on les avait portées en bottes au hangar; depuis, les ouvriers ont commencé à exécuter l'ordre d'avoir à les étendre pour les faire sécher, ordre qui d'abord avait été mal compris ».

 

Enfin, pour donner satisfaction à l'autorité allemande, M. Billiet fit couper 300 kilos d'orties, qui coûtèrent à la ville 300 à 400 francs, mais qui évitèrent aux enfants cette fatigue par une chaleur tropicale.
Ainsi se termina momentanément la récolte des orties.
Mais les Allemands revinrent à la charge en 1918, obligeant M. Billiet à signer l'affiche suivante : 

E.H.O. le 14 mai 1918, 
« Ci-joint, vous recevrez une instruction pour la récolte des orties avec prière de la publier.


Signé: PLATT, 
« Oberstleutnant. »

 

« Les tiges d'orties doivent être livrées, séchées au plus tard pour le 1er septembre 1918 au Wirtschafts Inspecktor compétent, et chaque famille doit en livrer au moins un kilo.
« Si les quantités demandées ne sont pas exactement livrées, une punition de 5 francs par kilo manquant sera, infligée.


« Signé : Von WITZENDORFF ».

 

Extraits du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

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11 septembre 2012

Le Testament de Guillaume

 

Extraits du livre de René Delame : "Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs" Hollande & Fils ed. 1933

 

Un document bien encombrant

 

27 Aout 1914 : La découverte.

            Le commandant Kintzel étant venu prendre le gouvernement de la ville, commença naturellement par une visite à notre édifice communal. Me trouvant en ce moment sur le seuil de la Mairie, il me pria de l'accompagner.
Notre pauvre Hôtel de Ville, si propre il y a quelques jours, ressemblait à une véritable écurie. Les marches des escaliers disparaissaient sous la paille et les immondices. Il fallait chercher un endroit pour poser le pied. Le commandant entra dans une grande colère en voyant les meubles éventrés ou renversés, le coffre-fort brisé, les débris de papier et les immondices de toutes espèces couvrant le parquet.
           En descendant, il se calma et me fit des excuses pour la façon dont s'étaient comportés les soldats.
Il me pria d'aller chercher le Maire, M. Tauchon. Il lui renouvela ses excuses, lui ordonnant de faire nettoyer la Mairie, et d'en reprendre possession. C'est à la suite de cette première entrevue que les Allemands trouvèrent, dans le bureau de police, de nombreux exemplaires du pamphlet, alors fameux, ayant pour titre: « Le Testament de Guillaume », que vendait un camelot le 14 juillet dernier, bien qu'il ne fût nullement question de guerre à cette époque, et qui avait été saisi. En tout cas, lors de ma visite au bureau de police, dans la nuit du 24 au 25 août, je n'avais pas remarqué ce paquet déposé dans un coin.


Ce Testament valut à la Ville une amende d'un million.

Voici le pamphet dont il est question :

TdG

 

Il en existe une version anglaise, sous le nom de "The Kaiser's Despair" ( Le désespoir du Kayser) au Canadian War Museum :

KD

 

 31 août 1914 : L'amende.

Le Conseil municipal se trouvait réuni dans son nouveau local provisoire, quand un officier demanda à parler au Maire.
Il fut aussitôt introduit, et déclara être délégué par le corps des officiers qui était gravement offensé par la découverte d'un imprimé injurieux pour leur empereur. Il adressa de vifs reproches à M. le Maire, puis il y eut un échange d'explications pénibles entre cet officier et les conseillers qui essayèrent de lui faire comprendre qu'il s'agissait d'un factum ridicule apporté par un camelot étranger à la ville, avant l'occupation.
M. le Maire ajouta que, bien loin d'en avoir favorisé la publication, il en avait ordonné la saisie pour en empêcher la vente. Il précisa même en disant aux personnes qui, à ce moment voulaient la libération du camelot : « S'il est du devoir de chacun de combattre un ennemi, il n'est jamais permis de l'outrager! » L'officier se retira en prononçant ces paroles: « Très honorable M. le Maire, je vais continuer mon enquête sur ces données nouvelles ».


Puis, quelques instants après, survint le Colonel Kintzel, et le dialogue suivant s'engagea entre le Maire et lui :


LE LIEUTENANT-COLONEL KINTZEL. - Comme vous l'avez pu voir lorsque je suis entré, j'ai la figure décomposée, car j'ai passé une mauvaise nuit. J'ai pensé sans cesse à vous, et je suis fort désolé. Il s'est passé un fait épouvantable. On a trouvé ce papier dans vos bureaux. C'est une insulte terrible contre notre empereur. Vous savez toute l'affection, tout le culte que nous avons pour le Kaiser, et c'est un cri unanime chez nous qu'il faut en tirer vengeance.
M. LE MAIRE. - Je connais ce factum, j'en ai défendu la vente et j'ai fait saisir tout ce qu'il y avait. Ce que je vous dis est vrai, je vous donne ma parole d'honneur. Je n'ai jamais menti et ne pourrais le faire, même pour sauver ma vie.
LE LIEUTENANT-COLONEL. - Je ne crois pas cela, car vous êtes de race latine, et vous savez mentir sans que cela se voie sur votre visage : Nous autres, Allemands, si nous mentions, on le verrait dans nos yeux.
M. LE MAIRE. - Je vous affirme sur le ruban que je porte à ma boutonnière que j'ai défendu la vente de ce factum. J'ai même répondu à ceux qui sollicitaient la levée de cette interdiction que l'on devait combattre des ennemis, mais non les insulter.
LE LIEUTENANT-COLONEL. -- Mais vous faites une guerre horrible. En Belgique, les soldats coupent le cou de nos blessés dans les hôpitaux; il en est de même de la Croix-Rouge, où on leur crève les yeux. Et voyez du reste cette cartouche, c'est une cartouche «dum-dum » (*). qui fait des plaies atroces, et votre armée se sert de ces armes, qu'on n'emploierait même pas contre des sauvages.
M. LE MAIRE. - Je vous affirme, Colonel, que la France ne se sert pas de ces cartouches. Notre nation est trop fière, trop honnête, trop civilisée pour les employer. Je ne crois pas aux atrocités dont vous nous parlez en Belgique; du reste, Si vous avez résolu de me fusiller, je suis prêt!
LE LIEUTENANT-COLONEL. - Non, j'ai eu avec vous des rapports très corrects, et j'ai pu obtenir de notre corps d'officiers que l'on se borne pour le moment à exiger de la Ville la somme de un million.
M. LE MAIRE. - C'est une somme énorme que l'on ne pourra pas trouver dans la Ville; vous n'ignorez pas que toutes les banques ont versé à la Banque de France toutes les sommes dont elles disposaient, et que la Banque de France a transporté au loin son encaisse. C'est seulement à Paris que l'on pourrait trouver cette somme.
LE LIEUTENANT-COLONEL. - Je vous donnerai alors un sauf-conduit pour aller la chercher à Paris.

A la suite de cet entretien, une délégation fut immédiatement désignée par le Conseil municipal pour se rendre à Paris.
Elle se composait de MM. Damien, P. Dupont fils, Turbot, Levrat, qui se mirent en route le 1er septembre 1914.

Mais la délégation ne put dépasser Cambrai, par ordre du général commandant du corps d'armée. A leur retour, le Maire les remercia.
« Ils avaient droit, dit-il, à toute la gratitude de leurs concitoyens. »

 (*)Le lieutenant-colonel utilise un fait de propagande maintes fois répété : l'occupant avait saisi des stocks de cartouches Lebel, dont les "modèles de stand"; la pointe de balle était creusée pour éviter les ricochets, ou son profil avait été modifié pour perdre en vélocité. On les retrouve fréquement dans les journaux allemands de l'époque, qualifiés de "dum-dum", contraires aux lois de la guerre :

DGK

DGKB

C'était peut-être une réponse de la propagande à la protestation Française contre les mêmes projectiles :

 

(l'Ouest-Eclair de Caen 17/08/1914)

 


 

Mardi 15 septembre : nouvelle tentative de financement.

Le Commandant Kintzel exigea de nouveau l'amende d'un million pour le fameux pamphlet sur Guillaume, sous peine de prise d'otages ou de représailles.
Il offrit à nouveau un sauf-conduit pour aller demander cette somme au gouvernement français.
Le Député Durre partait ce jour-là sans laissez-passer pour Paris, empruntant le tramway de Saint-Amand à Hellemmes.(1)
Chose extraordinaire, les Allemands avaient autorisé le tramway de Saint-Amand à Hellemmes à circuler, ce qui permit à bon nombre de jeunes gens de passer les lignes; mais ils le supprimèrent peu de temps après. Ayant seul l'autorisation de circuler en auto, le Conseil me délégua donc pour aller avec Durre à Lille, demander à M. le Préfet du Nord son appui afin d'éviter des représailles.

     Ayant passé les lignes allemandes je rejoignis M. Durre en route et le fis monter dans mon auto. Je lui remis comme cela était convenu le rapport qui nous était parvenu sur la chute de Maubeuge pour qu'il en donnât connaissance au gouvernement à Bordeaux. Nous fûmes surpris de passer aussi facilement les lignes des deux armées, ne rencontrant ni Français ni Allemands.


     En arrivant à Cysoing la population nous regardait avec effroi, je m'aperçus seulement alors que j'avais oublié d'enlever le drapeau blanc et le drapeau allemand qu'avait exigé le Commandant Kintzel pour traverser les lignes.
Lille était en fête pour l'arrivée des Anglais. Dès notre arrivée nous nous rendons directement à la Préfecture où M. Trépont nous reçoit. Après l'avoir mis au courant de la situation, M. Durre lui demande si nous pouvons compter sur la somme de 500.000 francs, pour sauver notre maire M. Tauchon.
Sa réponse ne se fit pas attendre, il refusait tout subside pour les Allemands, même s'ils devaient nous éviter les représailles.
 
     Ne pouvant rien obtenir, avant de le quitter, nous lui fîmes part de nos craintes, Lille devant bientôt avoir le même sort que Valenciennes. Nous lui conseillâmes de prendre ses dispositions pour faire partir les jeunes gens, les banques, les autos, etc...
Mais le préfet loin d'approuver ma manière de voir me dit:
«- Je vous défends de jeter la panique dans la population et de répandre ce bruit; dans 48 heures Valenciennes sera délivrée.
Je vais d'ailleurs faire démobiliser votre Sous-Préfet M. Cauwes pour qu'il reprenne son poste
«- Je souhaite que les circonstances vous donnent raison, lui répondis-je mais si vous aviez été témoin de l'invasion vous ne raisonneriez pas de la sorte

     Je laissai M. Durre avec le préfet et je rentrai à Valenciennes pour faire-part de ma réponse.
Naturellement le Commandant Kintzel n'en fut pas satisfait et dit à M. Tauchon de tenter une autre démarche à Lille auprès des banquiers.....

19140915


(1) Cette ligne tramways à vapeur - ayant plutôt le caractère d'un chemin de fer départemental- à été exploitée par les Chemins de fer Economiques du Nord entre St Amand-les-Eaux et Hellemmes-lez-Lille de 1891 à 1933, longue de 32km,  elle désservait :
la Gare de St Amand - Lecelles - Rumegies - Mouchin - Bachy - Cysoing - Bouvines - Sainghin - Lezennes - Hellemmes.

 

tramStA-H

 


 

Mercredi 16 septembre 1914 : conciliation ?

Deux notaires allemands remettent à la municipalité la convention suivante au sujet de cette fameuse amende de un million.

« Valenciennes le 15 septembre 1914

« La Ville de Valenciennes a été imposée le 31 août 1914 d'une contribution de guerre de un million de francs par M. le Lieutenant Colonel Kintzel, commandant des Etapes.
« Sur cette somme 500.000 francs ont été payés comptant.
« La Ville de Valenciennes s'oblige à payer le reste de cette contribution soit 500.000 francs en or ou en billets de la banque impériale d'Allemagne dans un délai de quatre mois après la cessation des hostilités et au plus tard dans un délai de quatre mois après la conclusion du traité de paix qui mettra fin à la guerre. Le paiement aura lieu au ministère de la guerre prussien à Berlin.
« La Ville de Valenciennes met toute sa fortune en garantie de la présente obligation.
« Le lieu du paiement est Berlin.
« A cette obligation est jointe une copie de la délibération du Conseil municipal de Valenciennes autorisant M. le Maire à la souscrire.

« Il n'est pas besoin d'une autre autorisation des autorités françaises pour donner toute validation à cette obligation.
« Signé :Kintzel-Billiet F. Damien ».


     Le Conseil félicita M. le Maire pour l'heureux résultat de ces négociations qui permettaient un paiement différé du solde de la rançon imposée à la Ville.


 

Lundi 28 septembre,  où l'on repasse la ligne :

      Je partis de nouveau à Lille avec M. Vergeot percepteur et M. Levrat caissier de la Banque de France, délégués par le conseil municipal. Il était 11 heures 1/2 du matin à l'issue de la réunion du Conseil municipal. quand nous quittâmes la Grand 'Place de Valenciennes.
Nous avions pris soin de mettre bien en règle tous nos saufs-conduits et de fixer de chaque côté de l'auto le fanion blanc et le fanion allemand exigés par l'autorité allemande  
Le passage des lignes ne fut pas aussi facile que la première fois; à Saint-Amand les troupes allemandes paraissaient agitées.
Le colonel nous arrêta sur la place et voulut absolument prendre l'auto. Nous lui montrâmes nos papiers qui étaient en règle et pendant qu'il s'entretenait avec M. Emile Davaine, nous partîmes ayant reçu son autorisation de continuer notre route. Mais nous étions bientôt arrêtés de nouveau par un premier poste, puis par un second à Lecelles où nous fûmes fouillés. Heureusement les 700 lettres des prisonniers de Maubeuge que j'avais cachées sous la voiture ne furent pas découvertes.
Enfin après bien des difficultés nous franchissons les lignes et apercevons la première sentinelle française, avec quelle émotion et quelle joie patriotique! Nous la faisons monter sur le marche-pied et arrivons dans un groupe de deux à trois cents hommes paisiblement assis sur le bord de la route. Ces malheureux ne se doutaient même pas qu'ils étaient si près de l'ennemi, quelle différence entre les deux avant postes.

     Plus loin, sur le talus du chemin de fer nous apercevons un sergent avec ses culottes rouges, nous lui faisons signe de descendre et prenons à part le capitaine en lui recommandant de se tenir sur ses gardes.
Nous sommes étonnés de voir si peu de troupes et comptons rencontrer à Tournai le reste du régiment.
Complète déception! Nous ne rencontrons aux portes de Tournai que deux gros gendarmes belges à la mine réjouie qui nous arrêtent et nous racontent qu'ils étaient à Ostende au moment de la découverte des espions allemands.
En traversant la Ville nous prenons pour tout déjeuner une tablette de chocolat et continuons notre route à toute vitesse.
En traversant Hellemmes, un cycliste, qui tenait sa droite, traverse juste au moment de notre passage. Sa machine roule sous l'auto et lui reste suspendu sur le capot, pendant vingt à vingt-cinq mètres. Nous le relevons, le transportons dans un estaminet, la foule arrive, et nous repartons après nous être assurés qu'il n'a rien. Pour être tout à fait rassurés nous faisons envoyer un médecin aussitôt notre arrivée à la Préfecture de Lille.

     A la Préfecture où M. Durre nous a rejoints, n'étant pas encore parti pour Paris, M. le Préfet Trépont nous reçoit et nous fait la même réponse. « Impossible, dit-il, de vous donner de l'argent pour les Allemands. » Puis il ajoute: « Voici d'ailleurs votre Sous-Préfet M. Cauwés, que j'ai fait démobiliser et qui bientôt va reprendre son poste ». Après lui avoir répondu qu'il était malheureusement dans l'erreur, nous le quittâmes pour commencer nos démarches chez les banquiers sans perdre une minute.
Nous allons directement au Crédit du Nord où le directeur fait ce qu'il peut pour nous aider à sauver notre maire. Avec lui nous allons chez M. Dubar président du conseil d'administration qui, après nous avoir écoutés avec bienveillance nous promet de réunir le conseil pour le lendemain à midi.
Pendant que M. Levrat va à la banque de France, je vais seul à la banque Verley-Decroix. M. Verley ne veut pas se rendre compte de la situation. Je lui explique qu'à Valenciennes son directeur a quitté la banque au moment de l'arrivée des Allemands emportant les titres et la comptabilité, et que les gendarmes ont pris possession de la banque, parlant même de faire sauter les coffres. Il serait donc préférable de mettre l'encaisse à l'abri en la prêtant à la Ville qui la lui rendrait après guerre. M. Verley fit alors venir son fondé de pouvoirs qui lui dit qu'il devait rester en caisse 75.000 francs, d'en remettre 70.000 à la Ville et de prendre le reste. Ne pouvant revenir à Valenciennes demander la signature du maire, ces messieurs me firent signer sur papier timbré la reconnaissance de cette somme sur ma fortune personnelle ce que je fis bien volontiers pour sauver la situation.
M. Vergeot de son côté fit d'autres démarches.

     Après une journée si fatigante, nous nous retrouvâmes à l'Hôtel de l'Europe où nous rencontrâmes Mlles Lepez, Regard et Auvray, qui toute trois se trouvant bloquées attendaient une accalmie pour rentrer à Valenciennes. Nous dînâmes ensemble et fûmes aussitôt entourés, surtout par des Anglais.
Puis, avant de monter dans nos chambres nous partageâmes l'argent : Levrat, 50.000; Vergeot, 100.000; moi, 50.000.
Le lendemain matin ces demoiselles pendant notre déjeuner se mettent à l'ouvrage pour coudre dans les cols de nos pardessus les 200.000 francs. Ce fut Melle Lepez qui s'occupa de moi.


Puis nous fîmes de notre côté une dernière démarche auprès des banquiers. M. Verley me remit les clés du coffre et me donna le chiffre. Nous nous arrêtâmes au Crédit du Nord, où ces Messieurs nous promirent un chèque de 100.000 francs sur Berlin.
M. le Préfet du Nord nous ayant bien recommandé de ne prendre aucun papier pour rentrer à Valenciennes, et éviter la saisie des 200.000 francs, nous fîmes au chauffeur la même recommandation.

     Nous quittâmes Lille à midi et demie et fîmes un grand détour en passant par Tournai, Condé, Vicq, Onnaing pensant éviter les avants postes pour rentrer. Le seul point dangereux était le passage à niveau d'Onnaing où nous dûmes descendre.
Le poste arriva immédiatement, nous entoura, sortit les coussins, visitant la voiture de fond en comble, nous regardions paisiblement sachant que les Allemands ne trouveraient rien.
Quelle ne fut pas notre stupéfaction en voyant sortir de la boite d'outils un paquet de lettres dissimulé dans les chiffons.
Aucun de nous n'ouvrit la bouche et nous nous éloignâmes laissant le chauffeur se débrouiller. Mais l'officier du poste vint à nous et pendant une heure nous questionna, examina nos papiers et finalement nous laissa passer. Nous poussâmes un soupir de soulagement et rentrâmes à Valenciennes sans échanger une parole.

19140928

Puis, nous rendîmes compte à M. le Maire de notre mission.
En résumé les établissements financiers de Lille avaient prêtés à la Ville de Valenciennes pour le paiement de sa rançon:

Crédit Lyonnais :   50.000 francs;
Société Générale : 100.000 francs;
Verley-Decroix :   70.000 francs;
Crédit du Nord : 100.000 francs;
Comptoir d'Escompte :   10.000 francs.


Il ne s'agissait plus maintenant que d'ouvrir le coffre de la succursale de la banque Verley-Decroix à Valenciennes...



Mercredi 30 septembre : Arrivée du Commandant Priess

           Ayant été désigné comme otage, je devais me rendre à midi à l'Hôtel du Commerce, aussi dès la première heure, je me mis à la recherche de Mme Lebeau, la femme du directeur qui n'avait osé rester à la succursale. Avec le mot que m'avait remis M. Verley, elle me donna les clés du coffre. Puis, en présence de Me Cartigny, notaire, de M. Levrat et de M. Meurs le coffre fut ouvert et un procès-verbal dressé.
Il restait exactement en caisse 73.810 francs. Je versai donc 70.000 à la ville et conservai 3.810 francs pour les appointements des employés.

HdCL'Hotel du Commerce,
à l'emplacement de l'actuel immeuble de La Poste

PdI


          L'heure était arrivée de me rendre à l'hôtel du Commerce, aussi laissai-je à Me Cartigny, mon notaire, le soin de régulariser en mes lieux et place ce prêt à la ville de Valenciennes dont j'étais moralement responsable et qui fut d'ailleurs remboursé à la banque quelque temps après l'armistice.

Quelques jours plus tard le Commandant Priess remit à M. le Maire une lettre réclamant le versement de 500.000 francs qui avait été stipulée payable quatre mois après la guerre, dans une reconnaissance remise à M. le Commandant Kintzel, précédemment gouverneur de la Ville.
Après bien des pourparlers, noous tombâmes d'accord pour que cette somme soit réduite à 300.000 francs.

 


Vendredi 16 octobre : Rebondissement.

         Le Commandant Priess écrivit de nouveau au Maire la lettre suivante:

        « Le Commandant vous fait connaître qu'il attend demain le 17 octobre, à midi, Je versement de la somme de 200.000 francs ainsi que le 31 octobre, celui de la somme de 219.300fr60 (2) en billets de Banque de France.
« En ce qui concerne la somme de 300.000 francs qui reste à payer dans huit jours, vous étiez tenus de fixer votre réponse jusqu'à lundi, le 19 octobre, à midi. Mais le Commandant vous avertit que les ordres donnés par le Chef d'Etat-Major ne peuvent être changés en aucune façon.

Puis le Commandant ajoutait:
« C'est à regret que je dois porter à votre connaissance ce qui suit:
« Un ordre du Grand Quartier général français tombé entre les mains des autorités allemandes, daté du 17 septembre 1914, signé : le Général de division Laffon de Ladebat, indique le paragraphe suivant:
     « Toute troupe de plus de trois Allemands en armes, rôdant en arrière des lignes sera considérée comme un groupe commettant des actes de banditisme.
« Par cet acte, la France s'est mise hors de la Convention de Genève. Elle ne peut donc plus attendre qu'elle soit traitée avec des égards. Nous nous voyons, par conséquent, forcés d'agir sans considérations.

« PRIESS, « Oberleutnant et Commandant. »


(2) Il s'agit là des impôts des contribuables que la ville se devait également de payer.


 Il donna ensuite connaissance de l'affiche en question, dont un exemplaire, rédigé en français et en allemand figure aux archives départementales du Nord (cote 9R183):


République Française,
Au Grand Quartier général,
Quartier général des Armées de l'Etat le 17 septembre 1914.
Direction de l'arrière.
ORDRE
  « Tout Allemand rencontré en arrière des troupes françaises, ayant quitté son uniforme et revêtu d'habits civils, sera considéré comme espion, et traité comme tel. La personne qui aura fourni volontairement lesdits habits, sera poursuivie comme complice devant le Conseil de Guerre.
« Tout Allemand rencontré sans armes en arrière des troupes françaises devra être appréhendé et enfermé dans un local sûr d'un village voisin, s'il ne peut être emmené de suite.
« Aucune autorité municipale ne peut refuser d'accepter en dépôt un prisonnier, sous peine de s'exposer à des mesures de rigueur. Si la capture est faite par les autorités civiles, ou si celles-ci connaissent la présence dans leur commune ou dans son voisinage d'un Allemand qu'elles n'ont pû arrêter, elles doivent en avertir de suite les autorités militaires les plus voisines, qui prendront les mesures nécessaires pour diriger les prisonniers vers l'intérieur du territoire.
« Tout Allemand rencontré en arrière de nos lignes, commettant des actes de banditisme sera exécuté sur-le-champ. Il en sera de même de tout Allemand armé qui ne se rendra pas à la première sommation.
« Toute troupe de plus de trois Allemands en armes, rôdant en arrière des lignes sera considérée comme un groupe commettant des actes de banditisme.
« Des patrouilles de gendarmes, des agents de la force publique, et de toute troupe feront d'ailleurs des tournées incessantes dans la région.
« Tout individu, civil ou militaire, quelle que soit sa nationalité, rôdant sur le terrain des champs de bataille et convaincu d'y avoir commis des vols sur les morts ou sur les blessés, dans des maisons abandonnées ou autres, etc... sera traduit en Conseil de guerre. La peine peut dans certains cas être la peine de mort.

« Le Général de Division,
« Directeur de l'arrière:
« LAFFON DE LADEBAT. »

 

Der General de division
Oberbefehlshaber des Etappendienst Laffon DE LADEBAT,
grosses Hauptquartier, den 17 september 1914

 (................), il fallait payer !!

Comme les fois précédentes, le Maire avait fait appel à la Banque L-.Dupont et Cie, et à la Banque Piérard, Mabille et Cie, qui nous répondirent qu'il ne leur restait en caisse que le strict nécessaire pour subvenir à leur clientèle et à leurs employés, mais que, devant le pressant appel de M. le Maire, ils mettaient une dernière fois à la disposition de la Ville: 
Banque L. Dupont et Cie : 200.000 fr.
Piérard, Mabille et Cie : 100.000 fr.
Le Percepteur avait en caisse :200.000 fr.
Mais alors, comment régler le 31 octobre les 219.309 fr. 60 pour les contribuables ? La question devenait de plus en plus angoissante.

Aussi, M. le Maire répondit-il la lettre suivante: 

« Monsieur le Commandant,

« Nous vous accusons réception de la lettre que vous nous avez envoyée pour nous faire savoir que votre Général exige dans le délai de huit jours le paiement de 500.000 francs, complément de la somme de un million demandée par le Commandant Kintzel, plus, fin du mois, la somme de 216.300 fr. 60, pour le solde des contributions d'octobre.
« Nous avons, de suite, en vertu d'un référé de M. le Président du Tribunal Civil, requis les banquiers de verser à la Caisse municipale toutes les sommes encore disponibles, qui existent dans leurs caisses.
« De cette façon, nous serons en mesure de verser le 26 de ce mois, 300.000 fr. plus 216.300 fr. 60, à la date du 31 octobre.
« Nous vous faisons remarquer qu'en dehors des contributions mensuelles que nous aurons déjà beaucoup de peine à payer, puisqu'elles dépendent de recettes éventuelles. Cet effort est le dernier que nous puissions faire, n'ayant plus aucun moyen de puiser à d'autres caisses et dans d'autres villes, l'argent dont nous pourrions avoir besoin.
« Veuillez constater, de plus, que depuis deux mois, nous avons nourri vos troupes et en même temps, distribué par jour, plusieurs milliers de portions d'aliments aux familles indigentes et aux ouvriers dépourvus de travail.
« Veuillez nous permettre, en terminant de vous dire que l'on a certainement mal interprété le sens de l'alinéa de l'affiche du Général français que vous avez porté à notre connaissance.
« Le mot « rôdeur », dans notre langue, s'interprète toujours en mauvais sens. Il exclut toute idée de combattant. Pour vous, comme pour nous, un soldat qui traverse les rangs ennemis pour couper ses communications, ou dans un but militaire, accomplit un acte noble et courageux: c'est un combattant! « Mais, celui qui « rôde» derrière les armées pour y commettre des actes de banditisme, s'appelle pillard. C'est dans ce sens, à notre avis, qu'il faut interpréter l'ordre du Général.

« Je vous remercie des sentiments personnels que vous voulez bien formuler envers moi.
« TAUCHON. » 



La Commandanture répondit le lendemain la lettre suivante:

« Le Commandant de Valenciennes,
A M. le Maire de la Ville de Valenciennes,


« Le Commandant a reçu votre lettre du 19 octobre, et il accepte vos propositions.
« Ainsi, vous avez à payer le 26 de ce mois, à midi la somme de 300.000 francs.
« Le 31 de ce mois, à midi, 216.309 fr. 60.


« Au nom du Commandant :
« VON MIKUSCH, Adjudant. »
Valenciennes, le 20 octobre 1914.

 

Ainsi, se termina l'incident du Testament du Kaiser, la Ville ayant évité des représailles terribles à ses concitoyens, en payant l'amende imposée.

 

 

 

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